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14e Trophée - Mention Coopération et ouverture sur le territoire
Le Portail, un laboratoire du vivre-ensemble

08/05/2019

Villeneuve d’Ascq (Nord). Un handifablab, des séminaires d’entreprise, un marché éphémère, des résidences d’artistes… L’IEM Christian Dabbadie multiplie les activités pour constituer un tiers lieu baptisé Le Portail. Son ambition ? Favoriser l’inclusion des jeunes en ouvrant grand la porte de l’établissement aux acteurs du territoire.

Au milieu du parc arboré de l’institut d’éducation motrice (IEM) Christian Dabbadie, un chapiteau aux rayures bleues et blanches accroche le regard. « L'ancien directeur était passionné de cirque », souffle Dominique Delbecque, un des deux chefs de projet Arts et culture. D’une capacité de 175 personnes, la tente est mise à disposition des artistes pour leurs spectacles et en retour, ceux-ci s’engagent à  animer un atelier avec les jeunes en situation de handicap accueillis dans l'établissement géré par APF France handicap. Objectifs ? Ouvrir l’établissement sur l’extérieur en y faisant entrer la société civile et ainsi concourir à « une forme de désinstitutionalisation », explique Philippe Durietz, le directeur de l'IEM.

Ce principe irrigue tous les projets portés par le tiers lieu baptisé Le Portail mis en place progressivement depuis 2013. En effet, la direction s’est appuyée sur ce concept qui vise à favoriser le vivre-ensemble en provoquant des rencontres entre personnes et compétences variées. Concrètement, il s’agit de développer des activités en lien avec des acteurs extérieurs pour et avec les jeunes au sein de l’institut afin de « décadrer le regard sur les handicaps ».

Cinq pôles d’innovation

Polycentrique, l’organisation du Portail se décline en cinq pôles reliés les uns aux autres. Le plus ancien, Les Arts et la culture, rassemble des activités à l'intérieur de la structure et à l’extérieur, toujours en lien avec différents partenaires (centres sociaux, associations). Par exemple cette année, « une dizaine de jeunes participent à la chorale de l’école de musique de la ville », se félicite Dominique Delbecque. En outre, l’établissement accueille depuis trois ans des artistes en résidence. Dans le cadre du programme Culture-Santé de l'agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France [1], l'IEM « bénéficie d’une subvention de 12 500 euros de la direction régionale des affaires culturelles (Drac) et de l’ARS. Chaque année, nous sélectionnons un artiste qui s’immerge pendant dix semaines dans l’établissement et réalise une création avec les jeunes », explique Katell Leprohon, directrice adjointe. Ainsi entre janvier et mars dernier, l’artiste Stéphane Querrec, s’est intégré dans la structure et a proposé aux enfants des ateliers d’écriture. « Nous avons réfléchi ensemble à la question du regard, celui que l’on porte sur soi, sur les autres et le regard des autres. Les jeunes ont créé des phrases poétiques que nous avons affichées dans l’IEM », raconte-t-il. Des expériences plébiscitées par les professionnels : « Quand on accompagne un enfant, nous le voyons  à travers sa rééducation donc davantage à travers ses difficultés que par ce qu’il pourrait être. La pratique artistique nous révèle ses compétences », ajoute Katell Leprohon.

La mise en valeur des « capabilités » des jeunes de l’IEM est également développée au sein du deuxième pôle du Portail, la Plateforme des entreprises, qui recouvre différentes actions menées avec le monde économique. Ainsi, les grandes salles du château (une maison de maître de 1 000 m2 située à l’entrée de l’établissement) sont prêtées à des sociétés pour accueillir séminaires et formations. L’accueil et la logistique y sont assurés par les usagers. « Ceux qui suivent une formation qualifiante Restauration viennent servir une collation ou un repas. Ce qui leur permet d’être mis en situation de travail », explique Isabelle Bouchart, coordinatrice de parcours préprofessionnels.En contrepartie, les entreprises s’engagent à accorder aux jeunes des temps d’échanges comme du coaching pour rechercher un emploi. Des interactions qui ont, en outre, le mérite de faire évoluer les représentations sur le handicap (lire l'encadré p. 18).

