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Soins en Ehpad
La fin du bras de fer avec les libéraux ?

06/07/2011

Les nouvelles modalités de coopération entre libéraux et directeurs se mettent en place. Non sans heurts. Et placent souvent les seconds en difficulté, faute de contrat de coordination.

« Compte tenu de la très grande sensibilité des représentants des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad] et des professionnels de santé libéraux […], il vous est demandé la plus grande précaution dans votre communication. » Tout est dit. S'adressant (1) aux directeurs des agences régionales de santé (ARS), la Direction de la Sécurité sociale (DSS) montre combien, dans cette affaire, les pouvoirs publics marchent sur des œufs… Au cœur de la discorde : les  nouvelles modalités de coopération (2) entre les Ehpad et les professionnels libéraux. Depuis le 1er avril dernier, plus question pour les médecins traitants et les kinésithérapeutes d'intervenir sans avoir, au préalable, signé un contrat (3) avec le directeur de l'établissement. Remise en cause de la liberté de choix du patient, de la liberté de prescription, insupportable lien de subordination avec le directeur, voire avec le médecin coordonnateur… Les arguments des détracteurs libéraux sont légion. Des oppositions qui ont notamment entraîné, en février, le dépôt d'un recours auprès du Conseil d'État par le Conseil national de l'ordre des médecins, en partie débouté. Ainsi qu'une très efficace campagne de boycott, lancée par certains syndicats de médecins, à l'instar de MG France, qui pointe le déséquilibre du contrat : « d'un côté, un individu, soumis à des obligations lourdes, et de l'autre, un établissement, plus puissant. » Inacceptable pour Jacques Battistoni, le secrétaire général du syndicat, qui appelle les généralistes à ne pas céder à la pression.

Du côté des kinésithérapeutes, la bronca est moins forte. Des professionnels moins concernés ? Non, mais souvent financièrement plus dépendants, analyse Yves Azzopardi, le délégué général de Conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes : « Les résidants des maisons de retraite peuvent représenter de 50 à 100 % de la clientèle de certains confrères. Ils n'ont donc pas toujours les moyens de dire non... » Après un vain recours gracieux auprès du ministère, l'Ordre devait à son tour opter pour une action devant le Conseil d'État, fin juin. Conséquence ? Plus de trois mois après la date limite d'application du texte, on compte seulement 30 % à 40 % de signatures…

Application ma non troppo

Pour autant, la loi s'impose à tous. « Depuis le début, les directeurs se sont pliés à ce qui leur était demandé et ont bien entamé une démarche de contractualisation, assure MarieStehly, responsable des relations institutionnelles à la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (Fnaqpa). Même si, en face, ils se sont souvent heurtés à une réponse négative, voire à pas de réponse du tout… » Une démarche volontariste, menée notamment dans le Nord, au sein des trois Ehpad de la Fondation Caisse d'épargne pour la solidarité, gérés par Arnaud Antonini. Là, pas question d'imposer l'application du décret aux libéraux : on leur laisse le temps de la réflexion et de l'appropriation. « Y compris en envisageant avec eux des solutions aux problèmes posés par certains articles, précise-t-il. L'objectif est de leur permettre de prendre une décision de manière volontaire. » 

Ici et là, les nouvelles règles ont également servi de révélateur à des tensions latentes. À l'encontre de praticiens trop peu impliqués dans la vie de l'établissement, par exemple. « Il n'est malheureusement pas rare de découvrir a posteriori qu'un médecin traitant a changé une prescription », confie un gestionnaire. Griefs également à l'endroit de certains directeurs qui, « jusque là, en profitaient pour faire signer tout et n'importe quoi à des confrères, parfois même pour les exclure des établissements », assure le Dr Gérald Galliot, de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).

Reste que pour beaucoup de directeurs, confrontés à la fronde des libéraux, ces nouvelles obligations sont surtout synonymes d'incertitudes. Que dire aux résidants ? Comment leur proposer un contrat de séjour modifié, en l'absence de professionnels signataires ? Et surtout, faut-il refuser l'accès de l'établissement aux professionnels réticents ? Du côté ministériel, on joue la carte de la souplesse. « Les Ehpad doivent poursuivre leur action d'explication et de conviction, (même) au-delà du 1er avril », explique Mélanie Blond, conseillère technique en communication santé au cabinet du secrétariat d'État à la Santé. À l'heure, où les besoins médicaux liés à la dépendance vont croissant, pas question d'entamer un bras de fer avec les libéraux. Et ainsi prendre le risque de les voir déserter les établissements. « Entre garantir l'accès des résidants à leur médecin traitant et assurer la signature de ces contrats, mon choix a vite été fait », conclut d'emblée Jean-Pierre Ouhlen, directeur de trois Ehpad dans l'Essonne. Où, sur la vingtaine de médecins concernés, seuls… deux ont signé. Et le président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), Claudy Jarry, de résumer : « Les directeurs héritent d'une situation dont ils ne sont pas demandeurs, et sur laquelle ils n'ont pas de prise ! » 

