Ceci est un test

Directions.fr : Le site des directeurs et cadres du secteur social et médico social

Haltes soins addictions
Un devenir incertain

21/05/2025

À quelques mois de la fin de l’expérimentation des haltes soins addictions (HSA), les associations, inquiètes pour leur pérennisation, attaquent l’État en justice. Elles mettent en cause son inaction, voire son « obstruction active » à la création de nouvelles salles.

Une proposition de résolution est attendue au Sénat pour obtenir la pérennisation des HSA, et notamment de celle portée par l’association Gaïa-Paris.

C’est une première en Europe dans le domaine de la réduction des risques liés à l’usage de drogue. Le 14 avril, l’ONG Médecins du monde et la Fédération Addiction ont lancé, devant le tribunal administratif de Paris, une procédure juridique contre l’État pour « carence fautive ». Son manquement : refuser de mettre en place une politique de réduction des risques efficace, aux dépens de la santé des usagers. Pour les requérants, l’objectif est de le forcer à prendre ses responsabilités en le poussant à agir, alors que, à Paris et à Strasbourg, l’expérimentation des deux seules haltes soins addictions (HSA), créées en 2016 sous le nom de salles de consommation à moindre risque, s’achève en décembre. Sans, pour l’heure, aucune perspective de pérennisation.

Déni de santé publique

« On attend de l’État des réponses claires, car à ce jour nous n’avons aucune certitude quant à la poursuite des actions après le 31 décembre », explique Céline Debaulieu, chargée de plaidoyer à Médecins du monde. Et ce n’est pas faute d’avoir demandé des précisions dans un courrier envoyé fin 2024 au ministère de la Santé. À défaut de réponse, l’ONG a décidé de saisir la justice. « Ce que l’on craint, c’est une remise à la rue d’usagers extrêmement précaires avec la probabilité que se reconstituent des scènes de consommation ouvertes, abonde Catherine Delorme, présidente de la Fédération Addiction. Nous espérons non seulement la pérennisation des dispositifs existants mais l’ouverture de nouvelles salles comme c’était prévu à Marseille, Lille ou Lyon. »

Pour les militants associatifs, un tel immobilisme constitue bel et bien une faute et un « déni de santé publique ». « Depuis l’ouverture de la halte de Paris, on est au-delà de 550 000 consommations, dont 79 000 pour l’année 2024 », détaille Victor Detrez, directeur adjoint de l’association Gaïa-Paris, gestionnaire du lieu situé au rez-de-chaussée de l’hôpital Lariboisière. Mais le rôle d’une HSA ne se résume pas aux seules injections réalisées de manière encadrée et sécurisée. Elle permet aussi un accompagnement global des usagers. « On a une file active de 800 personnes, dont 79 % sont sans-abri. L’an dernier, on en a orienté 155 vers une prise en charge addictologique, sans compter toutes celles vers la médecine somatique ou psychiatrique, les démarches pour l’hébergement, l’ouverture de droits et le suivi social… Nous sommes un lieu d’accueil et d’innovation de pratiques thérapeutiques pour des publics désaffiliés qui ne se saisissent pas des dispositifs de droit commun et pour qui la salle représente une première marche vers des services adaptés », résume Victor Detrez.

Pourtant, les rapports scientifiques soulignant l’efficacité et l’utilité du dispositif ne manquent pas, y compris ceux commandés par les pouvoirs publics eux-mêmes. À commencer par l’évaluation conduite entre 2013 et 2021 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)v, à la demande de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, pour qui les salles ont déjà permis d’éviter 70 % d’overdoses et de passages aux urgences et 11,1 millions d’euros de coûts médicaux [1]. Rien qu’à Paris, le nombre de seringues ramassées autour de la salle a chuté de 150 à moins de 10 par jour... « La fermeture des deux HSA dégraderait la tranquillité publique, mettrait en danger des usagers aux conditions de vie très précaires et mobiliserait inutilement des forces de police pour gérer les consommations rendues à l’espace public », ont aussi conclu récemment les inspections générales de l’administration et des affaires sociales [2] saisies par les ministères de l’Intérieur et de la Santé. Leur rapport souligne la nécessité de pérenniser les dispositifs et d’en développer d’autres en France, plaidant même pour leur inscription dans le droit commun.

Qu’en est-il alors de la position du Gouvernement ? « Elle n’est pour l’heure pas arrêtée », a fait savoir le 29 avril au Sénat le ministre Yannick Neuder, dans l’attente « prochainement » d’une nouvelle évaluation scientifique portant, cette fois, sur l’impact des HSA sur la tranquillité publique et sur le parcours de soins des usagers. De quoi nourrir le rapport attendu au Parlement en juin et permettre à l’exécutif de « prendre les mesures qui seront fondées sur des éléments objectifs », a promis le ministre.

Idéologie répressive

« On a l’impression que toutes les données scientifiques et factuelles sont balayées au profit d’une idéologie répressive », déplore Catherine Delorme. « Ces derniers mois, le débat s’est cristallisé sur la proposition de loi sur le narcotrafic et la criminalisation des usagers. Notre message, c’est qu’il ne faut pas opposer le volet répressif et le volet sanitaire et social. L’expérience montre, au contraire, que les HSA apportent plus de sécurité publique », martèle Céline Debaulieu.

