Recruter n'est pas toujours chose aisée. Mais recruter en milieu rural du personnel qualifié à temps partiel relève souvent d'une mission… impossible. C'est pourtant celle de l'Association pour une vieillesse heureuse (Avihe), structure de gestion créée en 1986 par des directeurs de maisons de retraite publiques et d'hôpitaux du Puy-de-Dôme confrontés à ces difficultés. Leur ambition ? Garantir une prise en charge équitable et de qualité en mutualisant les ressources humaines, et permettre ainsi aux usagers des structures adhérentes de bénéficier de l'intervention de psychologues cliniciens, de psychomotriciens ou bien encore d'ergothérapeutes. Ce, quelque soit leur implantation géographique (en ville ou à la campagne), leur statut (associatif ou public), ou même leur taille. « Seule la mutualisation permet d'assurer le volume horaire suffisant pour attirer en milieu rural de jeunes professionnels qualifiés, vivant le plus souvent en ville », argumente Maurice Bornet, directeur de l'Avihe.
Une longueur d'avance
Mais ce n'est pas tout. L'Avihe constitue aussi un plateau technique de mutualisation de matériels, coûteux à l'achat, comme des minibus adaptés aux fauteuils roulants. « Une aide précieuse pour les sorties de plein air organisées pour les personnes âgées. La plupart des structures n'ont pas l'argent pour un matériel aussi onéreux », explique Rodolphe Portefaix, directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Le Montel, à Saint-Amant-Tallende (Puy-de-Dôme). Sont également mis à disposition des vidéoprojecteurs et des jeux de stimulation cérébrale, utilisés lors d'ateliers mémoire.
C'est donc avec une sacrée longueur d'avance sur la politique des pouvoirs publics et la création des groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), que l'Avihe a impulsé une démarche partenariale sur le territoire auvergnat. Non sans succès. Aujourd'hui l'association, structurée en deux branches (établissements et domicile) compte 39 adhérents. Parmi eux, 34 établissements d'hébergement, publics et associatifs, un logement-foyer, deux structures sanitaires et deux services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Tous sont implantés sur… trois départements (Puy-de-Dôme, Cantal et Haute-Loire).
Cotisations flexibles
Concrètement, les adhérents signent une convention sur trois ans. Celle-ci leur permet d'anticiper le renouvellement (ou non) de l'adhésion et de tenir compte des conséquences sociales en termes de personnel. Fixe pour les Ssiad, la cotisation annuelle est calculée en fonction du nombre de lits pour les Ehpad. Elle ouvre droit à un minimum d'heures d'intervention (par mois ou par an) d'un psychologue et d'un animateur. Également inclus dans la cotisation, le droit d'usage des minibus. Seule participation exigée : 60 centimes d'euros par kilomètre parcouru, afin d'assurer les frais d'entretien. Les adhérents doivent également s'acquitter d'un forfait soins pour les interventions des ergothérapeutes et des psychomotriciens, directement issu de leur propre dotation soins. Peuvent s'y ajouter des heures complémentaires (pour les spécialités psychologues, ergothérapeutes et psychomotriciens) et des prestations spécifiques (diététicienne, par exemple) facturées par l'association.
Fiches de paie, planning des interventions, rationalisation des coûts de transport par bassins géographiques… Toute la gestion est assurée par l'Avihe. Une flexibilité appréciée des directeurs. « Tout en prenant en charge les obligations de gestion, l'association me permet de bénéficier de professionnels compétents, notamment en matière de prévention de la dépendance des résidants. Une aubaine au vu du contexte économique et de mon implantation », se réjouit ainsi Miren Chappe, directrice de deux Ehpad distants de 17 kilomètres, dont un en milieu rural.
Dans quel cadre interviennent ces personnels au sein des équipes ? « Nous travaillons en étroite collaboration avec le personnel de l'Avihe. Il participe régulièrement à nos réunions », ajoute-t-elle. C'est d'ailleurs un autre avantage pour les directeurs : le regard extérieur apporté aux services par ces intervenants. « Au-delà de la pluridisciplinarité, c'est le partage d'expériences qui est intéressant. Exerçant dans plusieurs structures, les équipes de l'Avihe peuvent comparer les pratiques et partager leurs observations. C'est très enrichissant », précise Rodolphe Portefaix.
