
« Les équipes nous exposent la situation et notre objectif est d’aider au décentrage », indique le docteur Festus Body-Lawson.
Mieux s’entendre pour mieux soigner et mieux accompagner les personnes qui ont une culture différente de la nôtre : tel est l’objectif de l’approche transculturelle. Cette discipline peut être désignée sous plusieurs vocables ayant chacun leurs spécificités : ethnopsychiatrie, ethnopsychologie, ethnopsychanalyse, consultations transculturelles, interculturelles... Elle est apparue aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale et s’est développée en France dans les années quatre-vingt autour de Georges Devereux et Tobie Nathan.
En deuxième intention
Les consultations transculturelles s’adressent à des familles migrantes, des mineurs non accompagnés ou encore à des enfants adoptés, en souffrance psychique. « Nous intervenons toujours en deuxième intention, lorsqu’une équipe est en difficulté », indique la psychiatre Marie-Rose Moro [1], qui dirige la Maison de Solenn et préside l’Association internationale d’ethnopsychanalyse. Les difficultés rencontrées par les équipes peuvent être variées : refus d’effectuer un soin ou de prendre un traitement, volonté de faire appel à un marabout-guérisseur plutôt que de suivre les soins ou l’accompagnement proposé, attribution d’une maladie ou d’un handicap à un djinn ou au mauvais œil…
Pour lever ces incompréhensions et rétablir la communication, un « décodage culturel » peut s’avérer nécessaire. Parentalité, alimentation, éducation, santé… « Tout est culturel », explique Marie-Rose Moro. Le rôle de l’ethnopsy est tout d’abord d’effectuer un « décentrage de sa propre culture » : avoir conscience qu’il y a plusieurs manières de faire, puis de réagir correctement, sans a priori face à l’altérité, en effectuant un contre-transfert culturel pour comprendre le comportement d’autrui. Une seule consultation peut suffire à lever les incompréhensions mais un suivi plus long peut aussi être nécessaire. Dans tous les cas, la présence et la participation active des professionnels – soignants ou travailleurs sociaux – sont recommandées lors des consultations.
Aider au décentrage
L’entretien peut, de plus, se dérouler en présence d’un interprète. « Les patients peuvent ainsi s’exprimer dans leur langue maternelle – la langue de l’intime –, ce qui contribue à créer un univers sécurisant où ils peuvent plus facilement exprimer leurs émotions », estime Festus Body-Lawson. Ce psychiatre est responsable de l’équipe mobile d’intervention ethnopsychiatrique (EMIE) du centre psychothérapique de Nancy. Composée de deux psychologues et de deux infirmiers, l’EMIE intervient à la demande de soignants, d’équipes éducatives, des services de l’aide sociale à l’enfance, de la protection maternelle et infantile ou de professionnels travaillant dans les écoles qui se trouvent en difficulté dans la compréhension des symptômes ou des comportements des usagers. « Les équipes nous exposent la situation de blocage et notre objectif est d’aider au décentrage. Nous ne prétendons pas détenir le savoir sur toutes les cultures. C’est le patient ou l’usager qui est expert de sa propre culture, poursuit le psychiatre. Notre but est d’apporter des outils et des éléments de compréhension aux professionnels en difficulté. »
Côté formation, il existe un diplôme universitaire de Psychiatrie et compétences transculturelles ou un master de recherche Psychologie clinique interculturelle et transculturelle. Pour Marie-Rose Moro, « tous les professionnels du social et du médico-social travaillant auprès de migrants devraient être sensibilisés au moins une ou deux journées au transculturel ».
[1] Autrice d’Aimer ses enfants ici et ailleurs – Histoires transculturelles, éd. Odile Jacob, 2007
Aurélie Vion
Avis d’expert
Emmanuelle Deffontaines, ethnopsychologue à la maison Estrella (France terre d’asile, Créteil)
« Je travaille depuis sept ans dans ce foyer qui accueille quarante mineurs non accompagnés. En tant que psychologue, mon rôle est d’être à l’écoute des jeunes. Mon travail consiste aussi à les orienter si nécessaire vers les structures de soins. J’interviens également auprès des équipes, lorsque des collègues s’inquiètent ou se heurtent à des refus. Je peux soit accompagner l’éducateur seul pour l’aider à prendre du recul et comprendre ce qui se joue, ou proposer un entretien à trois avec le jeune. Mon rôle s’apparentera alors à de la médiation. L’approche transculturelle est très enrichissante dans ma pratique : elle m’a appris l’humilité et le décentrage car elle ouvre le champ des pensées, ce qui est essentiel dans notre travail où la temporalité est souvent celle de l’urgence. Si la dimension culturelle compte dans l’accompagnement des jeunes, il y a d’autres aspects importants qui rentrent en jeu : la question du psychotrauma, de l’exil, la précarité sociale, administrative… »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 247 - décembre 2025