Quels sont les défis de l’habitat intermédiaire ?
Denis Piveteau. Le premier est d’en faire un enjeu unifié. Au fil des ans, des statuts, voire des pseudo-statuts entre le logement et les établissements médico-sociaux se sont sédimentés, formant un ensemble très hétérogène. Il faut donc une vision englobante de cet « entre-deux » associant vie collective et vie chez soi, non en créant un seul statut, mais en soutenant une politique qui porte la diversité. Pour cela, trois sécurisations sont à achever. La première est juridique en donnant un cadre normatif clair : quelles sont les obligations de sécurité ? Les règles en termes de droit du travail ? Les cadres soignants et sociaux à respecter ? Les financeurs ne peuvent pas s’engager sur des terrains incertains. La dimension suivante est professionnelle : ces nouveaux métiers d’accompagnement doivent être renforcés sur le plan de la formation et de la certification. Économiquement enfin, les enjeux portent sur l’aide à l’investissement et à la réhabilitation de logements existants mais aussi sur le fonctionnement. Le démarrage de l’aide à la vie partagée (AVP) a été pensé sur un mode exclusivement contractuel entre Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), départements et État. Pertinente au lancement, cette organisation atteint ses limites. Il faut voir comment intégrer l’aide à l’ingénierie de projets, préciser la notion de frais de structure ou de siège… nécessitant un cadrage national.
Les acteurs déplorent l’absence de pilote. Qui doit endosser ce rôle ?
D. P. Si c’est au niveau local que les dynamiques peuvent se mettre en place, chaque territoire doit se sentir porté par une démarche nationale. Il faut donc animer un écosystème pour libérer les énergies avec des outils d’ingénierie nationaux, ainsi qu’une péréquation financière. Nous avons besoin d’un endroit, qui soit davantage qu’un simple observatoire, vers lequel pourraient remonter les problèmes afin qu’ils puissent être résolus. Dans notre rapport de 2020, avec Jacques Wolfrom, nous pensions que la CNSA pouvait inscrire cette mission en prolongement de son pilotage de la cinquième branche. La Caisse des dépôts a sûrement un rôle à jouer aussi. Leur articulation paraît essentielle.
Le contexte économique des départements et la baisse de participation de la caisse à l’AVP ne sont-ils pas limitants ?
D. P. Justement, tout en regrettant le manque d’études permettant de le quantifier, ces solutions d’habitat sont efficientes, donc particulièrement adaptées à des démarches d’optimisation de la dépense publique. Reste à savoir ce que doivent être la part de la dépense locale et celle de la solidarité nationale. Une telle combinaison est traditionnelle pour les dépenses financées par la CNSA. Faut-il modifier le ratio actuel de 50 % ? Cette discussion n’est pas seulement paramétrique. Derrière se pose la nature de ce que l’on entend construire : veut-on une politique qui repose sur la libre administration des collectivités et leur capacité à soutenir les projets ?
L’habitat intermédiaire ne concerne que l’autonomie ?
D. P. Tout en étant centrée aujourd’hui sur certains publics, c’est une politique qui pose une question de société : peut-on, quand surviennent ou s’accroissent des limites physiques ou intellectuelles, continuer de se proposer le projet d’habiter ensemble ? Peut-on organiser des modes de vie qui évitent « l’assignation résidentielle » de ceux qui sont ou deviennent différents ? Une telle question vise, au-delà des seules personnes âgées ou handicapées, la mixité des publics. Notre rapport de 2020 s’intitulait : Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous ! Dans notre esprit, derrière le « je » et le « vous », on pouvait choisir d’y mettre… qui l’on veut.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 244 - septembre 2025