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13e Trophée - Mention Promotion de la citoyenneté
L'informatique au service de l'autonomie

04/07/2018

Talence (Gironde). L’institut d’éducation motrice (IEM) de l’APF France handicap a développé un logiciel destiné à fluidifier l’organisation quotidienne et à favoriser l’autodétermination des jeunes. Saluée d’une mention par le jury du Trophée Direction[s] 2017, l’initiative rebondit grâce au partenariat avec une école d’informatique bordelaise.

Ce matin-là, dans la salle de réunion de l'institut d'éducation motrice (IEM) de l'APF France handicap, à Talence dans la banlieue de Bordeaux, c'est un peu l'effervescence des grands jours. Après des mois de travail, trois étudiants de l'école d'informatique Epitech sont venus, accompagnés de leur professeur, présenter une première version du logiciel de gestion de la vie quotidienne conçu tout spécialement pour les besoins de l'établissement. « Jusqu'à présent, nous ne faisions qu'en parler, nous allons enfin voir à quoi il ressemble », se réjouit Julie Merveilleau, responsable du pôle Apprentissages et formation et chargée des partenariats. Sur l'écran de l'ordinateur portable des étudiants, la démonstration est plutôt convaincante. « L'outil que nous avons imaginé est à la fois simple, accessible, synchronisé et automatisé », décrit Arthur Arnaud, l'un des apprentis développeurs, avant de détailler les différents modules. La concentration de ses auditeurs en dit long sur leurs attentes : loin d'un gagdet technologique, le logiciel doit permettre de fluidifier le fonctionnement de l'établissement et de favoriser l'autonomie des jeunes résidents. Les travaux des sept étudiants impliqués ont bien avancé. « La version alpha devrait entrer en phase de test à la fin de l'été », promet le jeune homme.

Un premier logiciel « maison »

Si l'accompagnement par Epitech offre des moyens inédits, la gestion informatique de la vie quotidienne n'est pas une totale nouveauté à l'IEM de Talence. Voilà en effet un an et demi que l'informaticien de la maison, Guy Ly Thai Bach, a créé un logiciel très apprécié de ses utilisateurs. L'établissement accueille 66 jeunes de 15 à 25 ans en situation de handicap moteur, avec ou sans troubles associés, ayant un projet d'études secondaires. Soit autant d'horaires de cours, d'activités extrascolaires ou de rendez-vous médicaux différents, variables d'un jour sur l'autre. « Traditionnellement, nous travaillions avec des listings papier, des tableaux Excel et, pour les transports, des tableaux à fiches, raconte Julien Michel, responsable du pôle Vie quotidienne et santé. Cela fonctionne, mais c'est assez chronophage, pas très adapté à notre public, et puis il n'y a ni sauvegarde ni historique, et le risque de pertes d'informations est important. » Fin 2016, un logiciel maison est donc mis en service. À partir d'une semaine type renseignée par les jeunes, il permet d'ajuster chaque jour l'effectif nécessaire pour les levers et couchers, ainsi que le nombre de repas et les horaires auxquels ils seront servis. Chaque résident possède son identifiant, et l'interface est accessible à tous les intervenants concernés : équipes éducatives, services généraux, cuisine... « C'est beaucoup plus fluide, juge Nathan Basuyau, 23 ans, étudiant en droit et président du conseil de vie sociale (CVS). Avant, chaque soir, les veilleurs de nuit devaient faire le tour des chambres pour vérifier les inscriptions, et des corrections étaient souvent nécessaires. Désormais, l'organisation est plus fiable. »

Moins de gaspillage alimentaire

À l'heure du déjeuner, le gain qualitatif est palpable. Dans le grand réfectoire, une trentaine d'adolescents sont attablés. Tablette tactile en main, une éducatrice circule entre les tables pour noter les présents. En cuisine, le chef Stéphane Donat surveille l'heure pour sortir à temps les dernières assiettes. « Les jeunes peuvent modifier leur réservation jusqu'à 7 heures du matin, explique-t-il. Après, la production commence. Avec le logiciel, je sais exactement combien de repas je dois servir et à quelle heure, en fonction de leurs emplois du temps. Il ne s'agit pas seulement de mieux répondre à la demande : c'est aussi la garantie d'une meilleure conformité aux règles d'hygiène. » Avec un service finement programmé, pas de charcuterie traînant deux heures sur une table ou de plat réchauffé trop tôt. Les résidents peuvent même commander des repas froids à emporter sur leur lieu d'études. « Nous avons mesuré une réduction du gaspillage alimentaire, souligne la responsable des services généraux, Valérie Lorau. Notamment grâce à une meilleure gestion des imprévus : tant que les plats ne sont pas servis en salle, nous pouvons les conserver au froid et les reproposer le lendemain. »

Mais l'outil mériterait d'être perfectionné, et l'informaticien manque de temps. « Avec tout le parc informatique à entretenir, je n'ai pas les moyens de me consacrer à la sécurisation ou à la mise à jour du logiciel », regrette Guy Ly Thai Bach. En fin d'année dernière, l'IEM a donc sollicité Epitech, qui dispose d'une implantation à Bordeaux. Un partenariat imaginé… autour de la table du dîner chez Julie Merveilleau. « Mon mari est le directeur pédagogique régional de l'école et à chaque fois que j'évoque les difficultés de mes collègues, il a une solution technique à proposer », plaisante-t-elle. Le projet cadre parfaitement avec les principes de l'école (lire l'encadré). Sept étudiants se portent volontaires pour le mener à son terme.

