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Réforme de la formation professionnelle
La grande inconnue

19/09/2018

La loi « Pénicaud » du 5 septembre 2018 porte plusieurs réformes d’ampleur dont celle de la formation professionnelle. Un big bang qui inquiète les employeurs du secteur social et médico-social sur leur capacité de poursuivre la professionnalisation des équipes.

Favoriser « l’émancipation sociale par le travail et la formation » en développant un accès plus rapide et plus simple aux compétences dans un contexte de transformation des métiers. C’est l’ambition du gouvernement à travers la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel promulguée le 5 septembre dernier. Au programme ? Une refonte totale du système de la formation se traduisant par une plus grande autonomie accordée au salarié dans ses choix de formation, la centralisation du financement ou encore la transformation de différents dispositifs. Mais de nombreuses zones d’ombre subsistent sur les modalités de mise en œuvre du texte et ses impacts pour les employeurs du champ social et médico-social. Les nouvelles règles du jeu leur permettront-elles de poursuivre leur politique de montée en compétences des équipes afin de répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain de leurs structures ?

Un « nouvel impôt » pour les plus de 50 salariés ?

Au rang des principaux bouleversements ? La création dès 2019 d’une contribution unique relative à la formation professionnelle et à l’alternance. Du côté des employeurs du secteur, l’opération est neutre : la base de calcul de la taxe n’évolue pas et les associations restent exonérées du volet apprentissage [1]. Neutre en apparence. En effet, sous couvert de simplification, elle sera prélevée à partir du 1er janvier 2021 non plus par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) – amenés à se transformer en opérateurs de compétences (Opco) dès avril 2019 –, mais par les Urssaf, afin d’être centralisée dans le pot commun à toutes les entreprises géré par la future agence France compétences. Un changement de taille au détriment du paritarisme de branche, pointe David Cluzeau, délégué général du Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA) : « Jusqu’à présent, la collecte par les OPCA assurait une mutualisation des fonds entre les structures d’un même secteur. Si la contribution des employeurs ne change pas, la part sous la responsabilité des partenaires sociaux de branche est réduite : France compétences ne reversera qu’une part de ces fonds aux Opco pour qu’ils assurent leurs missions ». Des missions resserrées en particulier sur le financement de l’alternance (apprentissage et professionnalisation) et des plans de développement et de compétences (remplaçant les plans de formation) pour… les petites et moyennes entreprises.
Qu’en est-il des organisations comptant entre 50 et 299 salariés ? « Ces employeurs vont contribuer sans que leurs équipes ne bénéficient en retour de cet effort. Cela s’apparente à un nouvel impôt, déplore Hélène Lemasson-Godin, directrice des ressources humaines de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). En outre, rien ne permet de dire que les associations pourront financer leur plan de formation sur leur trésorerie. »

Quid des versements volontaires ?

Des entreprises qui pourraient bien être tentées de réduire leurs concours volontaires, afin de dégager des marges de manœuvre. En 2017, elles représentaient ainsi plus de 35 % des ressources d’Unifaf, et permettaient d’abonder les dispositifs pour faire face aux besoins de ses adhérents. Qui collectera ces contributions à l’avenir ? « Cela devrait rester de la responsabilité des Opco. Dans ce cadre, nous faisons le pari que les associations continueront à nous les allouer. Ce qui nous permettra de poursuivre notre action, notamment pour financer les plans de formation des plus de 50 salariés », espère Jean-Pierre Delfino, directeur général d’Unifaf. Quant au fléchage des fonds conventionnels, également importants dans le secteur, l’ordonnance attendue sur les circuits de collecte doit encore éclairer le sujet. Le risque en cas de mutualisation dans les caisses de France compétences ? Que les partenaires sociaux se montrent moins ambitieux lors de la renégociation en 2019 des accords de branche fixant les taux conventionnels. « Le choix devrait être laissé aux partenaires sociaux entre la collecte par l’Opco ou l’Urssaf », croit savoir Jean-Pierre Delfino.

