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Tribune de Laurent Cocquebert
Le CPOM, un régime juridique entre ombres et lumières

31/03/2011

Contrat de confiance ou marché de dupes ? Laurent Cocquebert pointe les incertitudes planant sur le régime des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Et met en doute les vertus du dialogue de gestion tant prôné par les pouvoirs publics.

La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21 juillet 2009 a rendu les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) obligatoires pour certains établissements et services, relevant de la compétence exclusive du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) ou du représentant de l'État, dès lors que seront dépassés certains seuils économiques (qui restent à fixer). Ces dispositions préfigurent, sans nul doute, une inflexion majeure des relations entre les autorités de contrôle et les gestionnaires.

Les CPOM facultatifs ont connu un développement important, justifié par les avantages indéniables qu'ils offrent par rapport à une tarification classique : souplesse accrue, responsabilisation des opérateurs, perspectives pluriannuelles de financement de l'existant et de développement d'équipements nouveaux, etc. Dans une période de très relative abondance budgétaire, ils constituaient ainsi des outils de développement. Mais, en quelques années, le contexte budgétaire a profondément changé. Et parfois, les gestionnaires ne parviennent même plus à obtenir le respect des contrats signés. Les CPOM obligatoires sont donc attendus avec appréhension. Dans un contexte de contrainte financière sans précédent, ils ont même vocation à devenir des outils de tarification de droit commun, la tarification classique ne conservant qu'une place résiduelle (du moins s'agissant des établissements et services sous compétence de l'État ou de l'ARS).

Il est probable, par conséquent, que se cristallisera sur la négociation et sur l'exécution des CPOM l'essentiel des tensions qui jalonnaient les procédures budgétaires traditionnelles. Les cantiques entonnés jadis par certains à la gloire de ces outils semblent donc aujourd'hui assez irréels. De même, on ne peut qu'être perplexe devant l'engouement manifesté par certaines fédérations d'associations, tant le régime juridique paraît peu stabilisé et « piégeant » pour les gestionnaires. Bien des incertitudes demeurent à lever pour ceux qui chercheront à faire valoir leur droits en découvrant que le « contrat de confiance » qu'ils ont signé se révèle être un « marché de dupes ».

Le contrat, nouvelle modalité du pouvoir de tutelle

Le CPOM est-il un contrat ? Cette question n'est pas que provocatrice ! Dans un arrêt du 21 décembre 2007, le Conseil d'État (1) a estimé que l'avenant tarifaire annuel d'un CPOM signé entre une clinique privée et une agence régionale de l'hospitalisation (ARH) avait un caractère réglementaire, et non contractuel. On se gardera toutefois de transposer cette solution aux CPOM médico-sociaux : selon les dispositions du Code de la santé publique applicables à l'époque, en cas de refus de signature de l'avenant tarifaire par le gestionnaire, l'ARH pouvait pratiquer une tarification d'office. C'est très vraisemblablement le caractère contraint de cette « négociation » qui a conduit le Conseil d'État à requalifier le CPOM en acte réglementaire, par définition unilatéral. Or, aucune disposition ne permet actuellement à une autorité de tarification de pratiquer une tarification d'office en cas de refus de signature d'un CPOM médico-social.

Cette décision est révélatrice de la tendance, assez lourde dans les politiques sociales, de faire du contrat une nouvelle modalité, réputée plus douce, d'un pouvoir de tutelle. Comme l'a écrit le Conseil d'État à propos des conventions d'objectifs et de gestion (COG) conclus entre l'État et les caisses de Sécurité sociale dans le rapport qu'il a consacré en 2008 au « contrat, mode d'action publique et de production des normes » : « Les COG tendent en définitive à substituer à un rapport unilatéral de tutelle, aux conditions d'exercice aléatoires et imprévisibles pour l'entité sous tutelle, un rapport rationnel et prévisible à moyen terme. »

Une procédure contradictoire indispensable

Certaines autorités de tarification considèrent manifestement que la signature d'un contrat pluriannuel les dispense de respecter la procédure budgétaire contradictoire. Or, il résulte clairement des dispositions du Code de l'action sociale et des familles (CASF) (2) qu'une telle faculté doit être expressément prévue dans le CPOM. Dans la négative, l'administration demeure tenue de respecter la procédure budgétaire contradictoire. Et il est plus que probable qu'un arrêté de tarification qui méconnaîtrait cette exigence serait annulé pour vice de forme.

Par ailleurs, même si le CPOM dispense les parties de respecter la procédure contradictoire (3), l'administration nous paraît devoir respecter les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Ce texte lui impose, en effet, de respecter une telle procédure dès lors, notamment, qu'elle refuse une autorisation à un administré. Ce à quoi peut s'assimiler une décision tarifaire qui ne fait pas droit aux demandes du gestionnaire. Ou, en l'occurrence, qui ne respecte pas les termes du CPOM (4). Autrement dit, même si le CPOM dispense les parties de respecter la procédure contradictoire prévue très précisément par le CASF, l'administration demeure tenue de faire connaître au gestionnaire – de manière certes plus informelle – la nature de la décision qu'elle envisage de prendre et de lui permettre de faire valoir ses observations.

