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Tribune de J.-F. Bauduret
« Directeur, une fonction à revaloriser »

01/04/2015

Pour Jean-François Bauduret, la dynamisation du champ social et médico-social passe par l’affirmation des missions des directeurs de structures. Il prône une homogénéisation entre le public et le privé, et insiste sur la bonne articulation de toute la chaîne hiérarchique.

Jean-François Bauduret

L’interprétation de la partition sociale et médico-sociale nécessite, sur le terrain, un chef d’orchestre. Dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), le rôle dévolu au directeur est de plus en plus complexe, technique, et nécessite une polyvalence de compétences de plus en plus étendue. Désormais, chaque établissement ou service social et médico-social se situe à la confluence de deux séries d’impératifs : en interne, les exigences de la personne morale gestionnaire et, surtout, celles des usagers et de leurs entourages, qu’il s’agisse de l’exercice de leurs droits ou de la qualité des prestations, de plus en plus individualisées, à délivrer ; en externe, les exigences accrues de rationalisation liées aux fortes tensions budgétaires et aux procédures multiples pour réorganiser l’offre (schémas, appels à projets, mutualisations, contractualisation…). Les directeurs peuvent donc parfois se sentir pris en étau par cette double pression, ascendante et descendante.

Le référentiel professionnel du Certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale (Cafdes) (1) décrit assez bien le contexte de leur intervention, dans sa polyvalence et sa complexité : un métier reposant sur un « socle de compétences fondamentales et une adaptabilité aux multiples conditions d’exercice », des professionnels assurant le management des ressources humaines, l’animation des équipes – dont celle de direction, la gestion économique, financière et logistique –, et contribuant à l’évaluation des politiques sanitaires et sociales « en apportant leur expertise technique fondée sur la connaissance du terrain et guidée par une exigence éthique et déontologique de l’intervention sociale ».

Au four et au moulin

A l’exception de certains directeurs généraux animant les plus grosses entités « multi-établissement » (pouvant s’appuyer sur une équipe de direction relativement étoffée, et donc sur un partage des rôles et une délégation des tâches), la majorité des directeurs est le plus souvent au « au four et au moulin » : diversifier les prestations, animer les équipes, garantir les équilibres interdisciplinaires, prévenir les effets de burn-out, gérer les conflits tant avec les professionnels qu’avec les usagers, organiser la qualité, négocier avec les autorités de tarification, maîtriser une gestion budgétaire et financière pluriannuelle et contractualisée, penser la stratégie de la structure et de son projet (régulièrement actualisé) au sein d’un ensemble territorialisé plus large et, de surcroît, articulé avec le sanitaire… La liste est longue et l’éventail des compétences requises extrêmement large. Nous sommes ici assez loin des directeurs d’hôpitaux, qui disposent, même au sein de centres hospitaliers de moyenne proximité, d’un DRH, d’un DAF et d’autres responsables techniques délégués. Même dans une logique de regroupements, l’action du directeur du secteur reste dans un rapport de proximité avec les différentes composantes de l’établissement ou service. Nul doute qu’il s’agit là d’un métier difficile et dont la technicité s’accroît au fil du temps. Des délégations de compétence sont bien sûr possibles, mais dans une mesure bien moindre que dans le champ hospitalier. Il faut à la fois savoir diriger l’orchestre et savoir jouer de tous les instruments… A cet égard, le directeur d’ESSMS se situe à la jonction des volets « qualité des prestations » et « qualité de l’organisation et de la gestion », tant en interne que dans son inscription territoriale et sa participation à un réseau coordonné. Mais satisfaire à cet objectif postule une évolution des textes, des méthodologies d’accompagnement plus qualitatives ainsi qu’une évolution des acteurs concernés.

Des missions à affirmer dans l’arsenal juridique

L’architecture juridique en vigueur n’est pas satisfaisante. La seule disposition commune applicable à tous les directeurs d’ESSMS quelque-soit le statut de l’organisme gestionnaire, concerne leur qualification (2). Sinon, il existe une distorsion réglementaire forte entre le secteur public et le secteur privé. Dans le premier, le rôle des directeurs y est clairement définit : ils représentent l’établissement en justice et dans tous les actes de la vie civile (3) et disposent d’une grande latitude en matière « de règlement des affaires, de gestion et de conduite générale del’établissement », de nomination des personnels, de réalisation et d’évaluation du projet d’établissement, d’organisation de la délégation de sa signature… Outre ce rôle propre, ils peuvent se voir déléguer certaines compétences du conseil d’administration.

Dans le privé, leur place manque de clarté. Leur rôle propre n’est précisé nulle part. En outre, le décret du 19 février 2007 relatif à la qualification se contente de mentionner (4) que leurs compétences et missions sont confiées par délégation de la personne morale gestionnaire. Cette disposition, très timorée, est de surcroît mal rédigée : elle indique que le document unique (DUD) précise « la nature et l’étendue» de la délégation. Une formulation qui peut limiter drastiquement son contenu, laissé à la discrétion de l’association gestionnaire.  

Le rôle des directeurs mérite aussi d’être mieux identifié et décrit dans les textes relatifs aux conditions techniques de fonctionnement des diverses catégories d’ESSMS. Soit ces décrets sont silencieux en la matière (Esat et Ehpad), soit ils se contentent de rappeler l’exigence de qualification, parfois le DUD (MAS, FAM, Samsah), mais sans dispositions spécifiques liées à la nature de l’établissement. Une exception notable : les directeur d’instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) se voient clairement reconnus, y compris au regard de la spécificité de la structure, et leurs responsabilités sont finement énumérées (5), englobant le respect de l’approche interdisciplinaire du travail en équipe, la vigilance sur la qualité de l’environnement et la sécurité des enfants ou encore le soutien et la formation des professionnels.

