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Reportage
Les résidents trouvent leur place en ville

02/05/2018

Herblay (Val d-Oise). Halte aux voitures mal garées qui gênent les personnes handicapées ! En guise d’alternative aux contraventions, des séances de sensibilisation ont été proposées dans un foyer d’accueil médicalisé. Un projet engagé à l’initiative d’un résident avec l’appui de la municipalité. Il a ainsi donné un coup d’accélérateur à la citoyenneté.

Ivannh Mitory le raconte avec un immense sourire, mais ce jour de décembre 2015, à son retour au Centre de vie Passeraile, il était enragé. Avec une éducatrice spécialisée, il s’était rendu dans une grande surface de meubles scandinaves du Val-d’Oise. Une fois de plus, sur le parking bondé, les places pour personnes à mobilité réduite (PMR) étaient occupées. Il leur avait donc fallu se garer loin de l’entrée afin qu'il puisse extirper de la voiture son fauteuil électrique. En s’approchant, enfin, du magasin, le binôme avait croisé une famille qui regagnait, justement, l’une de ces places. « Je suis allé les voir pour leur faire observer qu’ils occupaient une place réservée, poursuit Ivannh Mitory. Le monsieur, mal à l’aise, s’est excusé. Mais sa femme m’a répondu qu’elle aussi était handicapée puisqu’elle était enceinte ! C’est là que tout a commencé, ça m’a vraiment énervé ! » Une fois revenu au foyer d’accueil médicalisé (FAM), Ivannh Mitory décide de passer à l’action directe. Et songe à déposer, sur chaque voiture mal garée, un autocollant portant une inscription dictée par son exaspération : « Connard »… « Je lui ai dit que ça le mettrait en danger », raconte le chef du service socio-éducatif, Alain Clémenceau. « Et j’ai rappelé que nous n'étions pas des policiers », ajoute Stéphane Bengono, le directeur de ce FAM accueillant des adultes pour la plupart infirmes moteurs cérébraux (IMC), géré par la Fondation OVE. La colère d’Ivannh Mitory, pourtant, n’est pas restée vaine : un projet alternatif a été échafaudé en trois mois à peine avec le soutien de la municipalité d’Herblay (lire l’encadré).

Une drôle de proposition

C’est ainsi qu’un matin de mars 2016, en centre-ville, un message inhabituel, signé de la commune et de la police municipale, a été déposé par les agents sur les pare-brise des voitures bloquant les places pour PMR, ainsi que les trottoirs et les passages piétons. Il proposait une alternative : payer l’amende de 135 euros ou bien se rendre au poste de police. Là, les automobilistes étaient invités à suivre une séance de sensibilisation au handicap, de deux heures environ, au centre de vie Passeraile. En quatre matinées, l'avis a été apposé sur 69 véhicules mal garés. Près des deux tiers des conducteurs se sont présentés au poste et presque tous ont accepté de se rendre au FAM.

Là, sur son fauteuil roulant, Ivannh Mitory les attendait, au côté d’un éducateur spécialisé en mesure de répéter ses propos au cas où ils seraient mal compris, et de représentants de la municipalité. À chaque séance, face à lui, une vingtaine de « stagiaires » auxquels ont été projetées quelques vidéos de sensibilisation, dont certaines tournées à Herblay. L’une d’elles, par exemple, montrait tout le détour qu’une voiture garée sur un passage piétons imposait à Ivannh Mitory… « Je les ai interrogés, raconte le militant. Si eux aussi se trouvaient en fauteuil, bloqués par une voiture, comment feraient-ils ? Personne n’a su me répondre… » La sensibilisation, enfin, comportait des travaux pratiques : les stagiaires ont pu s’essayer au fauteuil roulant et tenter de descendre du haut d’un trottoir, juchés sur leurs quatre roues…

Naturellement, si ces conducteurs indélicats avaient consenti au stage, sans doute était-ce d’abord pour s’épargner une amende de 135 euros. « Mais certains étaient vraiment choqués », rapporte le formateur amateur. « J’ai même vu des dames pleurer », ajoute Bernard Vilain, conseiller municipal investi dans l’opération.

Un code de bonne conduite

Pour sa part Gérard Joux, un automobiliste repenti, assure s’être depuis racheté un code de bonne conduite. « Je m’étais garé sur un trottoir le temps d’une prise de sang, sans penser que je gênais, témoigne-t-il. Ce stage m’a été utile : j’ai compris que stationner sur un trottoir pouvait être handicapant. J’en suis ressorti en me disant qu’il fallait que j’agisse autrement ! Et depuis, je ne l’ai jamais refait. » À la police municipale, l’adjointe au chef Patricia Couderq ressent elle-même que depuis l’expérience, « les gens respectent davantage les places de stationnement, du moins en centre-ville ».

