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L’arrivée des groupes financiers : où se dégage le profit ?

07/10/2009

Si la concurrence existe dans l’action sociale, l’arrivée des groupes financiers sur cette « part » de marché est, en revanche, récente. Jacques Désigaux développe ici les impacts de cette révolution économique en termes de clientèle, de ressources humaines et de gestion du patrimoine.

Quelle est l'efficacité du secteur non lucratif dans la mise en place d'une rigueur de gestion ? Le fait que les groupes financiers se soient jusqu'ici assez peu intéressés à ce secteur pourrait être interprété comme un hommage rendu à la bonne gestion de ces dernières années : il y aurait peu de marges à dégager dans un secteur d'activité qui sait déjà fonctionner avec des moyens très comptés. La rationalisation de la gestion pratiquée sous la pression de la puissance publique depuis quelques décennies aurait été efficace. À l'inverse, si les sociétés lucratives sont prêtes à investir ce secteur, dans un contexte européen d'incitation à la libre concurrence, c'est qu'elles comptent pouvoir faire mieux en la matière.
À observer le secteur des personnes âgées que quelques grands groupes financiers ont déjà investi, on a des chances de voir s'esquisser les évolutions concrètes plutôt que de les fantasmer. Hors les risques d'abus, nous notons trois points sur lesquels le secteur lucratif marque à nos yeux clairement une différence : le choix de la clientèle, les coûts de personnel et la gestion du patrimoine.

Le choix de la clientèle

La porte d'entrée naturelle des groupes financiers dans l'action sociale a été le luxe. La « distinction », au sens où Pierre Bourdieu l'entendait (le besoin de « se distinguer » du vulgum pecus), a un prix qui permet de dégager des marges de profit, que l'on vende des articles de voyage, de l'hôtellerie, des logements ou des soins. La résidence pour personnes âgées aisées peut sans doute servir de référence pour une relation prestataire/client dans laquelle la satisfaction du client suffit à réguler un marché. Elle permet d'échapper à « l'horrible idéologie égalitariste » qui prévaut encore dans l'action sociale, en satisfaisant les désirs des clients et en particulier une attente importante quand on prend de l'âge : le besoin de reconnaissance, sur lequel l'action sociale traditionnelle se contente trop souvent de mots.
La régulation de ces entreprises par le marché a, par exemple, permis de passer d'une implantation dans des bâtiments de type « château à la campagne » à l'implantation urbaine que préférait cette clientèle-là. Il faut reconnaître que le transfert vers la ville de ce que l'on a appelé après-guerre les « châteaux de l'enfance inadaptée » avait pris beaucoup plus de temps et n'a jamais vraiment été menée à terme. Quant au style de relations qu'induit pour le personnel la conscience de fournir une prestation à un client qui la paie, certains établissements du secteur non lucratif s'essayent à le développer - en parvenant rarement à sortir d'un « comme si » aux airs de « Canada Dry ». Mais ce marché du luxe étant par nature assez restreint, on a vu les mêmes groupes proposer des produits plus « bas de gamme », comme la haute couture a besoin de se lier au prêt-à-porter et l'hôtellerie de luxe aux établissements de sortie d'autoroute. Si l'action sociale ne s'intéressait qu'à la marge à la clientèle aisée (financement des soins, surveillance du risque de maltraitance), l'arrivée des mêmes sociétés sur le marché des maisons de retraite pratiquant des prix standard et sur le marché de l'aide à domicile, constitue une concurrence plus réelle aux organismes non lucratifs, qu'ils soient publics ou associatifs.
Là, les choses se compliquent. D'une part, parce que le « client » financeur n'est plus que partiellement l'usager, l'aide sociale intervenant dans les financements et contrôlant de près les prix. D'autre part, parce que la possibilité de dégager des marges financières a plus de chances de se faire au détriment de la qualité du service. L'essentiel des profits va se jouer sur les deux autres aspects que nous allons examiner (le personnel et la gestion du patrimoine), ce qui ménage une possibilité d'intérêt du secteur lucratif pour d'autres bénéficiaires d'action sociale à gros budgets - mineurs délinquants (comme on gère déjà avec profit des prisons), personnes handicapées... Mais s'agissant des personnes âgées, nous avons rencontré aussi un jeu sur les « produits dérivés » : l'intervention du coiffeur, la mise à disposition de produits d'hygiène, le « supplément » pour tel ou tel avantage... peuvent constituer des gisements de profit marginaux mais non négligeables.

