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14e Trophée. Prix Gouvernance et management d'équipe
Révolution managériale au foyer de vie

05/02/2019

Versailles. Faire sauter les carcans de la hiérarchie en favorisant l’autorégulation et l’autonomie, à l’image des « entreprises libérées » : c’est le chantier dans lequel s’est engagé le foyer de vie La Maison d’Éole. Une démarche distinguée par le prix de la catégorie Gouvernance et management d’équipe du 14e Trophée Direction[s].

« Qui souhaite participer à la nouvelle attribution des chambres ? » Lancée à la cantonade par l'adjointe de direction et coordinatrice Véronique Schaller, la proposition suscite quelques hésitations. « J'ai fait une première répartition provisoire, mais ce n'est qu'une ébauche. À vous, en fonction de votre quotidien, de la modifier et de la finaliser », insiste la cheffe de service. Dans la grande salle où sont réunis 25 salariés, des mains se lèvent progressivement. Six professionnels se portent volontaires pour trancher la question avant la fin de la journée.

« Ce sont ceux qui font qui savent »

Si le sujet a été abordé dès l'ouverture de la réunion générale, qui se déroule tous les mardis après-midi, ce n'est pas un hasard : le sujet est urgent. Accueillis provisoirement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) voisin inutilisé, les résidents et le personnel du foyer de vie La Maison d'Éole, à Versailles (Yvelines), réintégreront dans quelques mois leurs locaux, entièrement rénovés et réaménagés. Le début des travaux étant imminent, la redistribution des chambres doit être validée sans tarder. « Le degré de dépendance, les affinités et les inimitiés, les souhaits que les personnes ont exprimés… Ce sont les éducateurs qui connaissent le mieux les contraintes liées à chaque résident. Ils sont donc les mieux placés pour décider », explique un peu plus tard Véronique Schaller. Laisser l'équipe éducative décider de ce qui la concerne, c'est justement l'un des principes du management à responsabilités partagées, déclinaison du concept d'« entreprise libérée » [1] dans lequel s'est engagé l'établissement en janvier 2017. En clair, considérant que « ce sont ceux qui font qui savent », les décisions sont désormais prises par ceux qu'elles vont toucher, la direction étant là, non pas pour contrôler, mais pour donner un cadre et un sens à l'action collective. « Comment attendre de l'implication et de la créativité de la part de professionnels qualifiés, expérimentés, à qui on demande principalement d'exécuter des procédures ? », interroge Luc Lafond, directeur de ce foyer de vie dépendant du centre communal d'action sociale (CCAS) de la Ville de Versailles.

Un nouvelle posture pour l'encadrement

Cette petite révolution managériale au sein de cet établissement accueillant des adultes handicapés mentaux ne s'est pas faite en un jour. Le déclencheur ? « Une formation-réflexion sur la bientraitance qui a débuté en 2015. À la suite de celle-ci, des référents ont été nommés, mais il manquait une dynamique pour que les équipes soient réellement parties prenantes de la démarche », raconte Luc Lafond. En préparant un master en Management des institutions sanitaires et sociales, ce dernier explore le concept de l'entreprise libérée et se fait accompagner, à partir de janvier 2017, par le coach et formateur Christophe de Vareilles, afin de se projeter dans ce type de fonctionnement. « Ce n'est pas un choix qui va de soi pour un directeur. Il implique un réel travail préalable sur sa posture, car il faut accepter d'être dépossédé d'une partie de son pouvoir. Et ne pas être tenté, à la première difficulté, d'intervenir pour donner des consignes ou recadrer », raconte Luc Lafond. « Dans un contexte d'entreprise libérée, le rôle du directeur est d'être le garant des valeurs de la structure et de l'unité du collectif », précise Christophe de Vareilles.

Pour les cadres aussi, cette transformation ne s'est pas faite d'un coup de baguette magique. « J'aime les choses carrées, cadrées. Au début, j'ai eu du mal à lâcher prise, à ne pas donner des avis tranchés et à m'intégrer à une réflexion plus collective, sans que ma voix compte plus qu'une autre », confie Véronique Schaller, qui travaille à la Maison d'Éole depuis son ouverture, il y a 21 ans. En avril 2017, lorsque le projet d'établissement à responsabilités partagées est présenté en séminaire, l'accueil est très favorable. « Presque trop, alors que je m'attendais à plus de méfiance, se souvient Luc Lafond. Il a fallu modérer les enthousiasmes, car tout était à construire. Ou plutôt à coconstruire. »

Les éduc' spés recrutent leurs futurs collègues

Première application pratique, l'élaboration des plannings, désormais confiée aux membres de l'équipe éducative, mais aussi aux agents de service. « Même en tenant compte des obligations de chacun, il est impossible de proposer un planning qui satisfasse tout le monde », constate la coordinatrice Camille Menet. D'où des récriminations remontant régulièrement à la direction. « Le sentiment de ne n'être pas pris en compte lors de leur définition a disparu puisque c'est entre professionnels que les choix sont faits. Il y a aussi plus de compréhension pour les contraintes des uns et des autres, et davantage de solidarité », assure Luc Lafond. Idem pour l'organisation des activités proposées aux résidents et aux usagers accueillis la journée. « Selon moi, elles sont trop nombreuses, notamment parce que notre public est vieillissant et donc moins en demande, relève le directeur. Mais c'est à l'équipe éducative de gérer cette question ».