Plate-forme d'échanges
Véritable plateau technique, l'Avihe constitue également un lieu d'échanges. L'association organise régulièrement des réunions thématiques inter établissements, souvent avec la participation d'intervenants extérieurs. Ouvertes à tous (directeurs, cadres de santé, intervenants, agents d'animation…), ces journées d'étude abordent tous types de sujets, comme l'accueil, l'évaluation interne, les outils de la loi du 2 janvier 2002, ou encore la malvoyance. Les réunions sont suivies de temps pour parler de son expérience, poser ses questions ou exposer ses difficultés.
Au cours de ses 25 ans d'existence, l'Avihe n'a pas oublié de s'adapter. Fin 1998, elle a élargi ses activités aux personnes âgées à domicile. Aujourd'hui, deux Ssiad font régulièrement appel à une psychologue, et une vingtaine de personnes âgées vivant à domicile bénéficient d'après-midi « sociothérapiques » afin de maintenir le contact avec le monde extérieur.
En 2010, un autre constat s'est imposé. Les minima horaires d'intervention des ergothérapeutes et des psychomotriciens n'étaient plus suffisants. « Les résidants sont plus nombreux, mais aussi plus dépendants. J'ai donc sollicité l'Agence régionale de santé [ARS], qui va nous soutenir financièrement dès 2012. Grâce à une dotation soins des structures réévaluée, nous allons pouvoir passer de 2 h 15 à 3 heures d'intervention minimum tous les 15 jours pour chaque adhérent. Et embaucher un psychomotricien et un ergothérapeute pour renforcer l'équipe », se réjouit Maurice Bornet. Pour Brigitte Blanloeuil, présidente de l'association et directrice de l'Ehpad Ambroise Croizat, au Cendre (Puy-de-Dôme), « si cette hausse était une nécessité, nous devons à présent nous orienter vers une diversification des activités d'animation, comme l'arthérapie. Quant à la branche aide à domicile, il faudrait développer l'accueil de jour mobile. » C'est-à-dire, la possibilité pour les personnes âgées à domicile, géographiquement peu éloignées, de passer une journée ensemble. « On pourra plus facilement organiser un atelier repas dans un Ehpad à proximité ou une sortie culturelle », ajoute la directrice.
Forte de ses succès, l'association envisage-t-elle sa transformation en GCSMS pour autant ? Pas vraiment. Pour son directeur, « le GCSMS, créé pour la seule gestion de moyens mis en commun, n'a pas de dimension politique et sociale. La forme associative, elle, a l'avantage de rendre les adhérents parties prenantes du projet ».
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Julian Breuil
« Lutter contre la balkanisation des structures »
Joël May, directeur de l'offre médico-sociale et de l'autonomie à l'Agence régionale de santé d'Auvergne
« L'Association pour une vieillesse heureuse a devancé les GCSMS et l'impulsion de l'État. L'association permet, via une mutualisation, de faire intervenir, dans des Ehpad n'y ayant pas facilement accès, des personnels rares. Par sa présence sur tout le territoire, elle lutte également contre la "balkanisation" des structures en milieu rural. Et donne les moyens à chacun d'améliorer la qualité de prise en charge de la personne âgée, qui passe notamment par l'intervention d'ergothérapeutes et de psychomotriciennes. L'ARS a donc augmenté le forfait soins des établissements en débloquant une enveloppe globale de 130 000 euros. Cela permettra in fine aux adhérents de bénéficier de temps d'intervention des psychomotriciens et ergothérapeutes plus importants. »
En chiffres
- 39 adhérents : 34 Ehpad, 1 logement-foyer, 2 structures sanitaires, 2 Ssiad
- 18 salariés (10 ETP) dont 1 directeur, 5 psychologues cliniciens, 4 psychomotriciennes, 3 ergothérapeutes, 2 animateurs, 1 diététicienne
- budget 2012 : 600 000 euros
- cotisation annuelle : 64,05 euros x nombre de lits pour les Ehpad (en moyenne 4 500 euros par an) ; 600 euros par an pour les Ssiad
- Équipement : 4 minibus adaptés, une ludothèque pour personnes âgées
Publié dans le magazine Direction[s] N° 91 - janvier 2012