Intégrer les transports

Au-delà des améliorations, la feuille de route inclut la création d'un nouveau module, pour la gestion des transports. Le défi est de taille : « On a vu Monsieur Dumont manipuler son tableau à fiches, c'est surhumain », admire Lucas Troncy, l'un des jeunes codeurs. Responsable de l'atelier de maintenance, Lionel Dumont travaille dans l'établissement depuis vingt-deux ans. C'est lui qui, depuis un an, est chargé de répartir les trajets entre le chauffeur de l'IEM, le prestataire de transports adaptés, ses collègues de la maintenance et les personnels éducatifs. « Il faut avoir une vision globale pour rationaliser au maximum, sinon on ne s'en sort pas », résume-t-il. Avec une quarantaine de jeunes à conduire vers des destinations différentes (les autres empruntent plutôt les transports en commun), impossible de toujours éviter « les couacs ». Le logiciel, espère-t-il, pourrait permettre de mieux répartir la flotte – nombre de places, voiture adaptée ou non aux personnes à mobilité réduite… – et offrir davantage de réactivité, en signalant les véhicules rendus disponibles par l'annulation d'un trajet. « Du fait de son caractère critique dans l'organisation de l'établissement, le module de transport sera développé dans un deuxième temps, souligne Julie Merveilleau. Nous avançons pas à pas, en prenant le temps de bien nous comprendre. Il n'est pas question de décourager les personnels qui, aujourd'hui, se satisfont d'un outil qui remplit très bien sa fonction. »

Une logique de prestation de services

D'autant que le changement n'est pas seulement technologique. Avec le déploiement du logiciel, c'est tout le fonctionnement institutionnel qui s'est trouvé bousculé. « Il s'agit de s'inscrire dans une logique de prestation de services, affirme Patrick Sallette, directeur de l'IEM. Les jeunes posent des choix, et c'est à l'organisation de suivre. Pas l'inverse. » La démarche, estime Julien Michel, est ancrée dans les lois de 2002 et 2005, et arrimée à un principe essentiel : l'autonomie. « Après l'IEM, la majorité des jeunes vivent dans leur propre appartement ou en foyer. Il leur faut alors être capables de planifier leurs journées, de coordonner les intervenants à domicile, de gérer les imprévus… Cela s'apprend, et nous y travaillons dès l'entrée dans l'établissement », indique-t-il. Patrick Sallette, quant à lui, insiste sur la notion d'autodétermination. En passant par un logiciel, les jeunes se sentent beaucoup plus libres de leurs décisions, observe-t-il, par exemple en matière de sorties nocturnes. « Les majeurs nous indiquent vers quelle heure ils pensent rentrer et à quel numéro les joindre. Rien d'autre. Pas besoin de se justifier auprès d'un professionnel pour obtenir une autorisation que le règlement intérieur leur donne de toute façon. Ils vivent leur vie et nous nous adaptons. »

Passé par d'autres établissements, Tanguy Coureau, 22 ans et élu au CVS, apprécie cette liberté à sa juste valeur. « J'ai connu des structures où il fallait tout répéter plusieurs fois à différents intermédiaires, et donner les détails », soupire-t-il. À midi ce jour-là, inutile de préciser qu'il devait déjeuner plus tôt pour se rendre à son cours de basket : l'horaire était programmé dans sa semaine type. Et alors qu'il s'apprête à partir prendre le tram, c'est par pure curiosité affectueuse que Julie Merveilleau lui demande où il se rend. « À Bordeaux, acheter des places pour le concert de Thiéfaine en octobre ! », lance-t-il en s'éloignant, juché à l'arrière du fauteuil électrique d'un camarade. Une sortie qu'il n'aura qu'à inscrire dans la version alpha du logiciel, livrée entre temps par les étudiants d'Epitech.

Clémence Dellangnol - Photos : Frédéric Desmesure

« Une proximité d'âge entre les jeunes de l'IEM et les étudiants d'Epitech »

Denis Merveilleau, directeur pédagogique régional d'Epitech

« Epitech privilégie la pédagogie par projet qui confronte les étudiants au réel : chaque projet de fin d'étude doit pouvoir devenir une start-up viable. La notion d'éthique est également centrale, et pour intégrer cela, rien de tel que les travaux en lien avec la santé ou le social. Ce qui rend l'expérience avec l'IEM si particulière, c'est la proximité d'âge entre les étudiants d'Epitech et les jeunes de l'établissement. Il y a un fort phénomène d'identification. Après la première rencontre, un étudiant avait surtout été frappé par le fait qu'un des jeunes ne puisse pas jouer à la console à cause de la position de son bras. Il s'attendait à ce que les personnes handicapées rencontrent des limitations dans leurs déplacements ou leurs gestes de la vie quotidienne, mais un adolescent privé de Playstation, ça lui semblait beaucoup trop injuste ! Depuis, il se consacre sur son temps libre à la fabrication d'une manette adaptée. De telles expériences contribuent sans nul doute à la déstigmatisation du handicap, et à la construction d'une société plus inclusive. »

En chiffres

  • 66 places pour des jeunes de 15 à 25 ans
  • Équipe : 64 équivalents temps plein (ETP)
  • 7 étudiants mobilisés pendant deux ans et demi
  • Budget : zéro

Contact

05 56 84 49 90

Publié dans le magazine Direction[s] N° 166 - juillet 2018

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