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Entretien avec Marie-Anne Montchamp
« Une société inclusive nous engage tous »

28/09/2018

Alors que le secteur social et médico-social est engagé dans de nombreux travaux de transformation de l'offre, Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) rappelle les principes fondateurs d'une société inclusive. À la veille du chantier sur le 5e risque, elle propose aussi des axes de réflexion pour relever le défi du vieillissement de la population.

Marie-Anne Montchamp (CNSA) © Thomas Gogny

Le Conseil de la CNSA a défini les principes d’une société inclusive dans son dernier chapitre prospectif. Comment accompagner les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) dans cette transformation ?

Marie-Anne Montchamp. Il me semble extrêmement important que les acteurs se saisissent de cet enjeu de façon autonome. Bien sûr, il faut structurer ce mouvement et prévoir des mesures d’accompagnement, mais si l’ensemble des parties prenantes ne comprend pas le sens de l’histoire et ne peut se référer à une ligne directrice, aucun plan, aucune loi ne suffiront à infléchir les réponses inclusives que nous devons à nos concitoyens, qu’ils soient en situation de handicap ou de perte d’autonomie liée à l’âge. Cette transformation de notre modèle n’est pas uniquement organisationnelle ou technique, elle est culturelle, sociétale, et doit être impulsée sur tous les territoires, dans toutes les organisations sociales et médico-sociales, jusqu’au domicile.

À quelle ligne directrice se référer ?

M.-A. M. La personne bénéficiaire comme point de départ de la réponse, élevée au rang de partie prenante, c’est le principe fondateur. Cela va au-delà de ce qu’a impulsé la loi 2002-2, d’autant qu’en cours de route, nous avons souvent perdu la parole directe des usagers. Il ne s’agit plus de s’organiser et de veiller à ce que la personne soit « au centre ». La réponse doit procéder directement de l’expression de ses besoins et, surtout, de ses aspirations. En outre, elle est à imaginer là où la personne veut vivre. D’autant que c’est au domicile qu’il est plus simple de fabriquer du sur-mesure.

Mais est-ce toujours possible, quel que soit le degré d’autonomie ?

M.-A. M. L’important ce n’est pas le débat, pathogène et conflictuel, institution versus domicile, ce qui compte, c’est l’esprit de la réponse. C’est pourquoi dans notre chapitre prospectif 2019 nous allons approfondir l’approche domiciliaire. Une société est inclusive quand elle offre des réponses ouvertes permettant à la personne de disposer d’un chez-soi, lieu d’expression de ses attentes et de ses choix, depuis le domicile ordinaire jusqu'à l’ensemble des lieux où elle vit, avec ou sans services mutualisés.

Cela demande en effet plus de souplesse dans le fonctionnement des établissements. Il y a tout un débat à avoir sur le risque et la liberté, sur les réponses collectives et l’appréciation individuelle de la satisfaction des attentes des personnes. Il faut ainsi questionner nos systèmes d’évaluation et notre approche en normalisation. Notre souci est de permettre aux acteurs qui se saisissent de la construction des réponses de pouvoir s’autoévaluer sur leur inclusivité.

Acteur essentiel de ce modèle, le champ de l’aide à domicile, dont la tarification est en cours de réforme, reste confronté à de nombreuses difficultés [1]. Comment le soutenir durablement ?

M.-A. M. Dans cette période transitoire, il est important de l’aider à rester viable. Incontournables, ces services apportent une réponse personnalisée sur tout le territoire. Mais avec des spécificités qui peuvent les mettre en difficulté, par exemple en milieu rural du fait de la distance entre les bénéficiaires. En outre, le secteur est marqué par l’histoire de sa structuration, avec des organisations parfois de taille moyenne et petite qui peuvent s’avérer extrêmement fragiles selon l’évolution de la politique locale.

La concertation sur le modèle tarifaire est toujours en cours [2]. Prendre en compte la complexité des interventions et leur valeur ajoutée nécessite une approche fine et rigoureuse afin d’éviter une usine à gaz. Au-delà, c’est une réflexion structurante qu’il nous faut mener sur le modèle économique des services, en associant les acteurs à leur destin. Des solutions de pérennisation doivent trouver leur place dans le projet de loi qui sera présenté en 2019 sur la prise en charge de la dépendance.

