
« Nous voulons que les transversalités entre les métiers soient renforcées », indique Marcel Jaeger (Unaforis).
Les derniers échanges entre la Direction générale de la cohésion sociale et le groupe de travail sur les référentiels de formation et de certification des cinq diplômes d’État du travail social de niveau 6 [1] ont eu lieu début juin. « Nous avons été embarqués dans cette réforme à marche forcée depuis janvier », rembobine Chantal Mazaeff, directrice générale de l’École supérieure de praxis sociale, à Mulhouse, membre de l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis). Voilà qui mettra tout le monde d’accord. Pour la finalité, en revanche, les avis divergent.
Le spectre du diplôme unique
« Il était impératif de faire évoluer l’architecture issue de la précédente réforme de 2018 qui a mené à une véritable usine à gaz en démultipliant les épreuves de certification. Ce chantier s’inscrit dans une logique de parcours de professionnalisation et, grâce au contrôle continu, de progression plus que d’évaluation », poursuit-elle. « Souffle nouveau », « avancée majeure » : dans un communiqué du 23 mai, l’Unaforis soutient désormais sans réserve, ou presque, ce processus instaurant pour les cinq diplômes de niveau 6 (Bac+3) une certification autour de quatre blocs de compétences, dont un transversal, deux communs et un spécifique pour chaque métier.
S’agissait-il de contrecarrer les arguments des opposants à la réforme, un collectif d’une dizaine d’organisations professionnelles et syndicales dont la pétition alerte sur le risque « d’un appauvrissement des qualifications et d’une remise en question profonde du processus de professionnalisation » ? Non, répond Marcel Jaeger, président de l’Unaforis : « Nous souhaitions que les enjeux soient parfaitement clairs et lever les inquiétudes quant à la disparition des diplômes d’État, ou du moins l’idée qu’il pourrait y avoir à l’avenir un diplôme d’État unique, ce qui nous paraît faux. Nous voulons que les transversalités et les aspects communs entre les métiers soient renforcés, et éviter des formes de corporatisme et de segmentation du secteur qui rendent le travail social assez invisible. »
L’argument ne convainc pas Dominique Lepage, membre de l’Inter-régionale des formatrices et formateurs en travail social (L’Ire). « On entend bien qu’il faut s’adapter davantage à des nouveaux publics en révisant les contenus pédagogiques, mais le faire sans les associations professionnelles, expertes des métiers, nous paraît dangereux, explique-t-elle. Aujourd’hui, des étudiants partent avant même la fin du cursus, mis en difficulté par les conditions d’exercice. Il faudrait plutôt s’atteler à une réforme des conditions de travail. »
Des écoles menacées ?
Le Groupement national des hautes écoles et instituts en travail social (GNHEITS), qui voit dans cette réforme un moyen de faciliter « la lisibilité des diplômes » et « la mobilité professionnelle », alerte, quant à lui, sur l’avenir des écoles. « L’évaluation de la régionalisation de 2004 n’a jamais été faite, or il peut y avoir des contradictions entre des diplômes à vocation nationale et des logiques de financement régionales », analyse Manuel Boucher, son président. Il s’inquiète aussi du processus d’universitarisation au détriment des centres de formation. « Comment se fait-il qu’on mène des réformes pour améliorer la visibilité de la formation des travailleurs sociaux, sans donner aux écoles davantage de reconnaissance et de sécurité académique et financière, alors qu’elles se trouvent de plus en plus en concurrence ? » interroge-t-il. Une préoccupation partagée par l’Association de directrices, directeurs et cadres de direction du secteur social, médico-social et sanitaire (ADC). « L’avenir des centres de formation en travail social est inquiétant, notamment parce que le financement des régions est en train de diminuer très fortement », observe ainsi Alain Hotier, vice-président en charge de la formation.
Cette réforme, qui préfigure celle des autres diplômes d’État à suivre, doit être mise au vote à la commission professionnelle consultative le 3 juillet, pour application à la rentrée 2026.
[1] Diplômes d’État d’assistant de service social, de conseiller en économie sociale familiale, d’éducateur de jeunes enfants, d’éducateur spécialisé et d’éducateur technique spécialisé
Laetitia Delhon
Publié dans le magazine Direction[s] N° 243 - juillet 2025