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Prix des lecteurs 2014
Une culture partagée de la bienveillance

31/12/2014

Le Vaudreuil (Eure). Prévention de la maltraitance des résidants, lutte contre l’usure des professionnels. Ce sont les deux piliers de la démarche de management coopératif menée par la résidence Les Rivalières, déclinée via différents outils au service de la bientraitance.

« Tous ensemble, nous allons dans le même sens : nous avons un langage commun tourné vers la bientraitance », se réjouit Régine Beaufils, animatrice et coordinatrice des activités au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Les Rivalières, situé au Vaudreuil, dans l’Eure. Aujourd’hui, la prévention des actes de maltraitance fait ainsi partie de l’ADN de la résidence. « C’est devenu un réflexe », insiste Monique Zvonec, infirmière coordinatrice.

Un réflexe adopté en à peine deux ans. En 2012, la direction a décidé de s’atteler au sujet. « Au sein des Ehpad, le risque potentiel de maltraitance est un enjeu majeur, qui s’amplifie proportionnellement au degré de vulnérabilité des résidants, explique Christine Vincent, la directrice de cette structure gérée par le groupe DomusVi. Recommandations de bonnes pratiques de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), guide Mobiqual…: des outils existent, mais leur appropriation reste difficile. Nous souhaitions développer une véritable culture de la bientraitance. Sans savoir comment nous y prendre et par où commencer », se souvient-elle. Le déclic a lieu lors d’une réunion à l’extérieur. Christine Vincent, accompagnée de Monique Zvonec et de Carole Cornet, responsable hôtelière et vie sociale, assistent à la présentation d’une méthode de management participatif afin de lutter contre les maltraitances menée dans un établissement accueillant de jeunes autistes. L’équipe de direction en revient avec une conviction : faire adhérer tous les salariés en les impliquant dans la démarche. « L’idée était de se mobiliser, de réfléchir et de fixer ensemble notre cadre », résume Christine Vincent.

Contre la vulnérabilité

Pour cela deux leviers sont actionnés : lutter contre la vulnérabilité des usagers en apportant l’aide nécessaire et adaptée et limiter le risque de concrétisation et de reproductibilité des éventuels abus. Durant un mois, à raison de cinq réunions avec les équipes mais aussi avec le conseil de la vie sociale (CVS), ont été exposés les enjeux du projet. D’une part, rendre l’éthique effective par une prise de conscience de ce qu’est être maltraitant. « Il n’y a pas que les gifles et l’enfermement d’un résidant dans sa chambre, explique Monique Zvonec. L’appeler papi ou mamie relève aussi de la maltraitance. » Ce qui passe aussi par abaisser les seuils de tolérance et faciliter les signalements dont chacun peut être témoin. D’autre part, prévenir les risques psychosociaux des professionnels.

Lors d'un atelier, les professionnels ont appris à relier les types d’actes maltraitants, tels que définis par le rapport d'Hillary Brown [1], à des situations vécues ailleurs ou inventées. Après présentation de la procédure de traitement des abus supposés et des quatre critères permettant de décider d’une sanction (gravité, intentionnalité, répétitivité et incidences sur la personne), tous ont été invités, pendant cinq semaines, à participer au recueil de cas pouvant être assimilés à de la maltraitance. Le principe : noter les situations dont ils auraient été témoins ou acteurs sur de simples post-it, de manière anonyme. 131 bouts de papier colorés ont ainsi été déposés dans une urne prévue à cet effet. « Une certaine parole s’est alors libérée », constate avec satisfaction Christine Vincent. Puis une équipe pluridisciplinaire réunissant seize salariés a procédé à l’analyse des cas et à leur classement en huit catégories : les six du rapport Brown (violences physiques, abus, menaces, négligences…) et deux autres intitulées  “incompétence professionnelle/manque de formation” et “sans objet”.

Les valeurs comme garde-fous

De là est né un livret récapitulatif, rédigé par le médecin coordonnateur et la directrice. Présenté en janvier 2013 aux équipes, il définit la maltraitance, donne des illustrations, rappelle l’obligation légale en matière de signalement et fournit un exemple de fiche de rapport. Véritable socle de cette nouvelle culture commune, le fascicule agit comme « un garde-fou qui nous apporte des valeurs pour exercer notre métier », soutient Régine Beaufils. Chaque professionnel, en place ou nouvel arrivant, salarié ou stagiaire, doit l’émarger. « Les personnes qui n’y adhérent pas ne peuvent pas travailler chez nous », prévient Monique Zvonec.

« Au début du projet, notre première réaction a été de penser que la direction considérait le personnel comme maltraitant », confie Corinne Valence, aide médico-psychologique (AMP) et membre du comité d’entreprise. Des peurs vite dissipées. « Rapidement, nous avons trouvé la démarche intéressante. Ce travail a permis de casser le tabou sur le sujet. Nous avons remis à plat nos pratiques. Et nous nous sommes interrogés : peut-être que nous aussi nous étions maltraitants sans le savoir ni le vouloir », poursuit-elle. « Aujourd’hui, j’ai une confiance totale dans mes collaborateurs quand ils participent à des activités où je ne suis pas présente », précise pour sa part Régine Beaufils.