Des duos de direction

L’approche juridique n’est jamais inutile pour dynamiser un secteur et sa gouvernance. Mais elle est bien loin de constituer une condition suffisante dans la conduite du changement. Des accompagnements plus qualitatifs de bonne gouvernance s’avèrent également utiles. A cet égard, les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) prennent encore insuffisamment en compte la « dimension managériale » de la démarche qualité. Quant aux productions de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) dans le secteur médico-social, elles impliquent un rôle prépondérant des directeurs dans leur mise en œuvre : c’est assez bien le cas pour les travaux de construction du tableau de bord partagé des ESSMS, co-construit avec les professionnels et incluant des indicateurs clés d’analyse, favorisant le pilotage interne des diverses structures.

Il conviendrait également de travailler sur les bonnes pratiques des « couples stratégiques ». En premier lieu, celui « directeur général - directeur d’ESSMS ». Si les métiers sont comparables, ils ne sont pas équivalents, et la complémentarité ne doit pas étouffer les initiatives des seconds. Ici aussi, les délégations de compétences doivent être organisées, les seconds pouvant se voir confier des rôles transversaux. Il y a lieu d’ailleurs de s’interroger sur l’opportunité de dessiner un référentiel métier « directeur général », en synergie avec celui du Cafdes. Autre couple stratégique ? Celui constitué par les directeur et les chefs de service, dont le bon fonctionnement constitue un maillon essentiel à la construction d’un bon management.  

Pour conclure, deux exigences majeures sont parfaitement compatibles au sein de la fonction de direction : celle relative à la qualité des prestations individualisées en direction des publics vulnérables et celle de la bonne gestion des ressources humaines, mais aussi budgétaire, de la structure. Il n’y a pas lieu d’opposer la culture humaniste et de solidarité du champ social et médico-social à son efficacité gestionnaire : l’interpénétration de ces différentes valeurs (car la bonne gestion en est aussi une !) permet de fonder la performance d’un dispositif, dont le directeur est le garant.

Dans un ouvrage récent (6), Jean-Louis Deshaies observe que, « dans beaucoup d’institutions, il existe trop de non-dits et d’évitement sur les micro-maltraitances au quotidien ».  Il revient donc à l’encadrement de susciter (souvent avec l’aide d’un tiers) « un diagnostic partagé » faisant émerger ces disfonctionnements, libérant la parole des professionnels comme celle des usagers et définissant les sentiers pertinents d’amélioration, que le respect formel des textes sur les droits des usagers ne permettra jamais de prendre en compte. Le rôle du directeur est ici stratégique. De leur côté, François Noble et Gilles Bouffin plaident « pour une rénovation de la fonction de direction en positionnant les directeurs comme des entrepreneurs du social, artisans et garants de l’innovation et de l’adaptation du secteur associatif aux enjeux et défis à relever ». A cet égard, les auteurs  précisent : « Plus que jamais, l’optimisation du capital social de l’association, c’est-à-dire sa capacité de mettre en synergie les acteurs pour créer une véritable compétence collective, constituera le levier du directeur-entrepreneur pour la mise en œuvre du projet politique de l’association dans une relation contractuelle avec la puissance publique qu’il lui appartiendra de savoir pérenniser. »

Indéniablement, le directeur se situe bien à l’intersection de divers désidérata (usagers, professionnels, association gestionnaire, environnement territorial, pouvoirs et autorités publiques…), soit donc un dispositif complexe dont les tensions doivent être mises en convergence : un beau challenge à relever pour ledit directeur ! Les auteurs insistent sur le fait que, « désormais, l’entrepreneur social porte une triple responsabilité devant la collectivité publique : une responsabilité civique et éthique […], économique et sociale [et] un devoir d’initiative qui mobilise tous les acteurs, internes et externes, dans une approche raisonnée qui, tout en ouvrant d’autres espaces possibles de réponse aux problématiques sociales, prenne en compte le temps de l’appropriation pas les professionnels sans qu’ils soient détournés vers des modes régressifs ». On ne saurait mieux dire. Il reste aux directeurs d’être à la hauteur, sans corporatisme, de tels enjeux, certes ambitieux mais incontournables.

 

[1] Annexe 1 de l’arrêté du 5 juin 2007 relatif au Cafdes.

[2] Article L. 312-1 du CASF. Lequel précise que « ces établissements et services sont dirigés par des professionnels dont le niveau de qualification est fixé par décret ».

[3] Article 73 de la loi « 2002-2 », codifié à l’article L. 315-17 du CASF.

[4] Cf. art D.312-176-5 du CASF.

[5] Article D. 312-59-7 du CASF, décret du 6 janvier 2005.

[6] Briser l’omerta !, Presses de l’EHESP, 2014.

[7] Entreprendre et diriger en action sociale (gouvernance, dirigeance et management associatifs), Dunod, 2015.

Par Jean-François Bauduret

Carte d'identité

Nom. Bauduret

Prénom. Jean-François

Parcours. Directeur honoraire de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et vice-président du conseil scientifique et d'orientation de l’Anap. Un des rédacteurs de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. 

Publié dans le magazine Direction[s] N° 130 - avril 2015






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