Du côté des fédérations représentatives, un seul credo : appliquer la loi certes, ma non troppo. « Nous recommandons aux Ehpad de proposer la contractualisation, de recenser les signataires à l'intention des ARS mais surtout de ne pas se mettre à dos les autres, explique David Causse, coordonnateur du pôle santé social à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, privés non lucratifs (Fehap). Inutile de se placer entre le marteau et l'enclume. Cette affaire relève d'abord d'un problème national. » Même ligne défendue à la Fédération hospitalière de France (FHF) : « Nous ne devons pas porter le chapeau dans cette affaire, prévient Murielle Jamot, adjointe en charge du secteur social et médico-social. Si problème il y a, il est entre les libéraux et la DSS. »

Le fond et la forme

Il semble bien que ce soit l'idée même de contraintes inhérentes à tout contrat qui sème le trouble. « Pourquoi ne pas l'avoir appelé convention de coopération ou charte de bonnes pratiques ?, s'interroge Alain Villez, conseiller technique à l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). On nous enferme dans une polémique  qui va gâcher ce qui, à la base, est un bon dispositif. » Un regret partagé par  Claudy Jarry :« On a perdu la cohérence globale de la démarche, qui, à l'origine, visait la bonne médicalisation des structures et la régulation des prescriptions, afin de respecter les enveloppes "soins". La question du contrat n'était alors qu'un sous-dossier. » Même dépit du côté de la FHF, pour qui la charrue a définitivement été mise avant les bœufs : « On nous a laissé à peine quatre mois pour mettre en place ces nouvelles dispositions, alors que l'expérimentation sur la réintégration des médicaments dans les forfaits soins a été repoussée, et que certains textes essentiels, comme celui sur la commission de coordination ou le décret sur les médecins coordonnateurs, manquent encore à l'appel !, pointe encore Murielle Jamot. Pourquoi une telle précipitation ? »

Car finalement, tous se rejoignent sur la nécessité d'une meilleure coordination des soins. « Nous avons tous besoin d'un partenariat structuré permettant de mieux intégrer l'action des intervenants libéraux dans une démarche cohérente, confirme Arnaud Antonini. Le tout pour une meilleure qualité d'accompagnement des résidants. »

Un premier bilan officiel est prévu mi-juillet, à l'issue des remontées des ARS. « Des instructions ont été données […] pour que la montée en charge se fasse progressivement », indique-t-on au cabinet de Nora Berra qui table sur la bonne volonté des professionnels. Un dispositif de suivi devrait ensuite associer l'ensemble des acteurs. Pour la CSMF, il est donc urgent… d'attendre. « Les médecins qui n'ont pas encore signé devront le faire, c'est la loi, concède le Dr Gérald Galliot. Toutefois, pas la peine de se presser : de nombreuses mesures contenues dans la proposition de loi Fourcade viendront probablement annuler certaines dispositions. Nous demanderons alors une réactualisation du décret. » En somme, le dossier est encore loin d'être bouclé.

(1) Circulaire n°DSS/MCGR/2011/96 du 11 mars 2011

(2) Décret n° 2010-1731 du 30 décembre 2010

(3) Arrêté du 30 décembre 2010 

Gladys Lepasteur

Point de vue

Dr Alain Lion, gériatre et gestionnaire d'Ehpad (1)

« La création de ce contrat est l'une des mesures contenues dans le rapport de décembre 2009 relatives à la prise en soin des résidants. Mises à part certaines réserves, émises notamment par des organisations de médecins et des fédérations d'établissements (sur le risque de requalification par exemple), sa rédaction a fait l'objet d'un consensus. L'idée était de se mettre en conformité avec la loi qui stipule que l'intervention des professionnels de santé libéraux en Ehpad doit être régie par un tel contrat (2). Ce dernier vise, en effet, à instituer de bonnes pratiques. Autre disposition majeure : la commission de coordination gériatrique permet à tous de se rencontrer. Ainsi, aucune mesure de coercition n'a été prévue en cas de refus de signer : l'idée est de privilégier l'adhésion des professionnels par une démarche pédagogique et non de les y contraindre. »

(1) Et co-auteur, avec les docteurs Nathalie Maubourget et Claude Jeandel, du rapport «13 mesures pour une meilleure prise en soin des résidents en Ehpad »

(2) Code de l'action sociale et des famille, article L314-12

Publié dans le magazine Direction[s] N° 87 - août 2011






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