Certaines pratiques des conseils départementaux dans leurs relations avec les ESSMS génèrent des crispations. Comment refonder la confiance avec eux ?

M.-A. M. Les premières rencontres CNSA-Assemblée des départements de France (ADF) le 30 mai dernier ont réuni 87 départements. Elles ont permis de mettre en évidence que nos liens devaient être renforcés et transformés. Nous avons par exemple à questionner notre manière de conventionner. Notre approche doit être plus globale, structurante et systémique pour conduire à une plus grande efficacité des réponses.

Dire qu’il n’y a pas de tensions sur le front des finances pour les conseils départementaux serait mentir. Tout cela procède d’enjeux de finances publiques et il nous faut prendre en considération ces contraintes de l’économie française qui s’appliquent à chacun. Je suis d'ailleurs très reconnaissante à tous les membres du Conseil pour leur immense maturité sur ces sujets, et qui dans l’intérêt général dépassent leurs propres contingences. Ils ont la volonté commune d’interroger notre propre modèle. Ce qui veut dire aussi être extrêmement attentif à la manière dont les ressources de la Caisse sont utilisées.

Le budget 2017 de la CNSA affichait une nouvelle sous-consommation de l’objectif global des dépenses – OGD (78,2 millions d’euros) et un déficit de 120 millions comblés sur ses fonds propres. Comment assurer la bonne consommation des crédits alloués par la Caisse et dont le secteur a besoin ?

M.-A. M. Cette sous-exécution interroge bien sûr. Une partie tient à la montée en charge des politiques publiques. Il s’agit donc plutôt d’un amorçage. Ainsi avec le concours aux départements APA II [3]. Mais il y a aussi des effets de sous-exécution récurrents qui tiennent à des pratiques et à des arbitrages des acteurs. Dès lors, c’est l’oppor-tunité d’appréhender une mauvaise conception d’un dispositif qu’on pouvait imaginer vertueux : un indicateur qui doit nous amener à préconiser des évolutions, y compris législatives.
Notre rôle est d’expertiser le sujet et d’évaluer, par exemple, si nos concitoyens anticipent des restes à charge importants et discriminent le dispositif. Si on ne comprend pas la perception et les aspirations des bénéficiaires, il y a fort à parier qu’on n’utilise pas assez bien les finances publiques. La Nation mobilise des masses budgétaires importantes. Demain, compte tenu des besoins qui s’imposeront à nous, en particulier sur le front de la perte d’autonomie, il faut que la CNSA puisse garantir la bonne mobilisation de tous les flux de financement vers leurs objectifs, dans les meilleures conditions d’exécution possibles, grâce à un système de contrôle et de conventionnement parfaitement vertueux.

La crise des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a fait la une de l'actualité en début d'année. Comment répondre au défi du vieillissement de la population ? 

M.-A. M. Il fallait apporter un remède rapide afin de ne pas fragiliser les Ehpad dans cette période de transition. La feuille de route de la ministre Agnès Buzyn fait son office. Mais cela ne nous exonère pas de la réflexion de fond que le président de la République a appelé de ses vœux et que la ministre a la charge de mener. Il nous faut fabriquer un grand projet de société : comment voulons-nous accompagner les personnes qui terminent leur vie dans notre pays ?

La première réponse, c’est la prévention afin de vivre le plus longtemps en bonne santé et que le vieillissement ne soit pas synonyme de privation de droits. Cela demande aussi de l’anticipation : il y a des moments de la vie où on a encore les moyens d’agir et de s’organiser. Aidons nos concitoyens à s’en préoccuper sans que ce soit un sujet repoussoir. Il faut aussi de traiter la question de la fin de vie, quand le besoin d'accompagnement et de soins est décuplé.

Quelle gouvernance de ce nouveau risque ?

Toutes les parties prenantes, en premier lieu les personnes elles-mêmes, doivent être réunies dans les lieux de décision nationaux et décentralisés pour organiser sa prise en compte, en lien avec les réalités territoriales. À ce titre, les conférences des financeurs sont une modalité d’organisation très inspirante Centrées sur un enjeu, la prévention, elles regroupent les acteurs et peuvent agréger des financements divers. Nous étudions d'ailleurs l’opportunité d’élargir leurs missions et d’en faire des « conférences des parties prenantes » réunissant l’ensemble des acteurs d’un territoire afin d’identifier les solutions à apporter aux besoins identifiés et accompagner la transition inclusive.

