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Tribune
« L’autodétermination, une révolution en cours »

01/10/2025

Droit des personnes à disposer d’elles-mêmes : l’autodétermination est un concept limpide mais son application aux publics vulnérables l’est moins. Pour sortir de l’affirmation de principe sans se heurter aux limitations réelles ou supposées des personnes, Jean-René Loubat propose une autre voie pour en faire un moteur de la transformation de l’offre.

Depuis peu, le terme d’autodétermination a conquis les textes, rapports, séminaires et autres colloques pour devenir quasiment l’alpha et l’oméga de la transformation de l’offre médico-sociale. Le récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) [1] n’énonce-t-il pas que « l’autodétermination est un concept incontournable de la transformation de l’offre sociale et médico-sociale dans le secteur du handicap à deux titres : c’est un axe central de la transformation de l’offre et c’est également un levier de transformation ».

Certes, nos amis québécois ont beaucoup contribué à la diffusion de cette traduction de self-government, concept psychosocial ancien largement utilisé dans diverses démarches de développement personnel au même titre que self-concept, self-esteem, self-enterprise, etc. Jusqu’alors, le vocable français d’autodétermination était peu utilisé à titre personnel mais essentiellement en géopolitique, comme lorsque le général de Gaulle évoquait « l’autodétermination comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le référendum d’autodétermination se trouvait alors associé au processus de décolonisation et à l’émergence de nouveaux états dans les années soixante. Depuis, les référendums de ce type se sont multipliés comme ceux d’Écosse, de Catalogne ou de Nouvelle-Calédonie, sans parler du fameux Brexit du Royaume-Uni.

« I only believe in me ! »

Il est vrai que transposé à une échelle individuelle, le concept d’autodétermination possède la même signification : droit des personnes à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire d’orienter leur destinée, ce que l’on appelle aujourd’hui un parcours de vie. A priori, le sens du concept s’avère donc des plus limpides, ce sont ses mises en application qui le sont moins. Le lien entre les échelles politique et personnelle n’est pas fortuit. Ce n’est pas un hasard si le concept de « soi » a été particulièrement développé par des auteurs américains car c’est l’entité politique par excellence qui s’est historiquement autodéterminée. La sensibilité individualiste, née des Lumières, du protestantisme et du libéralisme, a en effet trouvé son terrain de prédilection au sein des courants fondateurs des États-Unis. On doit notamment au philosophe et psychologue William James (1890) cet intérêt pour « The consciousness of Self [2] ». James définit le soi comme la totalité de tout ce que l’individu peut considérer comme sien : corps, capacités, biens, travail, relations, ancêtres, réputation, etc. Le soi se projette ainsi sur des extensions, passant du propre à la propriété via le processus d’appropriation. Cette définition n’est pas sans relation avec le courant de l’individualisme possessif développé par les philosophes anglo-saxons des XVIIe et XVIIIe siècles [3]. Ultérieurement, des psychosociologues et anthropologues célèbres, comme Charles Horton Cooley (1902) ou George Herbert Mead (1934), s’intéresseront plutôt au soi comme processus de structuration de la personnalité par l’influence du milieu et déboucheront sur les notions d’image de soi et de soi social.

Après la Seconde Guerre mondiale et l’important développement des sciences humaines, les courants de pensée se multiplieront et rivaliseront dans les diverses acceptions (Gordon, Sarbin, Sullivan, Staines, Ziller, Allport, Rogers) [4] au point où l’on peut dire que la psychologie américaine deviendra une « psychologie du soi ». Des formules comme self-assertion (affirmation de soi) ou self-esteem (estime de soi) deviendront des mantras vulgarisés du développement personnel et envahiront le lexique des relations humaines. On dira, par exemple, qu’un burn-out peut résulter de l’effondrement de l’estime de soi ou que la réhabilitation sociale passe par une meilleure image de soi… Sans entrer dans le labyrinthe des courants psychologiques, il est clair que l’autodétermination (self-government) découle de cette émergence du soi comme phénomène civilisationnel (entériné par l’ex-Beatles John Lennon : « I only believe in me ! »).

Éthique et sujet de droit sont élastiques

L’autodétermination constitue l’aspect pragmatique du concept de soi car elle suppose de prononcer des choix et des prises de décision qui ne sont légitimés que par la reconnaissance extérieure d’une entité, y compris juridiquement : le sujet de droit. Cette dernière catégorie issue de la philosophie du droit a considérablement évolué au fil du temps. Dans l’Antiquité et jusqu’au début du XIXe siècle, les esclaves, par exemple, étaient considérés comme des biens (meubles). Durant longtemps, le père avait droit de vie et de mort sur ses enfants. Les débats réitérés sur l’avortement et la fin de vie mettent en lumière les limites du sujet de droit : à partir de combien de semaines ou de mois un fœtus le devient-il ? Un individu se possède-t-il et peut-il mettre un terme à ses jours [5] ? Il y a peu encore, les femmes de notre pays n’avaient pas le droit de voter ni d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari…

L’autodétermination, en tant que possibilité de prononcer des choix et de prendre des décisions, implique la reconnaissance en qualité pleine et entière de sujet de droit. Précisément, certaines catégories sociales n’étaient pas pleinement reconnues comme telles, comme les personnes dites « malades mentales » ou handicapées. Jusqu’à peu – et parfois encore aujourd’hui –, des institutions et leurs acteurs prenaient des décisions pour elles dans leur intérêt supposé. La progression des droits individuels au sein des pays occidentaux, qui s’est considérablement accélérée au cours de l’après-guerre – suite au traumatisme des systèmes totalitaires [6] – a peu à peu modifié la donne. Ces catégories stigmatisées recouvrent en quelque sorte leur capacité décisionnelle. La Convention internationale des droits des personnes en situation de handicap va dans ce sens. L’intervention en France de maître Devandas Aguilar, avocate des droits de l’homme mandatée par les Nations unies, pour examiner la situation des personnes concernées au regard de cette convention, atteste de cette nouvelle préoccupation.