Une hiérarchie inversée

Ces rencontres sont aussi l’occasion pour certains jeunes scolarisés au sein de l’IEM de présenter leur mini-entreprise. Dans le cadre du dispositif Entreprendre pour apprendre, une classe, parrainée par un chef d’entreprise pendant une année, conçoit et réalise un produit. Par exemple, la mini-entreprise 2018-2019 – les Super Z’héros Déchet – a créé un Kit cuisine, composé notamment d’une éponge lavable et d’essuie-tout ré-utilisables. « Chaque jeune de la classe a un rôle : il y a le chef, le comptable, le responsable de la communication… Et ils mènent toutes les étapes, de la création à la commercialisation », explique Solange Brunet, enseignante spécialisée. Conçue en mode projet, cette expérience dans laquelle « les adultes s’effacent et ne sont plus là qu’en guide dans une forme de hiérarchie inversée » leur permet de « s’autogérer et de se sentir investis », ajoute-t-elle. Une initiative distinguée par plusieurs prix et qui a aussi pour ambition de présenter une image différente du handicap lors des ventes réalisées sur des marchés et des événements locaux. Ainsi le Kit cuisine sera bientôt mis en vente lors du marché éphémère qui se tient chaque jeudi après-midi sous le chapiteau.
Depuis plus d’un an, l’IEM a ouvert le troisième pôle du portail : la Place du marché, via une « Ruche qui dit oui ». Plus de trente producteurs locaux livrent chaque semaine fruits, légumes, viandes, produits laitiers… que les habitants de la métropole lilloise achètent sur Internet (700 membres) et viennent récupérer en mains propres. « Les enfants sont investis à toutes les étapes, relate Monique Bastaert, éducatrice spécialisée. Ils ont été associés à la sélection des producteurs. Chaque semaine en atelier informatique, ils choisissent les produits qu’ils souhaitent mettre à la vente et réceptionnent les commandes. » Le jour du marché, ils reçoivent les producteurs, répartissent les articles avant d’accueillir les clients. « La solidarité est à double sens : nous œuvrons à l’économie sociale et solidaire (ESS) et mettons les jeunes, notamment ceux qui suivent une formation Relations commerciales, en situation », relève Katell Leprohon.

Des aides techniques personnalisées

L’implication des résidents dans une perspective d’empowerment est encore au cœur du Handifablab [2], le quatrième pôle. Situé au deuxième étage du château, ce lieu collaboratif de fabrication d’objets spécialement destinés aux personnes handicapées, ouvre ses portes deux fois par semaine aux jeunes de l'IEM, mais aussi d’autres structures médico-sociales. Le long des murs de la grande salle lumineuse, plusieurs ordinateurs, différents modèles d’imprimantes 3D et deux scanners ont été installés. « Ici nous créons des aides techniques personnalisées », explique Nicolas Afchain, informaticien et coanimateur du laboratoire. Des manches de brosses à dents, un porte-téléphone portable, une grosse pince pour décapsuler une bouteille, des joysticks adaptés, des boutons pressoirs pour jouer au UNO…  « Nous partons du besoin, réfléchissons avec eux à l’outil qu’ils souhaitent concevoir et dont ils modélisons ensuite le plan avec le logiciel Indesign », ajoute Clémence François, ergothérapeute. Par ailleurs, porté par ce souci de l’inclusion, le fablab organise régulièrement des formations pour les professionnels, intervient dans les écoles et participent à des salons spécialisés.

Des opérations de sensibilisation au handicap

L'atelier sera bientôt mis à contribution pour créer de nouveaux objets à destination de la Maison universelle dont l’inauguration est prévue fin 2019. En voie de finalisation sur le terrain de l’IEM, cette structure autonome est la dernière brique du portail, le cinquième pôle. Il s’agit d’une demeure de plain pied composée d’une grande salle de vie (avec cuisine, salle à manger et coin salon), de deux chambres et de deux salles de bains, l’ensemble étant accessible aux personnes handicapées et âgées. Construite par des artisans labellisés Handibat, la maison a vocation à devenir « un lieu ressource autour de l’aménagement du domicile », explique Clémence François. À l’avenir, elle pourra être utilisé pour des ateliers et les jeunes de l’IEM pourront l’occuper durant la journée pour gagner en autonomie. Mais au-delà, elle a vocation à accueillir le grand public dans le cadre d’opérations de sensibilisation au handicap ou pour présenter et faire tester à des personnes en perte d’autonomie les aides techniques dont elles pourraient avoir besoin à domicile. « Les jeunes, qui ont l’expertise d’usage, seront alors chargés de faire visiter le lieu et de présenter les instruments réalisés par le fablab », précise l'ergothérapeute.

