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Tribune de Pierre Savignat
"L’évaluation externe ne doit pas affaiblir l’autorisation"

09/11/2011

Le renouvellement de l’autorisation des établissements et services sociaux et médico-sociaux doit-il être conditionné aux seuls résultats de l’évaluation externe ? Pierre Savignat, membre du comité scientifique de l’Anesm de 2007 à 2010, ouvre le débat . Et propose des pistes d’évolution.

L'approche des dates butoir pour renouveler les autorisations, le développement encore limité des évaluations externes, le manque d'expérience et de recul sur ce qu'elles doivent être et comment y procéder, génèrent des difficultés réelles sur le terrain. Et notamment le risque, non négligeable, de voir s'appauvrir considérablement le processus de renouvellement des autorisations, voire les évaluations elles-mêmes. Autant de raisons pour réinterroger le lien entre ces deux procédures.

L'évaluation externe, une réalité instable

D'une part, la commande publique fait encore l’objet de plusieurs lectures et d’une pluralité de pratiques, d’autre part, la proximité des échéances risque de réduire la portée de l’évaluation externe. L’absence d’éclairages sur le décret du 15 mai 2007, qui fixe le cahier des charges de l’évaluation externe, tant sur ce qui est demandé que sur les principes méthodologiques, conduisent les pra­tiques à osciller entre l’audit (plus ou moins participatif) et l’évaluation comprise au sens des politiques publiques.

En effet, pour certains, l’évaluation porte essentiellement sur le constat d’écarts, privilégiant la conformité (vérification) plutôt que l’analyse. Or, si les constats sont la base de l’évaluation, son cœur reste bien l’analyse qualitative, intégrant et confrontant les différents points de vue, afin de porter une appréciation argumentée. Même si le chapitre du cahier des charges déclinant quinze registres et thématiques à examiner obligatoirement peut entretenir des ambiguïtés, celui relatif aux objectifs généraux donne le sens en précisant que l’évaluation externe doit permettre une approche globale, notamment au regard de cri­tères de pertinence, de cohérence, d’efficacité et d’efficience. Reste que ces ­pluralités de lecture se traduisent par des résultats d’évaluation très disparates et d’intérêt inégal.

Par ailleurs, selon l’ Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), il n’y aurait qu’autour d’un millier d’évaluations externes, réalisées ou en cours. Les échéances approchant, un projet de décret (2) vise à rendre obligatoire une synthèse qui serait jointe au rapport d’évaluation et transmise en même temps aux autorités publiques concernées. Cela répond notamment à une demande des agences régionales de santé (ARS) et de conseils généraux, inquiets devant l’afflux prévisible de rapports. Le principe d’une synthèse, prévue par le décret du 15 mai 2007, est légitime. Mais elle doit permettre une appréciation qualitative et ne peut être que sous la forme d’un écrit mettant en évidence les principaux points du rapport et renvoyant explicitement à ce décret. Dans le cas contraire, il y a un risque réel de voir la synthèse évincer de fait le rapport et conforter une approche réductrice de l’évaluation externe.
Ces interrogations sur l’évaluation externe et sa portée réelle sont accentuées par des incertitudes autour de la question de l’autorisation.

Droit commun et dérogations

À s’en tenir au seul chapitre sur l’autorisation, le Code de l’action sociale et des familles (CASF) est clair. Le droit commun est le renouvellement tacite. À titre dérogatoire, l’autorité publique (ou les autorités, selon les cas) peut, au regard du rapport d’évaluation, demander à la ­structure de déposer un dossier en vue d’un renouvellement explicite.

Reste que, outre les cas de retrait pour des raisons de dysfonctionnements graves, de non-respect de normes ou des motifs prévus en cas de situations financières problématiques, la question de l’autorisation est aussi posée, de fait, par les dispositions relatives aux schémas médico-sociaux. En effet, ceux-ci sont devenus opposables et peuvent déterminer précisément des structures à créer, à transformer ou à supprimer. Les deux derniers cas « impactent » de fait l’autorisation, d’autant que la période d’exécution d’un schéma est de cinq ans. D’une certaine façon, la suppression de l’autorisation, ou simplement sa transformation, ne semblent pas répondre au même formalisme que le renouvellement au bout de 15 ans. Cela mériterait d’être éclairci.

Le Sénat s’était, dans un premier temps, opposé à une limitation dans le temps des autorisations avant qu’un compromis s’établisse. Mais, outre les incertitudes soulignées plus haut, le fait de ne subordonner le renouvellement qu’aux résultats (c’est-à-dire au rapport)
de l’évaluation externe conduit à une forme de compétence liée qui laisse peu de marge de manœuvre aux autorités publiques.

