
Le temps de latence entre le terme de l’arrêt de travail et la visite de reprise génère des situations complexes auxquelles il convient d’être vigilant.
Lorsqu’elle est obligatoire, l’organisation de la visite de reprise d’un salarié absent représente un enjeu majeur pour les employeurs dont l’attitude attentiste, volontaire ou non, est sanctionnée par la jurisprudence. Les délais de traitement des services de prévention et de santé au travail, ainsi que la pénurie des médecins du travail – 5 108 médecins en 2012, 4 265 en 2023 [1] – ne sont pas sans jouer un rôle dans les difficultés rencontrées.
Visite obligatoire et fin de suspension du contrat : une attitude proactive
Au cours des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre le contrat que s’il justifie (article L. 1226-9 du Code du travail) :
- soit d’une faute grave du salarié ;
- soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
Seul l’examen pratiqué par le médecin du travail (articles R. 4624-21 et R. 4624-22 du Code du travail) met un terme à la période de suspension du contrat [2].
La jurisprudence impose à l’employeur d’adopter une attitude proactive dans l’organisation de la visite de reprise : à lui de saisir le médecin du travail à cette fin. En principe, cette visite doit avoir lieu le jour de la reprise effective du travail et, au plus tard, dans les huit jours calendaires suivant la date de la fin de l’arrêt [3]. La visite doit être organisée dès lors que le salarié remplit les conditions pour en bénéficier, en fait la demande et se tient à la disposition de son employeur pour cela.
Ainsi, la Cour de cassation a récemment rappelé que, à l’issue de l’arrêt de travail, le salarié qui se tient à la disposition de son employeur a droit au paiement de son salaire [4]. Par ailleurs, l’employeur ne peut pas subordonner l’organisation de la visite au retour du salarié à son poste [5].
Absence injustifiée, pas de caractère fautif automatique
Quid du sort du salarié en absence injustifiée dans l’attente de l’organisation de la visite de reprise ? Le temps de latence entre le terme de l’arrêt de travail et la visite de reprise génère, pour l’employeur, des situations complexes face auxquelles il convient d’être vigilant. Aussi, la question du caractère fautif de l’absence injustifiée du salarié est légitime mais son traitement interroge. D’ailleurs, la jurisprudence a longtemps été divisée en la matière. Une première position de la Cour de cassation tendait à confirmer qu’en l’absence de visite de reprise, le contrat de travail demeurait suspendu de sorte que le salarié qui ne se présentait pas à son poste ne commettait pas de faute [6]. Cependant, un autre courant jurisprudentiel permettait de douter de la constance de cette première position dans la mesure où la Cour reconnaissait également, selon les circonstances, qu’il ne pouvait être reproché à l’employeur laissé sans nouvelles de ne pas avoir organisé la visite et d'avoir in fine licencié le salarié pour faute grave au motif d’absences injustifiées [7]. Par un arrêt rendu le 1er juin 2023, la Cour met un terme à ces incertitudes et juge, en dernier lieu, que l’employeur ne peut reprocher au salarié son absence à défaut d’avoir organisé la visite de reprise malgré le silence gardé par ce dernier [8]. L’employeur conserve, néanmoins, la possibilité de sanctionner le refus du salarié, en dépit de l’envoi de mises en demeure, de se rendre à cette visite de reprise [9].
Malgré les difficultés rencontrées sur le terrain pour obtenir des rendez-vous auprès de la médecine du travail, la question de l’organisation de la visite de reprise impose donc à l’employeur une vigilance accrue. À défaut de sa tenue effective, il s’expose en effet à divers risques contentieux, tant en matière d’exécution que de rupture du contrat de travail dans la mesure où son organisation lui incombe.
[1] Assemblée nationale, question écrite n° 15 700, Pénurie de médecins du travail, réponse publiée au JO du 23 avril 2024, p. 3336
[2] Cass. soc. 12 novembre 1997, n° 94-40.912 ; Cass. soc. 6 avril 1999, n° 96-45.056 ; Cass. soc. 28 novembre 2006, n° 05-44.252
[3] Code du travail, art. R. 4624-31
[4] Cass. soc. 24 janvier 2024, n° 22-18.437 ; dans le même sens : Cass. soc. 23 septembre 2014, n° 12-24.967
[5] Cass. soc. 3 juillet 2024, n° 23-13.784
[6] Cass. soc. 28 avril 2011, n° 09-40.487 ; Cass. soc. 6 mai 2015, n° 13-22.459 ; Cass. soc. 22 février 2017, n° 15-22.378
[7] Cass. soc. 14 décembre 2011, n° 10-19.997 ; Cass. soc. 16 octobre 2013, n° 12-13.455 ; Cass. soc. 13 janvier 2021, n° 19-10.437
[8] Cass. soc. 1er juin 2023, n° 21-24.269
[9] Cass. soc. 16 mars 2016, n° 14-21.304 ; Cass. soc. 24 janvier 2018, n° 16-25.747
Maud Guffroy, avocate, Picard avocats
Publié dans le magazine Direction[s] N° 242 - juin 2025