Comme chaque année, la Cour des comptes a publié en mai son rapport relatif à l’application des lois de financement de la Sécurité sociale [1]. Elle y relève une nette dégradation de la situation financière des établissements et services médico-sociaux (ESMS) financés par l’assurance maladie, dédiés aux personnes âgées et handicapées les plus vulnérables. La situation n’est pas nouvelle mais la Cour des comptes déplore son aggravation à la lumière des données financières qui lui ont été communiquées au titre de l’exercice 2023. Les chiffres indiquent que 59 % des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) présentent désormais une situation déficitaire. Les Ehpad publics et privés sans but lucratif sont les plus affectés. 64 % d’entre eux présentent des déficits, contre 27 % de leurs homologues à vocation commerciale. Et pour le champ du handicap, ce sont 49 % des établissements pour adultes qui se trouvent en déficit, parmi lesquels une majorité d’établissements sous gestion publique. Forts de ces constats alarmants, les auteurs du rapport concentrent leurs préconisations sur la mise en œuvre de regroupements destinés à rationnaliser l’offre et favoriser des mutualisations portant en particulier sur le domaine des achats.
Une situation grave et des enjeux sous-estimés
L’analyse conduite apparaît bien sobre au regard de la gravité de la situation et des enjeux qu’elle revêt. Ce sont plus d’un million de personnes âgées ou handicapées dépendantes qui sont accompagnées en France par des établissements et services spécialisés (600 000 résidents en Ehpad [2] et près de 500 000 personnes handicapées accompagnées par des structures spécialisées [3]). Les incertitudes croissantes qui pèsent sur le devenir des opérateurs viennent directement mettre en péril l’avenir de ces populations.
Des opérateurs commerciaux qui captent
La Cour des comptes souligne que le marasme est moins marqué pour les structures privées lucratives. Elle se garde de commenter ce constat, qui ne manquera pas d’interpeller le lecteur. On pourrait aisément déduire des chiffres présentés que les opérateurs commerciaux sont plus performants et mieux organisés que leurs homologues publics ou associatifs. Ce serait omettre de considérer les différences d’approche en matière de public. De même que pour les hôpitaux ou pour les contrats d’assurance, les entreprises commerciales privilégient les accompagnements les plus rentables pour laisser le soin au secteur public ou associatif d’assurer la prise en charge des populations plus exigeantes et moins rémunératrices.
Les dynamiques observées viennent directement questionner les orientations publiques en faveur de l’ouverture de champs d’activité d’intérêt général, tel que ceux de la santé et du social, à des opérateurs commerciaux. Ces choix politiques contribuent directement à affaiblir l’équilibre du modèle, fragilisé par les captations de valeur opportunistes observées.
Un diagnostique incomplet
Les conclusions du rapport renvoient exclusivement la responsabilité des difficultés financières rencontrées aux gestionnaires et à leur organisation, considérant que la solution au problème se trouve dans les rapprochements qui pourront être opérés et les améliorations de processus à en attendre. Le diagnostic est un peu court, susceptible d’interpeller les spécialistes du secteur. On peut certes interroger la responsabilité des opérateurs et l’efficience de leurs organisations. Nombreux sont cependant les arguments qui permettent d’en relativiser la portée. Les exigences imposées qui conditionnent le maintien des agréments imposent aux gestionnaires une réelle rigueur d’administration et ne laissent guère de place à l’approximation. Leurs autorités de tutelle qui exercent un contrôle permanent sur leurs comptes n’ont pas révélé d’écarts de fonctionnement de cette ampleur autrement que sur des cas isolés. La dérive à laquelle fait référence la Cour des comptes (elle fait état pour la première fois en 2024 [4] de problèmes déficitaires affectant les ESMS) intervient en revanche en parfaite concordance avec les tensions inflationnistes, les mesures de revalorisations salariales non couvertes, et les difficultés de recrutement du secteur imposant un recours plus important à l’intérim [5].
Il peut s’entendre que l’État n’ait pas pu ajuster ses financements, dans un contexte de tensions budgétaires, et la nette dégradation financière observée dans le secteur trouve surtout ses origines dans son financement, ce que viennent confirmer les rapports parlementaires publiés sur le sujet [6].
Des marges d’actions limitées face à l’État qui réduit la voilure
Les opérateurs n’ont jamais cessé d’œuvrer à parfaire leurs modèles économiques et les difficultés qu’ils rencontrent les y incitent encore davantage. Leurs marges d’action sont toutefois bien étroites quand leurs processus d’achats sont déjà largement optimisés, s’appuyant généralement sur des centrales et des services structurés.
Trop souvent érigés en modèle par les autorités, les regroupements peuvent revêtir certains avantages mais ne représentent pas pour autant la panacée en matière d’efficience économique. Les structures de taille importante ou affiliées aux principaux groupes et réseaux ne sont d’ailleurs en rien épargnées par les difficultés financières. Interpeller la responsabilité des opérateurs nécessiterait de définir, en premier lieu, des normes acceptables en terme de coûts de fonctionnement et de mesurer les écarts éventuels.
On ne peut toutefois procéder de la sorte sans prendre le risque de devoir objectiver une problématique d’insuffisance de financement. Ce serait démontrer que l’État n’a plus les moyens de tenir ses engagements et fait directement supporter au secteur et aux populations qu’il accompagne les limites de sa politique.
[1] Rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, Cour des comptes, mai 2025
[2] Enquête EHPA 2019, Drees, octobre 2022
[3] Le handicap en chiffre, Panorama de la Drees, 2023
[4] Rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité Sociale, Cour des comptes, mai 2024
[5] Lire Direction[s] n° 245, pp. 22-29
[6] Ehpad, un modèle à reconstruire, rapport d’information commission des Affaires sociales du Sénat, septembre 2024
Guillaume Préveraud, directeur général de l’Adapei Charente