Comment expliquer ce succès avec seulement 41 stagiaires sensibilisés ? « Nous avons communiqué dans le magazine municipal », précise Johann Ros, adjoint au maire délégué au handicap. Au Centre Passeraile, Teddy Toussaint, un autre habitué des sorties en ville sur fauteuil roulant, confirme cette impression : « Cette action a vraiment touché les gens. Aujourd’hui nous avons plus d’espace pour circuler ! Mais il faudrait la renouveler pour toucher plus de monde encore. » Le maire d’Herblay en a précisément l’intention… « Heureusement qu’il y a des gens comme Ivannh pour faire bouger les choses », félicite Teddy Toussaint. Face à lui, son compagnon de FAM jubile. Il est d’ailleurs volontaire pour réitérer l’opération.

« Cela a beaucoup coûté à Ivannh de parler en public de son handicap », tempère le directeur. Mais l’initiative, indéniablement, a permis de conforter la place des résidents à Herblay, même si leur mobilité est encore trop souvent entravée par des obstacles. « Jusqu’à quand demandera-t-on aux personnes en situation de handicap d’être aussi patientes ? », interroge Stéphane Bengono.

Des citoyens à part entière

Naturellement, cette initiative d’un résident, relayée par les élus locaux et les services municipaux, assoit un peu plus les pensionnaires du FAM comme des citoyens à part entière. Comme le souligne le directeur, les habitants ont ainsi pris conscience qu’il fallait « faire une place » à ces voisins handicapés. Quant aux résidents, les voilà encouragés à « être militants de leur vie citoyenne, se réjouit Alain Clémenceau. Aucun droit n’a jamais été offert, même pour les personnes valides. Il faut combattre ! »

Même pour le personnel de Passeraile, l’expérience a été gratifiante. Outre la mention lors du Trophée Direction[s] 2017 [1], l’initiative a été saluée d’un prix de l’Union départementale des centres communaux d’action sociale du Val-d’Oise. « Ce résultat, toute l’équipe y a contribué », apprécie Alain Clémenceau. Et Stéphane Bengono d’énumérer toutes les compétences mobilisées : « Il aura fallu des aides-soignants et des aides médico-psychologiques pour lever Ivannh et lui faire sa toilette, un psychologue pour le soutenir, un ergonome pour adapter son fauteuil, un éducateur pour traduire ses propos aux stagiaires… Nous avons pu montrer à tous tout l’intérêt de travailler ensemble », conclut le directeur.

Au regard de tous ces bénéfices, l’opération n’aura finalement coûté que les quelques amendes perdues pour la municipalité… N’a-t-elle donc pas déjà été imitée dans d’autres localités ? Ivannh Mitory l’ignore : « Mais j’aimerais beaucoup que d’autres s’en inspirent ! » Inutile, cependant, de compter sur lui pour s’engager en politique. « Moi je suis plus un sportif. » À chacun sa place.

[1] Mention dans la catégorie Promotion de la citoyenneté et de la participation des usagers du Trophée Direction[s]

Olivier Bonnin. Photos : William Parra

« Nous allons rééditer cette opération »

Philippe Rouleau, maire (LR) d’Herblay

« Quand on m’a proposé de participer à l’action du Centre de vie Passeraile, j’ai trouvé excellente l’idée de sensibiliser ainsi les automobilistes au respect du Code de la route. Et les policiers municipaux se sont tout de suite mobilisés. Ce, d’autant que la ville d’Herblay est sensibilisée aux problématiques des personnes handicapées. J’ai par exemple un adjoint chargé du handicap, et nous avions déjà un partenariat avec la structure. En 2015, la ville a ainsi organisé un "permis fauteuil" pour les résidents afin d’éprouver leur capacité à circuler en ville en toute sécurité. J’ai remis ainsi le certificat aux personnes reçus à l’examen. Ces derniers sont des Herblaysiens comme les autres, si ce n’est qu’ils ont davantage de difficultés. J’envisage de réitérer l’opération de sensibilisation dès le printemps. »

En chiffres

  • 45 places de FAM, dont 39 en hébergement permanent, 1 en temporaire, et 5 en accueil de jour
  • 77 salariés, soit 68,6 équivalents temps plein (ETP)
  • 69 infractions ont été constatées en 4 jours : 41 contrevenants ont choisi de suivre la sensibilisation, 28 ont payé l’amende de 135 euros.

Contact

01 34 18 37 00

Publié dans le magazine Direction[s] N° 164 - mai 2018






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