L’éternel débat du libre-arbitre

Mais au-delà de la nécessaire reconnaissance de droit, accorde-t-on pour autant la pleine admission de cette autodétermination sur le plan moral et psychologique à toutes et tous ? Certains individus comme certains professionnels du soin, de l’éducation et de l’accompagnement, arguent des limites comme du danger que peut représenter l’autodétermination pour des personnes présentant des troubles psychiques ou des déficiences intellectuelles. D’aucuns parlent même de démagogie : l’autodétermination constituerait une doctrine niant les difficultés réelles de ces personnes. Le débat n’est certes pas impertinent, même s’il est vieux comme le monde : à savoir celui du libre-arbitre. En somme, deux positions s’affichent. L’une se prévaut d’une affirmation de principe, au nom d’une éthique universelle d’origine chrétienne, chaque être humain possédant une conscience et donc la possibilité de faire des choix qu’il doit assumer ; l’autre se veut plus rationaliste et argue de limites cognitives ne permettant pas à certains de prendre des décisions nécessairement pertinentes et lucides. Les deux positions s’entendent mais peuvent sans doute se transcender dans une troisième plus nuancée.

Tout d’abord parce que l’éthique est élastique et qu’elle épouse les sensibilités de son temps, il ne faut donc pas l’aborder de manière absolument rationnelle. Elle pose des évidences qui ne le sont plus ultérieurement. Ensuite, parce que la rationalité de nos choix et décisions s’avère très discutable et que l’on ne se pose pas la question de leur pertinence tant que l’on n’est pas désigné comme « malade mental » ou labellisé « handicapé ». Bien entendu, certaines décisions peuvent s’avérer objectivement non réalisables et mettre en danger les personnes, mais se pose-t-on la question pour des skieurs hors-piste, des sportifs de l’extrême ou tous ces individus qui s’inscrivent désormais massivement pour des marathons alors qu’ils en ignorent les conséquences à terme sur leur santé ? Demande-t-on à quelqu’un qui se marie s’il a commis un choix réfléchi ? À un citoyen lambda s’il connaît vraiment la personne ou le parti qu’il élit ? Les comportements de nombre de nos contemporains sont-ils véritablement rationnels ? Pourquoi dès lors interdirions-nous à certains ce que nous acceptons pour d’autres au seul prétexte que les premiers seraient moins lucides que les seconds ?

À décliner dans les pratiques

Enfin, l’autodétermination ne signifie pas tout accepter sans broncher. Le travail des professionnels de l’accompagnement ne consiste pas à juger des choix des personnes mais à attirer précisément leur attention sur les prérequis et les conséquences de ces choix, à les aider à se confronter à un principe de réalité. Il n’a jamais été dit que l’autodétermination – pour qui que ce soit, personne ou État – était un long fleuve tranquille… Il est clair que l’autodétermination a conquis une place centrale dans la question de la situation de certaines catégories de populations au sein de nos sociétés. Elle est éminemment corrélée avec la doctrine inclusive qui prévaut aujourd’hui. Le rapport de l’Igas précité la désigne comme « la capacité pour une personne à faire ses propres choix et à exercer un contrôle sur sa vie. Dans le secteur du handicap, elle signifie que les personnes concernées construisent leur parcours de vie selon leurs besoins, leurs aspirations et leurs objectifs ».

Cela indique que l’autodétermination doit se décliner dans les pratiques d’accompagnement et modifier les organisations professionnelles concernées : « La transformation de l’offre est ainsi l’une des conditions de l’autodétermination. Le libre choix des personnes n’est possible que par la diversité des prestations proposées », nous dit le même rapport. L’accompagnement des personnes en situation de handicap ne peut dès lors que se réaliser de manière strictement personnalisée, dans le milieu de vie de leur choix. Cette singularité va à l’encontre d’organisations rigides, d’une vie collective imposée et de packages de prestations standardisées. L’émergence de nouvelles organisations (plateformes de services) comme de facilitateurs et de coordinateurs de parcours indépendants devient la condition même du respect des projets et des parcours de vie. 

Bref, l’autodétermination est devenue le détonateur d’une révolution culturelle et structurelle, déjà pressentie et réalisée sous d’autres cieux. Cette reconnaissance va entraîner logiquement un autre débat, financier cette fois : celui de la solvabilisation des personnes concernées via un « budget personnalisé ». À suivre.

[1] Handicap : comment transformer l’offre sociale et médico-sociale pour mieux répondre aux attentes des personnes ?, rapport n° 2025-017R, Igas, janvier 2025

[2] Principles of Psychology, William James, chapitre X, New-York, Henry Holt and Company, 1890

[3] La Théorie politique de l’individualisme possessif – De Hobbes à Locke, C. B. MacPherson, Gallimard, 1971

[4] En France, ce sont les psychologues Wallon, Zazzo et Lécuyer qui seront les développeurs de ce concept

[5] Il y a encore peu, les suicidés n’avaient pas le droit à un enterrement chrétien et à une place dans un cimetière. Dans certains pays le suicide était un délit, comme en Angleterre

[6] C’est l’étude de leur fonctionnement qui a été à l’origine de l’antipsychiatrie et de la désinstitutionalisation

Jean-René Loubat

Carte d’identité

Nom. Jean-René Loubat

Parcours. Psychosociologue, docteur en sciences humaines.

Fonctions. Consultant, président d’honneur du think tank Parcours et innovations.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 245 - octobre 2025






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