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15e Trophée - Prix des lecteurs
Handicap et vie affective : un magazine en étendard

19/12/2019

La Crau (Var). Depuis 2015, l’Adapei Var-Méditerranée publie « J’existe et Je veux », un trimestriel sur la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap. Celles-ci sont pleinement associées à l’élaboration de la revue, qui se révèle aussi un outil pédagogique précieux pour les professionnels.

« Ah la grande affaire, la sexualité ! » Vanessa Rull relit studieusement la page Édito du prochain numéro de J’existe et Je veux, sous l’œil attentif de Mylène Baudry, assise en face d’elle à la table du comité de rédaction. Autour des participants à la réunion sont éparpillées des feuilles A4 imprimées de textes épurés et colorées de pictogrammes. Édito, Actualités, Interview, Courrier des lecteurs… La matinée s’annonce chargée pour l’équipe. Une fois la relecture de l’éditorial achevée par Vanessa, employée à l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) Les Palmiers, à Hyères, Mylène, animatrice de groupes de parole, enchaîne : « On a reçu une question d’un lecteur, Franck, qui cherche une nana ! » La discussion s’installe alors autour de la réponse à formuler à ce quinquagénaire en quête d’une compagne. L’occasion pour Mylène Baudry d’évoquer, en aparté, le sujet de la rencontre amoureuse avec un autre membre du comité de rédaction, Rui Caravalho, également travailleur de l’Esat Les Palmiers. Pour ce dernier, cependant, la recherche de l’âme sœur n’est plus d’actualité, lui est en couple depuis quelques mois.

Une revue accessible à tous

J’existe et je veux, le magazine de la vie affective et sexuelle accessible à tous, se monte ainsi sous nos yeux, dans la bonne humeur, rubrique après rubrique. La genèse de ce trimestriel novateur remonte à 2014, lorsque furent initiés des groupes de parole sur le thème de la sexualité au sein de foyers d’hébergement de l’Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Var-Méditerranée. « Il ressortait de ces échanges que les personnes accompagnées avaient besoin d’un support d’information sur le sujet, se souvient Michèle Damaz, coordinatrice de projets pour l’association. Nous avons alors créé un groupe de travail pour réfléchir à l’élaboration d’un tel projet, en mesure de répondre aux questions que les personnes se posent sur leur vie sexuelle et affective. Dès cette phase, des participants des groupes de parole ont été intégrés à l'initiative. »

L’idée d’un magazine, au format consultable partout et par tous, s’impose rapidement. Avec une exigence : que le contenu soit intelligible pour chacun. Début 2015, l’équipe suit alors une formation sur la méthode Facile à lire et à comprendre (Falc) et, moins de six mois plus tard, le premier numéro voit le jour.

Résolument pédagogique, la revue se compose notamment d’une rubrique décrivant une partie du corps humain, de l’interview d’un spécialiste (psychologue, sexologue…) et d’un article de fond sur une thématique en lien avec la sexualité et les relations affectives. La séduction, le plaisir, les préliminaires, la grossesse, le Sida ou encore le consentement sont autant de sujets déjà été traités dans ses pages.

Un roman-photo participatif

La présentation ne serait néanmoins pas complète sans l’évocation d’une rubrique phare : le roman-photo. Dans chaque numéro est ainsi mise en scène l’histoire d’amour d’un couple célèbre, réel ou mythique, à travers les époques. Et les personnages de chaque épisode ne sont autres que les personnes accompagnées par l’Adapei Var-Méditerranée ou par des associations partenaires.

Cet après-midi-là, c’est un roman-photo un peu particulier que prépare l’équipe : le prochain numéro portant sur l’adolescence, la rubrique sacrifie à la thématique habituelle des couples célèbres pour mettre en scène des personnages de Glee, série télévisée pour ados. Pour cette plongée dans l’univers d’une chorale universitaire, avec accessoires de pom-pom girls, micros et paillettes, une douzaine de jeunes, venus de deux maisons d’enfants à caractère social (Mecs) gérées par l’Association varoise de réadaptation sociale (AVRS), ont été invités à jouer les modèles dans les locaux de l’Adapei. « C’est un peu stressant, car on va être en photo dans un magazine que beaucoup de personnes vont lire », lance, quelque peu fébrile, Sarah, 17 ans, arrivée de Toulon avec des camarades de la Mecs Le Germinal. Mais rapidement, encouragés par leurs éducateurs, les jeunes se prennent au jeu, sous la houlette de Camile Auriol, chargée du pilotage et du graphisme de la revue, qui a concocté le scénario de l'épisode, et du photographe Laurent Yeghicheyan, qui dispense quelques conseils aux adolescents pour se placer dans le cadre, tout en cherchant la meilleure lumière pour ses images.