Un CPF insuffisant

Ces enveloppes seront pourtant nécessaires pour continuer notamment d’abonder le compte personnel de formation (CPF), qui sera monétisé à compter du 1er janvier. Chaque actif pourra cumuler 500 euros par an (800 euros pour ceux sans qualification) pendant dix ans maximum. Des montants qui, seuls, sont insuffisants pour financer les cursus longs. « Par exemple, le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES) coûte près de 6 000 euros », rappelle Hélène Lemasson-Godin.
En outre, les salariés accéderont directement à leur CPF via une application mobile, écartant de fait leur hiérarchie de leur demande de formation. Ce changement de logique va obliger les employeurs à « inventer de nouvelles formes de dialogue avec leurs équipes, en particulier dans le cadre des entretiens professionnels. Ils vont devoir les motiver pour qu’elles s’orientent vers des formations répondant aux besoins de la structure ou du secteur en s’engageant à les cofinancer », explique David Cluzeau. « Il est paradoxal que la loi accorde une grande liberté aux salariés dans leurs choix tout en confortant l’obligation de formation des employeurs », ajoute Hélène Lemasson-Godin.
Autre enjeu : éviter une baisse des entrées en formation si les professionnels, notamment les plus fragiles, ne sont pas accompagnés. « Actuellement dans l’économie sociale et solidaire (ESS), 70 % des demandes de CPF sont coconstruites avec l’employeur, pointe Dorothée Bedok, directrice du pôle Relations sociales de l’organisation patronale Nexem. Notre souci est donc de maintenir cette coconstruction. Nous accompagnerons nos adhérents afin qu’ils puissent développer une politique de formation attractive de comobilisation financière. Les textes à paraître devraient permettre d’affiner la réflexion sur les leviers d’optimisation possibles. »

De nouvelles mesures

Les employeurs vont également devoir s’approprier de nouveaux dispositifs. Définition élargie de l’action de formation incluant celle à distance ou en situation d’emploi, remplacement de la période de professionnalisation par un système de reconversion pour les salariés en CDI (dont les modalités doivent être précisées)… Quant au congé individuel de formation (CIF), très utilisé dans l’aide à domicile pour permettre aux aides-soignants de devenir infirmiers, il sera transformé en CPF de transition. Des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) instruiront et financeront les dossiers des candidats qui peuvent y prétendre. Le hic : les organisations multiprofessionnelles, notamment du social et médico-social, n’y siégeront pas. Les budgets seront-ils alors bien fléchés vers les métiers et priorités du secteur ? L’absence de ses représentants au conseil d’administration de France compétences est tout aussi préoccupante. Comment les enjeux, besoins et spécificités de l’ESS seront-ils pris en compte dans le pilotage des politiques de formation à l’avenir ?
2019 sera une année charnière. Les structures doivent anticiper une équation à multiples inconnues et faire œuvre de pédagogie auprès des équipes. En outre, ils devront verser en début d’année leur contribution sur la masse salariale au titre de 2018, puis en fin d’année la nouvelle contribution unique au titre de 2019. Du côté des partenaires sociaux, il s’agira de renégocier les accords de branche relatifs à la formation professionnelle. Avec un handicap pour la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass) où, toujours dans l’attente des résultats en matière de représentativité patronale [2], le dialogue social est pour l’heure gelé. « La loi a posé des principes, mais le Parlement a laissé beaucoup de zones floues. Tout est donc à construire, conclut Dorothée Bedok. Nous attendons la centaine de décrets d’application promis avant la fin de l’année pour pouvoir nous organiser. Notre enjeu est de continuer à former les salariés dans un contexte de transformation de l’offre d’accompagnement qui nécessitera de nouvelles compétences. »

[1] 0,55 % pour les entreprises de dix salariés et moins, 1 % au-delà.
[2] Lire Direction[s] n° 156, p. 6

Noémie Colomb

Pas d’Opco unique pour le secteur ?

Regrouper les 20 OPCA au sein de 11 opérateurs de compétences (Opco). C’est le scénario du rapport Marx-Bagorski, remis début septembre à la ministre Muriel Pénicaud. Loin de la demande portée par l’Union des employeurs Udes qui souhaitait la fusion des OPCA Unifaf et Uniformation, le champ de l'ESS est répartie dans deux opérateurs distincts. Ainsi les auteurs suggèrent la création d’un Opco rassemblant les professions de santé et du médico-social, et d’un autre pour les secteurs social, de l’insertion et du sport. Les services à la personne pourraient avoir le choix. D’ores et déjà, Hugues Vidor, directeur général d’Adessadomicile, plaide pour que la branche de l'aide à domicile (BAD) soit rattachée au deuxième. Un des enjeux pour l’insertion par l’activité économique (IAE) ? « Que les liens avec d’autres Opco, en particulier ceux correspondant à leur production soient préservés », explique de son côté Christian Treyssede, délégué général du Syndicat national Synesi.

Repères

  • En 2016, les fonds conventionnels versés à Uniformation s’élevaient à 102 millions d'euros, soit 27 % de la collecte. (Source : Uniformation)
  • 500 euros : c’est le montant que chaque actif peut cumuler sur son CPF chaque année, dans la limite de 5000 euros.
  • « Les Opco financeront tous les dispositifs d'alternance (professionalisation et apprentissage), notre challenge sera de mobiliser les employeurs du secteur sur ce terrain », indique Jean-Pierre Delfino, directeur général d’Unifaf.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 168 - octobre 2018






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