Et quelles pistes de financement de ce 5e risque ?

M.-A. M. Les adeptes d’une équation tarifaire unique et magique seront déçus. Le vieillissement de la population appelle des réponses tant en matière de logement, d’aménagement du territoire, de transport, que de prise en charge sanitaire et médico-sociale, de services publics… L’idée d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale, « technocratiquement » audible, ne garantira donc pas la transversalité des réponses aux aspirations des personnes.
Une part importante du financement incombe bien sûr au système de soins, et il faut se poser la question de ses ressources. Une question dont le gouvernement commence à se saisir, en passant de financements assis sur le travail à un financement par la fiscalité. Car dans une société qui vieillit le nombre de personnes qui travaillent est insuffisant.
Il faut assurément résoudre le problème du financement de l’accompagnement, sans oublier celui du logement. Une grande partie de nos concitoyens ont un patrimoine, mais pas de capital : il nous faut imaginer des modalités innovantes pour que ceux qui ne peuvent faire autrement, mais qui n’en ont pas les moyens, puissent aller en établissement, par ailleurs transformé en institution domiciliaire. S’agissant de la retraite, elle est à peu près pensée comme un équivalent salaire un peu dégradé. Mais dans les dernières années de vie, brusquement, le besoin de pouvoir d’achat pour pouvoir vivre chez soi ou en structure devient massif. C’est donc là que nous devons être collectivement intelligents pour voir comment couvrir les restes à charge.

Face à ces enjeux de transformation du modèle de protection sociale, quelles ambitions portez-vous pour la CNSA ?

M.-A. M. Mon rôle avec le Conseil est de donner le cap, de l’amener à respecter la mission confiée par le législateur en 2004 dans un esprit de transformation et d’inclusivité, que nous nous attachons à définir. Dès lors, en nous affirmant dans cette identité, nous sommes une caisse-agence d’accompagnement des transitions, en quelque sorte un tiers de confiance. Nous n’exerçons pas de tutelle, mais nous animons des réseaux ; nous sommes capables d’organiser des données et de faire en sorte de savoir ce que nous devons savoir sur nos sujets ; nous sommes en mesure d’être dans un niveau de dialogue et de parte-nariat avancé avec les conseils départementaux, de participer à des diagnostics de situation territoriale et d’agréger les parties prenantes, au sein du Conseil mais aussi au niveau territorial…
Pendant l’année écoulée, nous avons revu nos méthodes de travail, nous nous sommes inscrits dans une pluriannualité, nous avons réaffirmé notre capacité à produire de la prospective, indispensable à la préparation des réformes et au pilotage des missions de la Caisse. Notre singularité nous place comme un acteur utile du modèle de protection sociale pour apporter sa pleine contribution aux réformes à venir. Et être au rendez-vous de 2019.

[1] Lire n° 166, p. 4

[2] Un comité de pilotage devait se tenir le 21 septembre.
[3] Financé par la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa), il a été instauré par la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) pour accompagner la réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). En 2016, son montant prévisionnel s’élevait à 306 millions d’euros, pour 204,8 réalisés. En 2017, la progression
de cette dépense traduit une montée en charge de la loi ASV.

Propos recueillis par Noémie Gilliotte - Photos : Thomas Gogny

Carte d’identité

Nom. Marie-Anne Montchamp

Formation. Troisième cycle en gestion de l’emploi.

Parcours. Présidente d’un cabinet de conseil, chargée d’études chez Groupama, responsable RH chez un distributeur pharmaceutique, députée honoraire de la 7e circonscription du Val-de-Marne (2002, 2005, 2007), conseillère spéciale auprès du Président Jacques Chirac (2005-2007), secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées (2004-2005), secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale (2010-2012), présidente de la fondation pour la santé mentale Fonda’mental (2007-2010) et de l’agence Entreprises et Handicap.

Fonction actuelle. Présidente de la CNSA.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 168 - octobre 2018






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