Un risque de dévitalisation

En effet, l’évaluation externe, même si elle vise à permettre une appréciation globale, ne rend pas compte de tous les éléments qui peuvent conduire à un non-­renouvellement total ou partiel. Des raisons d’opportunité fondées sur la mise en place de telle ou telle poli­tique publique ou ses évolutions, des motifs relevant de la maîtrise de l’offre ou de l’égal accès sur tous les territoires, peuvent aussi justifier une telle décision. Il est légitime que les pouvoirs publics demandent aux structures non seulement de bien faire les choses, mais aussi de faire les « bonnes » choses au regard de l’intérêt général et de l’utilité sociale.

De plus, le lien étroit entre autorisation et évaluation externe risque de conduire, notamment à travers les ­contraintes de calendrier et de documents de synthèse très lacunaires, à une dévitalisation de la seconde, donnant un caractère très formel à la première. De fait le renou­vellement de l’autorisation pourrait devenir quasi automatique.

Par ailleurs, rappelons que le législateur a voulu disposer d’éléments sur ce que faisaient réellement les établissements et services, au-delà des simples indications budgétaires ou d’activité. L’insistance sur l’ouverture sur l’extérieur, par exemple, la façon dont concrètement ils déclinent les missions imparties, le recueil non seulement des points de vue des gestionnaires et des directions, mais aussi de ceux des personnels, des usagers et, le cas échéant, des familles, des bénévoles et autres partenaires illustrent la volonté des parlementaires. Les autorités publiques doivent pouvoir disposer d’informations détaillées et mises en perspective. Une réduction des résultats de l’évaluation externe les priverait de ces éléments qualitatifs et renforcerait le sentiment d’opacité du travail d’action sociale.
Les autorités publiques ont la responsabilité de la conception et de la mise en œuvre des politiques sociales, dans le cadre fixé par la loi. Elles doivent pouvoir agir sur ces deux registres et donc prendre les décisions qui en découlent dans les dispositifs à déployer. Accessoirement, elles sont habilitées à diligenter des enquêtes ou des audits. Des éléments en ­ressortent, mais sauf les cas de dysfonctionnements prévus par le CASF, il n’est pas possible de s’appuyer sur cela dans la décision relative au renouvellement de l’autorisation.

Un même objectif : mettre en valeur le travail réalisé

En fait, dès lors que le principe d’une autorisation pour une durée prédéfinie est établi, les autorités publiques devraient pouvoir s’appuyer sur un ensemble d’éléments, dont le rapport d’évaluation ­externe, mais aussi ceux ressortant de la mise en œuvre générale d’une politique publique. Ainsi elles disposeraient, sous le contrôle du juge, de véritables marges d’opportunité.

Dans une telle perspective, l’évaluation externe pourrait s’en trouver favorisée. Libérée de cette forme d’hypothèque, elle répondrait pleinement à sa finalité, c’est-à-dire per­mettre aux établissements et services d’une part, aux autorités publiques d’autre part, de disposer d’une appréciation globale de ce qui se fait réellement, de la façon dont ils répondent aux missions imparties et des effets des actions sur les usagers, en s’appuyant sur un regard extérieur. Les éva­luateurs externes seraient incontestablement dans une posture facilitant leur travail et leurs marges de liberté. Les autorités publiques pourraient examiner les rapports en fonction de leur agenda et de celui des structures, sans risque ­d’embolisation. Le rythme prévu, à savoir tous les sept ans, reste pertinent. Les résultats de l’évaluation externe pourraient aussi appuyer des négociations d’objectifs et de moyens, servir de points d’appui dans l’élaboration des schémas et dans les débats qui les précèdent, conforter les propositions dans le cadre des appels à projet, fonder de réels échanges sur les projets d’action à caractère expérimental, voire nourrir les discussions budgétaires.

Chaque partie y trouverait donc des avantages, sans trahir la volonté initiale du législateur. Quant aux acteurs qui s’inquiéteraient d’un risque du « fait du prince », c’est du contraire dont il s’agit. Car cela donnerait pleinement à ­l’évaluation externe son rôle de mise en valeur du travail réalisé et contribuerait à un dialogue enrichi sur les contenus et adapté aux différents types de négociation avec les ­pouvoirs publics. La question mérite donc d’être débattue.

 

(1) Lire Direction(s) n° 79, p. 26

(2) Lire Direction(s) n° 89, p. 10

Pierre Savignat

Carte d’identité

Nom. Savignat

Prénom. Pierre

Fonctions. Maître de conférences associé à l’UPMF (Grenoble 2). Co-animateur du groupe « évaluation et action sociale » de la Société française de l’évaluation. Membre du conseil scientifique de l’Anesm de 2007 à 2010. (Depuis fin 2010, le conseil de l’Anesm n’a toujours pas été renouvelé. Pourtant son rôle est de donner un avis sur les recommandations de l’Agence.)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 90 - décembre 2011






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