Autre thématique sur laquelle sont impliqués les professionnels, celui du recrutement. Là, le partage de responsabilité se fait progressivement. « Nous sélectionnons les CV puis nous participons aux entretiens. À la fin du processus, c'est collectivement que nous faisons un choix », explique Anne-Laure Bourguignon, éducatrice spécialisée en poste depuis trois ans à La Maison d'Éole. Pour l'heure, cependant, le directeur est encore aux manettes, menant les entretiens. « Mais l'objectif est de leur passer la main afin qu'ils mènent le process de A à Z de manière autonome. Je ne conserverai que l'aspect administratif des embauches », indique Luc Lafond. Et cela, au risque de n'être pas en phase avec le choix final de ses troupes.

Des échanges authentiques

Plus tôt dans la journée, en début de matinée, l'équipe éducative s'est retrouvée dans une petite salle de réunion, pour un point rapide. Un rendez-vous quotidien auquel tout le monde vient naturellement. Alors que pendant longtemps la direction a dû batailler pour instaurer ce court temps de coordination. « Les échanges entre professionnels sont plus naturels, plus authentiques, plus respectueux aujourd'hui, constate Anne-Laure Bourguignon. Et le nouveau mode de management constitue un cercle vertueux : plus on vous fait confiance, plus vous avez confiance en vous, et plus vous souhaitez prendre des responsabilités et vous impliquer dans le bon fonctionnement de l'établissement. » Même les fonctionnaires les plus chevronnés plébiscitent l'évolution. « Aujourd'hui, j'ai davantage un rôle de médiateur que de supérieur hiérarchique auprès des sept agents de service, j'interviens lorsqu'ils ne parviennent pas à organiser leur travail. De ce fait, j'ai plus de temps pour mes autres missions, notamment les commandes et la gestion des relations avec les services de la Ville, pour la maintenance et l'entretien », explique Yannick Varis, responsable technique depuis six ans à La Maison d'Éole, et fonctionnaire à la Ville de Versailles depuis trente ans, comme Valérie Boyer, l'assistante de direction. « Le changement d'ambiance est net, confirme cette dernière. Il y a moins de barrières entre les professionnels des différents services, plus de solidarité et d'entraide. Aujourd'hui, il me semble inconcevable de revenir à un autre mode de fonctionnement. »

Un moindre turn-over

Un sentiment général qui se traduit dans les chiffres : 0 % de turn-over en 2017 et seulement 10 % en 2018. « Mais ce sont des départs pour raisons personnelles, sans lien avec l'organisation et le fonctionnement du foyer de vie », précise Luc Lafond. Nécessaire pour approfondir la démarche de responsabilités partagées, la stabilité de l'effectif et la cohésion entre les professionnels a aussi un impact positif sur les résidents. « Ils sont très sensibles à l'ambiance au sein de l'équipe ainsi qu'au faible turn-over. Le fait d'être entourés de visages familiers a un effet sécurisant », note l'éducatrice spécialisée Émilie Hamon. Replacer effectivement les usagers au cœur du dispositif, c'était justement l'un des objectifs qui a motivé ce changement de management. Une organisation libérée autour de laquelle la direction souhaite désormais développer un réseau d'établissements ayant pris ou s'apprêtant à prendre le même chemin.

[1] Lire Direction[s] n° 110, p. 16, entretien avec Issac Getz : « Partager sa vision et libérer ses équipes »

Jean-Marc Engelhard. Photos : Christophe Boulze

« Une autonomie qui contribue à l'amélioration de la qualité du service »

Mélina Ferlicot, directrice du CCAS de la Ville de Versailles (Yvelines)

« Le management public s'appuie encore très souvent sur une organisation hiérarchique et un fonctionnement fondé sur l'application de règles et de procédures. Mais c'est aussi le cas de beaucoup d'entreprises. Dans le secteur médico-social, il y a en plus de nombreuses obligations et contraintes réglementaires qui, au moins en apparence, restreignent le champ des possibles en matière de management. Pour autant, on s'aperçoit que le partage des responsabilités, notamment dans le cas de la Maison d'Éole, a de multiples vertus. Il implique, de la part des professionnels, une prise de recul et une réinterrogation de leur propre pratique, mais aussi une prise en compte de celle de leurs collègues. Ce qui se traduit par une meilleure acceptation du fait que tout le monde ne travaille pas de la même manière et cela facilite le dialogue. Cette autonomie permet aussi aux professionnels de s'affirmer et de développer de nouvelles compétences, ce qui contribue à l'amélioration de la qualité du service ».

En chiffres

  • Équipe : 30 salariés dont 18 éducateurs (éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, aides médico-psychologiques) 
  • Résidents : 30 (et 18 externes) 
  • Budget annuel : 1 812 000 euros

Contact

Tél. : 01 30 97 85 04

Courriel : luc.lafond@versailles.fr

Publié dans le magazine Direction[s] N° 172 - février 2019

Images

La Maison d’Éole © Christophe Boulze

La Maison d’Éole © Christophe Boulze






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