Un travail d’équipe qui témoigne du caractère collaboratif de cette aventure éditoriale. Les personnes accompagnées sont étroitement associées à la conception du magazine. Ce, dès la première phase : les thèmes traités se décident en effet au sein des groupes de parole sur la vie sexuelle et affective qui, depuis le lancement du trimestriel, se sont poursuivis au sein des structures de l’Adapei Var-Méditerranée, sous l’égide de Michèle Baudry. Et la participation ne s’arrête pas là : les articles sont relus par des personnes accompagnées, afin d’évaluer en particulier si le niveau de langage est adapté.

Côté fabrication et diffusion de la revue, l’Adapei fait là encore appel à des personnes en situation de handicap : des travailleurs de l'Esat Les Palmiers se chargent de la mise sous pli, tandis que l’impression est assurée par ceux de l’Esat Paul Arène, à La Garde, géré par l’Association varoise de familles pour l’évolution de personnes handicapées (Avefeth).

Un média plébiscité par les professionnels

Les professionnels de l’Adapei ne sont pas en reste : soutenant la revue, ils y voient un outil pédagogique des plus utiles. « Avec ce support, on s’autorise davantage à évoquer les sujets liés à la vie affective et sexuelle avec les personnes, pointe ainsi le psychomotricien Gilles Bernard, membre du comité de rédaction. Ce projet est venu libérer une parole qui était jusqu’ici contenue, y compris du côté des professionnels. » Un avis partagé par Dominique Adami, également membre du comité de rédaction : « C'est une porte ouverte à la discussion avec des publics qui peuvent rencontrer des difficultés à s’exprimer sur la sexualité, qui restent parfois seuls avec leurs ressentis. »

Pour l’éducatrice spécialisée, l’initiative contribue aussi à modifier les représentations sur la sexualité des personnes en situation de handicap, en rompant avec des discours qu’elle a pu rencontrer au début de sa carrière, il y a une vingtaine d’années : « C’était l’époque où cette question était totalement taboue dans le médico-social. On disait aux résidents en foyer qu’ils formaient "une grande famille", que "ces choses-là" y étaient interdites… On niait complètement leur droit d’aimer. »

Autant qu’un outil pratique, les professionnels voient d’ailleurs dans ce magazine une sorte d’étendard. « Par son existence même, il permet d’affirmer haut et fort que la sexualité est un droit pour tous, glisse ainsi Mylène Baudry. En ce sens, c’est un magazine militant ! »

Succès au rendez-vous

Un message auquel semblent adhérer les lecteurs : en près de cinq ans de parution, le succès ne se dément pas. Si le projet a bénéficié d’une subvention de 15 000 euros via la Fondation de France dans sa phase d’amorçage, l’objectif final est bien de voler de ses propres ailes. « Nous espérons parvenir à un équilibre financier avec les abonnements », explique Aline Rol, directrice de la communication de l’Adapei Var-Méditerranée et membre du comité de pilotage. Pari réalisable, au regard du millier d’abonnés réguliers que compte déjà la revue. Et une réussite qui a même franchi les frontières françaises, J’existe et Je veux ayant aussi conquis des lecteurs dans d’autres pays francophones, Canada et Belgique en tête !

Justine Canonne - photos Loïc Malavard

« Préserver l’intimité… en l’évoquant ouvertement »

Michèle Damaz, coordinatrice de projets à l’Adapei Var-Méditarranée

« Au tout début de la réflexion sur la création d’un magazine sur la vie affective et sexuelle, je dois avouer avoir été un peu perplexe : je craignais que cette démarche soit trop intrusive à l’égard des personnes en situation de handicap, que l’on s’immisce dans un sujet où nous n’avions donc pas notre place en tant que professionnels, car il est de l’ordre de l’intime. Or, il répond justement à un besoin majeur des résidents : avoir à leur disposition un support d’information qu’ils peuvent emporter et consulter librement, en toute intimité. La revue relève le double défi d’évoquer ouvertement le sujet, tout en préservant l’intimité de chacun. »

En chiffres

  • 18 numéros, publiés à un rythme trimestriel, depuis le lancement en 2015.
  • 5,20 euros : prix de vente au numéro, 19 euros pour l’abonnement annuel.
  • 4000 à 5000 euros : coût total de fabrication du magazine, en fonction du tirage.
  • 1000 abonnés fixes, institutions et particuliers confondus.
  • 125 personnes en situation de handicap ont déjà contribué à l’élaboration du magazine depuis ses débuts, via les groupes de parole, les comités de rédaction, et les phases d’impression et de mise sous pli.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 182 - janvier 2020

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