Le cas de Marseille est emblématique. Alors que le projet avait été validé par les parties prenantes en octobre 2023 après plus de deux ans de travail, les services de l’État ont finalement émis, trois mois plus tard, « un avis défavorable » à l’encontre de l’ouverture d’une halte dans le 5e arrondissement. « On avait l’accord du comité de pilotage, composé du procureur de la République de Marseille, de l’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur [Paca], de la préfecture, de la ville et de la mairie d’arrondissement. On avait mandaté des architectes pour démarrer l’aménagement du lieu, on avait même commencé à former les policiers locaux et on était en lien avec les collectifs de riverains et les parents d’élèves pour expliquer et rassurer. Il ne manquait que la signature du ministre de la Santé de l’époque, Aurélien Rousseau », raconte Antoine Henry, directeur de l’association Asud Mars Say Yeah qui devait porter le projet. Hasard malheureux du calendrier, celui-ci démissionne le mois suivant… et, quelques semaines plus tard, la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache se vante dans la presse d’avoir stoppé le projet, en appuyant les collectifs de riverains.

« Comme toujours, le problème c’est l’implantation. C’est ce qu’on appelle le syndrome “not in my backyard” : on est d’accord sur le principe mais pas à côté de chez soi. Ça nécessite un dialogue étroit avec les riverains, lequel n’a pas été poursuivi pour des raisons purement politiques », analyse Guillaume Debrie, coordinateur régional Paca de Médecins du monde. De quoi justifier une seconde procédure juridique, soutenue cette fois par les associations Aides, Asud Marseille, le Bus 31/32, la Fédération Addiction Paca et Nouvelle Aube.

Un travail en réseau

L’enjeu ? Faire annuler l’avis négatif émis contre le projet tel que présenté par les acteurs. « L’objectif est ainsi de rouvrir un dialogue technique, au-delà des fantasmes et des prises de position politiques », appuie Céline Debaulieu. Et il est de taille : d’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, le nombre de consommateurs de cocaïne a doublé entre 2022 et 2023, atteignant 1,1 million. Sur le terrain, si tous les acteurs reconnaissent que les HSA sont essentielles, ils rappellent qu’elles ne sont qu’un outil parmi d’autres. « Dans l'idéal, il faudrait pouvoir travailler en réseau dans une même ville avec plusieurs salles et que celles-ci soient complémentaires à d’autres dispositifs sanitaires et sociaux », confirme Victor Detrez.

Pour l’heure, la requête des ONG est en passe d’être transmise au Gouvernement, dont la réponse est attendue d’ici septembre. Les associations espèrent une décision judiciaire entre juin et décembre 2026.

« La politique définie est insatisfaisante »

Me Vincent Brengarth, avocat des associations

« Le premier recours s’appuie sur l’article L. 3411-7 du Code de la santé publique selon lequel il appartient à l’État de définir une politique en matière de prévention des risques à destination des usagers de drogue. Il s’agit d’un recours en carence, car on estime que la politique qui a été définie en la matière est largement insatisfaisante. En France, l’État a beaucoup plus investi le champ du pénal que celui de la santé publique, alors même que cela procède de ses obligations. National, ce premier contentieux pose donc des questions de principes applicables sur l’ensemble du territoire. Le second est, quant à lui, un recours particulier qui pointe le caractère délibéré dans l’entrave à l’ouverture de nouvelles salles à Marseille, Lyon et Lille. Nous avons pour cela documenté les interventions politiques qui ont mis un terme aux projets. C’est une action pour excès de pouvoir, dirigée contre l’avis négatif émis envers le projet de HSA à Marseille en janvier 2024. »

[1] Salles de consommation à moindre risque,rapport Inserm, mai 2021, sur www.inserm.fr

[2] Les HSA : un dispositif expérimenté depuis 2016 pour réduire les risques et nuisances associés à la consommation de stupéfiants dans l’espace public, rapport IGA/Igas, oct. 2024

Margot Hemmerich

Repères

77 % d’infections graves et 43 décès ont été évités en dix ans grâce aux HSA, évalue l’Inserm.

92 salles de consommation recensées dans 12 pays en 2022, selon l’Agence de l’Union européenne sur les drogues.

2e semestre 2026 : décision judiciaire attendue pour les recours.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 242 - juin 2025






Ajouter un commentaire
La possibilité de réagir à un article de Direction[s] est réservé aux abonnés  du magazine Direction[s]
Envoyer cette actualité par email :
Email de l'expéditeur (vous)*

Email du destinataire *

Sujet*

Commentaire :

* Champs obligatoires

Le Magazine

N° 247 - décembre 2025
Intelligence artificielle. Garder le contrôle
Voir le sommaire

Formation Direction[s]
Offres d'emploi
Les 5 dernières annonces publiées
ATIMP 44

DIRECTEUR (H/F)

Collectivité Européenne d'Alsace

Une ou un Médecin du travail F/H (Poste n°A-6639)

AIDERA VAR

Directeur du Pôle Adultes (H/F)

Département de la Haute-Garonne

DIRECTEUR ENFANCE ET FAMILLE H-F


Voir toutes les offres
Trophée Direction[s] : l'essentiel

Logo Trophée 2

Sous les hauts patronages de :

Paul Christophe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes


Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée des Personnes en situation de handicap

En partenariat avec :

Logo Axiome