Comme le Handifablab, la Maison universelle devrait devenir l’un des piliers d’un projet encore plus vaste initié par l’IEM et de nombreux acteurs de l’ESS, celui de la Grande Maison. Un tiers lieu XXL porté par une association en voie de création et dont l’établissement ne sera plus qu’un partenaire parmi d’autres. « Les activités du Portail ont été conçues dans le cadre de l’accompagnement des personnes handicapées. Si nous souhaitons "générer de l’économie", nous devons sortir du cadre médico-social, explique Philippe Durietz. Avec les travaux en cours, nous avons dû réfléchir à une autre vie pour le château. Et donc nous avons décidé, dans le prolongement du Portail, d’en faire un lieu de réponses de proximité géré, non pas par l’IEM, mais par une nouvelle association où ce dernier aura une place », poursuit-il.

Hybridation des ressources

En janvier 2021, le château devrait être mis à disposition  de nombreux acteurs (entreprises, associations, start-up, collectivités…) pour créer cet « espace d'innovation sociale » dans lequel toutes les activités du Portail seront intégrées et enrichies. Un restaurant, des salles de coworking, des lieux d’exposition, des jardins partagés… sont déjà envisagés pour lesquelles 18 partenaires privés et publics (la mairie, Cofidis, Humanis, Norauto, Nord actif, des associations comme la Tente des Glaneurs et Trézorium…) se sont engagés à apporter leur concours financier. Car il s’agit bien de définir un modèle économique durable. Or, « prendre le grand virage inclusif ne pourra avoir lieu qu’en changeant le modèle juridique des établissements afin d’hybrider les ressources », conclut le directeur.

[1] [1] Les résidences Mission d’appui artistique sont des appels à projets menés conjointement par l’ARS et la direction régionale des affaires culturelles (Drac) dans le cadre du programme Culture-Santé.

[2] Né de la contraction des mots handicap, fabrication et laboratoire.

Noémie Colomb. Photos : Thomas Gogny

« Croiser toutes les populations »

Thierry Fouquet, directeur de l’agence de communication La Constellation

« Co-initiateur du projet de tiers lieu, je suis, depuis quatre ans, le parrain de la mini-entreprise portée par l’une des classes de l’IEM. Au départ, j’y suis allé pour m’acheter une place au paradis. Ça n’a pas d’emblée été facile : j’avais peur du handicap, je ne savais pas comment parler aux enfants… En menant ce projet avec eux, j’ai appris à les approcher, à développer une relation équilibrée où ils m’apportent autant que je leur apporte. Cette expérience m’a donné envie d’aller plus loin. Dans le prolongement du Portail, nous avons imaginé avec l’équipe de direction le projet de la Grande Maison, un tiers lieu du “faire-ensemble” dans lequel toutes les populations vont se croiser. L’occasion de créer des liens entre le monde ordinaire et celui du handicap à travers un lieu de vie installé au cœur de l’IEM, mais ouvert à tous. »

En chiffres

  • 197 jeunes accueillis, âgés de 2 à 20 ans.
  • 79 places en internat, 118 en semi-internat. Dont 15 sont réservées à des adultes entre 20 et 25 ans en poursuite d’études et 18 pour des jeunes polyhandicapés.
  • Équipe : 143 équivalents temps plein (ETP).
  • 10 millions d'euros : budget annuel de l’établissement.
  • 200 000 euros TTC c’est le coût de la Maison universelle.
  • 18 partenaires publics et privés sont déjà engagés dans le projet de Grande Maison pour un montant global de 268 000 euros.
  • 650 euros, c’est la somme récoltée par la Ruche qui dit oui chaque semaine et dont 8 % revient à l'IEM.

Contact

Katell Leprohon : 03 20 34 48 50

Publié dans le magazine Direction[s] N° 175 - mai 2019

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