La gestion du personnel

Les gestionnaires du secteur non lucratif le savaient depuis longtemps, la masse salariale, représentant entre 70 et 80 % des dépenses de fonctionnement, constitue le terrain sur lequel il est possible de trouver des marges de manœuvre.
Le moindre remplacement des personnels en maladie, le recrutement de salariés jeunes de préférence, l'utilisation de tous les dispositifs subventionnés pour le recrutement des chômeurs, des jeunes, des personnes handicapées... la rationalisation des tâches à l'aide de protocoles très étudiés et bien d'autres techniques encore, qui constituent la boite à outils des GRH « modernes », ont déjà été utilisées dans les établissements non lucratifs.
Le secteur lucratif peut-il faire mieux ? Hélas pour les salariés - plus encore que pour les usagers - dans les faits, la réponse est oui.
La première raison est sans doute d'ordre idéologique : le secteur économique de l'action sociale non lucrative n'est certainement pas encore sorti d'une tradition d'humanisme historique qui affirmait que le bien-être des salariés soit la meilleure garantie du bien-être des usagers (ce qui n'est pas toujours vérifié dans les enquêtes de satisfaction des usagers).
Les conventions collectives de ce secteur (1951 et 1966 pour l'essentiel) ont été construites pendant la période des « 30 Glorieuses », à une époque de quasi plein emploi et dans un contexte où il était nécessaire de fidéliser un personnel qui partait facilement vers des postes de travail plus rémunérateurs. D'où cette survalorisation de l'ancienneté, à peine atténuée par des avenants récents, qui produit ce qu'elle visait, mais qui est aujourd'hui totalement à contre-courant : un personnel globalement stable, avec des problèmes de « burn out » qui ont un coût et une rémunération tenant compte davantage de l'ancienneté que de la performance professionnelle. Le marché du travail aujourd'hui se présente très différemment, avec un important volant de chômeurs bénéficiant de formations et prêts à sortir des affres du chômage en acceptant des situations plus précaires et moins rémunérées. Là se trouve sans doute le handicap concurrentiel majeur du secteur non lucratif et l'histoire nous dira en peu d'années s'il est capable de le dépasser - même si les services de contrôle sont appelés à une plus grande vigilance sur les risques de maltraitance.

La gestion du patrimoine

Dans le secteur non lucratif, la gestion du patrimoine a souvent été faite en amateur, « à la papa », en laissant la part de l'attachement sentimental au patrimoine, plus qu'avec des méthodes de gestion rigoureuse prenant en compte avant tout la rentabilité, le marché et la mobilité. Concernant les mobiliers et les matériels roulants, on peut penser que les écarts entre une gestion « lucrative » et « non lucrative » seront faibles. Par exemple, le choix d'un modèle de véhicule de neuf places a toute les chances d'être le même une fois pris en compte l'ensemble des critères incluant confort, entretien et longévité du matériel, effets d'image pour l'institution, ses usagers et son personnel.
On ne peut en dire autant pour la gestion des locaux. Pour être concurrentiel sur ce terrain, on peut s'inspirer de l'évolution du patrimoine hôtelier depuis l'arrivée des grands groupes financiers dans ce secteur d'activité : le coût des locaux est un élément de la rentabilité économique et le type d'architecture s'en trouve modifié. Si les pouvoirs publics n'ont pas vraiment rechigné sur l'utilisation des budgets sociaux pour l'entretien du patrimoine, l'obligation de la mise en concurrence pourra les conduire à moderniser les choix d'investissement. Mais sur ce point, si les révisions des politiques associatives doivent être douloureuses, on peut penser qu'elles se feront plus facilement que sur le chapitre de la gestion du personnel...

Risques d'abus

Avant d'en finir avec la rentabilité financière, un mot sur les risques d'abus : c'est souvent l'argument utilisé dans le secteur non lucratif pour combattre l'intrusion du profit. Les risques d'économies abusives sur les dépenses pour augmenter les marges au détriment de l'usager sont bien réels comme étaient réels dans le secteur non lucratif les risques d'excès de rigueur de gestion ou de détournement de la gestion pour le profit d'un directeur. Le risque de détournements à usage privé par un cadre semble plus limité dans les groupes financiers parce qu'ils exercent un contrôle extrêmement serré. En revanche, le risque d'économies conduisant aux confins de la maltraitance suppose une vigilance des Ddass, qui, à notre connaissance, exerce bien ces interventions de contrôle. L'intervention du lucratif devrait au moins obliger les pouvoirs publics à ne pas économiser sur les moyens du contrôle.
Mais les situations d'abus restent, à notre connaissance, marginales.

 

Le marché du travail aujourd'hui se présente avec un important volant de chômeurs bénéficiant de formations et prêts à accepter des situations moins rémunérées.

Jacques Désigaux

 

Carte d'identité

Auteur : Jacques Désigaux
Fonction : administrateur de Sida Info Service. Ex-directeur de l'Association Rhône-Alpes pour la formation des directeurs d'établissements sociaux. Fondateur et ancien gérant du cabinet Directransition, spécialisé en management de transition dans le secteur de l'action sociale.
Source : « Faut-il craindre la concurrence dans l'action sociale ? » à consulter sur www.directransition.com






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