Chassez la procédure contradictoire, elle revient au galop. Telle pourrait être la morale de cette histoire, où le contournement de la procédure contradictoire prévue par le CASF renvoie la fixation du tarif dans le champ des dispositions de droit commun de la loi du 12 avril 2000…

La transposition des conventions tripartites

Quelle force contraignante pour les stipulations financières des CPOM ? La question est centrale. Et présente des enjeux pratiques particulièrement décisifs, même si, à ce jour, elle n'a reçu aucune réponse d'ordre jurisprudentielle. Les seuls précédents auxquels nous pouvons nous référer concernent les conventions tripartites signées entre les gestionnaires d'établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les autorités de tarification.

Le Conseil d'État, dans une décision rendue le 21 février 2000 (5), a estimé que les objectifs énoncés dans les conventions tripartites étaient dépourvus de caractère opposable. La Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) est parvenue aux mêmes conclusions dans une décision récente (6).
Cependant, ces solutions ne paraissent pas transposables aux CPOM. En effet, selon la réglementation en vigueur, lorsque ces jurisprudences ont été rendues, et sur la base de laquelle ont statué le Conseil d'État et la CNTSS, il appartenait à l'organisme gestionnaire et à l'autorité de tarification de mener une procédure budgétaire classique chaque année, nonobstant les stipulations de la convention tripartite. Si celle-ci ne dispensait pas les parties de respecter l'intégralité de la procédure budgétaire, c'était nécessairement parce qu'elle ne liait pas le tarificateur, qui conservait alors la plénitude de ses pouvoirs.

À l'inverse, il est possible pour les parties de s'exonérer du respect de la procédure contradictoire annuelle, si cela est stipulé dans le CPOM. Il n'y a alors plus d'étape intermédiaire entre le dépôt du budget prévisionnel et l'arrêté de tarification. Une telle construction, dans laquelle la négociation préalable au CPOM fait office de procédure contradictoire mise en « facteur commun » pendant toute la durée de celui-ci, n'a de sens que dans la mesure où le CPOM a force contraignante entre les parties. L'interprétation contraire, qui dispenserait l'administration de respecter les exigences de la procédure contradictoire tout en lui permettant de ne pas se conformer aux stipulations du contrat pluriannuel, reviendrait dans les faits à créer une procédure de tarification d'office, dépourvue de base juridique. Et fort éloignée du « dialogue de gestion » prônée par les pouvoirs publics dans leur novlangue technocratique…

La valeur contraignante des CPOM semble donc à géométrie variable. Soit il laisse subsister une procédure budgétaire contradictoire classique, et il n'a de valeur qu'indicative. Nous sommes alors dans une situation analogue à celle traitée par les jurisprudences du Conseil d'État et de la CNTSS précitées s'agissant des conventions tripartites. Soit le CPOM prévoit que les parties sont dispensées d'observer annuellement une procédure contradictoire, et l'administration est alors liée par les stipulations auxquelles elle a souscrite.

En généralisant ces outils, l'administration centrale entendait substituer la vertu d'un « dialogue de gestion » aux effets – supposés pervers – d'une tarification annuelle, établissement par établissement. Une procédure réputée stérile et réductrice, peut-être car trop souvent soldée par des contentieux que le tarificateur perdait fréquemment... Au vu de ces quelques éléments, il semble douteux que se réalise la simplification et l'apaisement des relations entre gestionnaires et pouvoirs publics que ces derniers appelaient de leurs vœux. Il appartiendra naturellement aux gestionnaires d'exploiter les voies de droit non négligeables dont ils disposent, même si la portée de certaines d'entre elles demeure aujourd'hui à confirmer.

Si vous souhaitez contribuer au débat, proposer une tribune ou réagir à celle-ci, n'hésitez pas et contactez la rédaction : redaction-directions@reedbusiness.fr

(1) Requête n° 299608, Clinique Saint-Roch (2) CASF, art. R314-42 (3) CASF, art. R 314-21 à R314-25 (4) CASF, art L314-7, II : « … Le montant global des dépenses autorisées des établissements et services sont fixées par l’autorité compétente en matière de tarification […] » (5) Décision du Conseil d'État du 21 février 2000 concernant la légalité du décret du 26 avril 1999 relatif aux modalités de tarification et de financement des Ehpad (6) CNTSS 15 octobre 2010, n° A 2007.017
Laurent Cocquebert

Carte d'identité

Nom. Laurent Cocquebert

Fonction. Avocat au barreau de Paris

Parcours. Ancien directeur général de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) et de l'Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt).

Contact. l.cocquebert@ebva-avocats.com

Publié dans le magazine Direction[s] N° 84 - mai 2011






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