Éthique et dilemme

Autre point délicat : les signalements. « Au départ, nous avions des craintes par rapport à nos collègues. Puis nous avons compris que c’était pour le bien-être des résidants », explique Florence Genièvre, AMP et membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Sur cette question, la direction avait anticipé le possible tiraillement entre la culpabilité de dénoncer un des leurs et celle de ne pas protéger un usager. « Lors des réunions de travail, nous sommes donc revenus sur la définition même du dilemme, qui n’existe qu’en cas de relation d’égal à égal. Ce qui n’est pas le cas avec des personnes vulnérables. Il s’agit donc d'un devoir, tant légal que moral », explique la directrice. En outre, « avertir d'une situation très tôt permet de recadrer rapidement le salarié concerné et d’éviter que cela ne se reproduise et s’aggrave. Et donc d'entraîner des sanctions plus importantes pouvant aller jusqu’au licenciement », souligne l’équipe encadrante. Comme plusieurs autres professionnels, Mylène Lecot, psychomotricienne, est « très à l’aise avec le signalement ». « Je ne pourrais pas laisser passer », insiste-t-elle. D’ailleurs, l’effet a été l’émergence de cas qui n’existaient pas auparavant : trois en 2013 et un en 2014. « Sans le travail effectué, je ne sais pas si je l’aurais fait auparavant », estime par exemple Carole Cornet. Réponse trop tardive à une sonnette, consultation d’un téléphone portable pendant le repas d’un résidant… Tous affirment être plus vigilants vis-à-vis d’eux-mêmes et de leurs collègues. Sur la base des quatre critères précités, des sanctions ont été décidées par la direction si cela s'avérait nécessaire (avertissement, licenciement…) et expliqués aux équipes (lire l’encadré). « Quand aujourd’hui, les signalements concernent l’appellation d’un résidant par un sobriquet ou l’utilisation d’un portable pendant son travail, c’est le signe que les salariés tendent vers la tolérance zéro et améliorent encore leur façon de travailler », s’enthousiasme Christine Vincent. « Maintenant, on peut passer à la notion bientraitance », estime l’infirmière coordinatrice.

Le burn-out testé chaque année

D’un point de vue managérial, les habitudes aussi ont changé. « Je suis plus à l’écoute et plus observatrice, je travaille de façon collaborative plus régulièrement, constate Monique Zvonec. Car en prenant soin de l'équipe, il y a moins de risques de maltraitance. » C’est toute l’idée du cercle vertueux instauré par la résidence. «Le personnel ne peut pas être bientraitant s’il n’est pas bientraité lui-même », soutient Christine Vincent. En parallèle, la direction a travaillé sur ce volet. « Le livret est aussi fait pour protéger les professionnels. Il pose la question de la fatigue et de la vie privée. Il prend en compte la pénibilité de notre travail », détaille Florence Genièvre. Un partenariat a été scellé avec l’association de médiation familiale Les Fontaines pour apporter une aide aux salariés confrontés à des difficultés personnelles [2]. S'il s’agit de problèmes liés au travail, ils peuvent bénéficier de trois séances par an avec un psychologue. Mais également, face à la fin de vie d’un résidant, d’un soutien par un professionnel de l’unité mobile de soins palliatifs.

Par ailleurs, la direction a rendu obligatoire le test du burn-out une fois par an au moment des entretiens individuels. « Les salariés peuvent aussi demander à le passer dès qu’ils en ressentent le besoin », précise Carole Cornet. Un exemplaire de ce test est ainsi disponible dans le livret référentiel. Enfin, les réunions quotidiennes de transmission fonctionnent également comme des moments de dialogue. « On ne se sent pas tout seul, on est soutenu et aidé », résume l’infirmière Perrine Colpin.

Entamée en 2012, la démarche prend racine. En décembre 2014, un comité éthique a été constitué, composé de seize salariés, représentant les différents corps de métier, de deux usagers et de représentants des familles. La direction espère bien convaincre aussi le comité départemental des retraités et personnes âgées (Coderpa) et la Fédération Alma France d’y entrer. La mission du comité : se pencher, toutes les cinq semaines, sur les différents thèmes identifiés par les recommandations de l’Anesm. La première séance devait se tenir le 17 décembre, avec pour thématique l’accueil des résidants. Objectif in fine ? Améliorer encore le service rendu et aller au-delà de ces recommandations. Avec comme outil fétiche de ce travail collaboratif : le post-it.

« Un management qui joue la carte de la transparence »

Monique Zvonec, infirmière coordonnatrice

« Nous avons placé la transparence au cœur de notre management. Dès le départ, nous avons expliqué notre projet dans le détail. Depuis, pour chaque signalement, la démarche est la même. Pendant la réunion de transmission, en présence du salarié concerné, nous revenons sur les faits, expliquons l’analyse qui en a été faite selon la catégorie établie ensemble et les critères de répétitivité, d’intentionnalité, d’incidence sur le résidant et de gravité. Ainsi nous pouvons communiquer sur la sanction s’il y a lieu. Nous ne parlons que des faits, non des émotions. Nous voulons être justes et mener un management qui le soit. Cela évite les bruits de couloir et permet à tous d’avoir le même niveau d’information. Partager ensemble une situation et une décision de sanction peut également avoir un effet pédagogique. Nous reconnaissons que nous pouvons faire des erreurs, mais aussi que nous pouvons nous améliorer. »

En chiffres

  • 98 résidants (GMP moyen de 710 et PMP de 230)
  • Équipe : 52 ETP, dont 21 d’AS et AMP, 14 d’aides hôtelières, 5,5 d’infirmiers, 1 de kinésithérapeute, 1 de psychomotricienne, 1 d’animatrice et 0,5 de psychologue

Contact

02 32 61 05 60

[1] Protection des adultes et des enfants handicapés contre les abus, rapport d'Hillary Brown, éd. du Conseil de l'Europe, 2002

[2] Lire dans ce numéro p. 41

Alexandra Luthereau

Publié dans le magazine Direction[s] N° 127 - janvier 2015






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