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Serafin-PH
Le défi d'un modèle tarifaire hybride

20/11/2019

La réforme de la tarification des établissements et services pour personnes handicapées (Serafin-PH) se concrétise. Le choix d’un modèle mixte, associant un droit de tirage pour les usagers et un budget socle pour les opérateurs a été arrêté. Un scénario globalement plébiscité par le secteur, qui pointe néanmoins sa complexe mise en œuvre.

Phase 3 de l’opération Serafin-PH [1] enclenchée. Après la définition des nomenclatures de besoins et de prestations et les premières études de coûts, le long chantier de refonte du système de tarification des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour personnes handicapées entre dans le dur. La secrétaire d’État a tranché le 14 novembre : le futur modèle reposera à la fois sur un financement « socle » des opérateurs et sur un droit personnalisé à prestations pour l'usager. « Il sera hybride pour donner à chacun, en fonction de ses besoins et de ses aspirations, une réponse souple, évolutive, dans un panel de solutions diversifiées, expose Sophie Cluzel. Il doit aussi nous aider à résoudre un problème qui met à mal notre impératif de solidarité : aujourd'hui, le système de financement laisse beaucoup trop de personnes au bord du chemin. »

Un gagnant parmi trois options

Cette option d’un modèle « mixte » a la faveur des acteurs du secteur. « C’est la réforme la plus ambitieuse. Elle correspond aux évolutions sociétales, en cohérence avec la logique de diversification de l’offre. On est vraiment sur du cousu main avec une approche modulaire », juge Marie Aboussa. La directrice du pôle Gestion des organisations de la fédération d'employeurs Nexem « n’aurait pas compris » un autre choix parmi les deux autres scénarios sur la table : un financement uniquement lié à un droit de tirage individuel ou un autre, plus classique, des opérateurs en fonction des caractéristiques de l'activité.

De l’avis des fédérations, le premier comportait trop de dangers pour l’équilibre de l’offre. « On ne peut pas être en opposition sur la philosophie du droit de tirage alors que l’on réclame de donner davantage la parole aux usagers. Mais on craint une dérégulation du secteur vers une logique commerciale et avec des difficultés de repérage pour les personnes accompagnées alors que le système est aujourd’hui organisé », résume Jean-Louis Leduc, directeur général de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh). Sans compter un risque de non-recours : « On peut imaginer dans quinze ou vingt ans que ce projet devienne réalité quand la société sera en accessibilité complète, universelle. Mais aujourd'hui, ce n'est pas le cas », argumente Sophie Cluzel.

Le dernier scénario ne remportait pas non plus les suffrages. « Certes, il garantit la gestion financière des organismes, mais ce n’était pas le plus dynamique en matière de transition inclusive… », relève Prosper Teboul, directeur général d'APF France Handicap.

Réformer sans déstabiliser

Le premier volet du modèle hybride, dit « socle », présenterait ainsi l’avantage de réorganiser l’offre sur les territoires sans déstabiliser pour autant les opérateurs. Il comprendrait deux parts distinctes. La première serait fixe, allouée sur la durée du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), et déterminée pour chaque ESMS selon ses propres caractéristiques (plateau technique spécialisé, prestations d’hébergement, fourniture de repas…). La seconde, variable, serait calculée à partir de référentiels tarifaires réglementés fondés sur les caractéristiques et besoins des usagers. Elle pourrait intervenir à un rythme plus rapide que la durée du CPOM et serait attribuée de façon automatique par les financeurs.

Pour 2020, l'objectif du comité stratégique Serafin-PH sera donc de définir les prestations incluses dans ce socle et de traduire ces éléments dans des grilles tarifaires types. « Il faut qu'elles intègrent une reconnaissance de l’expertise métier, de la qualité et que l’on distingue bien ce qui relève des dépenses d’investissement et d’exploitation. Il faut prendre en compte tout ce qui relève de la prévention ou encore de l’éducation à la santé qui ne sont pas aujourd’hui valorisées », énumère Marie Aboussa. Pour la secrétaire d'État, ce socle permettra de réallouer les financements en fonction de missions prioritaires : « Dans les grilles tarifaires, il y aura des effets leviers sur la valorisation de l'engagement dans des plateformes territoriales pour assurer la complémentarité de l'offre », détaille-t-elle.

Quel périmètre pour le droit de tirage ?

Autre chantier, et pas des moindres : définir le périmètre du droit de tirage qui doit permettre de faciliter le recours aux plateaux techniques et à l’expertise médico-sociale pour les personnes ayant fait le choix d’une vie en milieu ordinaire. Si une étude d’opportunité doit être lancée pour évaluer son fonctionnement, le comité stratégique liste déjà certaines pistes comme les prestations favorisant l’autodétermination des personnes et les actes hors nomenclature de l’Assurance maladie.

La création du droit de tirage impliquera aussi de travailler avec les départements sur l'articulation entre les systèmes de financement, mais surtout d'interroger la compatibilité du scénario avec la prestation de compensation du handicap (PCH). « Nous sommes très réservés quant à une fusion de celle-ci avec l’objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Il ne faut pas déstabiliser le droit à compensation de 2005, pointe Prosper Teboul. Il y a risque de pression financière pour les départements qui pourrait se traduire par une restriction des droits. Est-ce que l’on irait jusqu’à faire évoluer la PCH en établissement ? »

Une mise en œuvre intense

La tâche promet d'être ardue. « Ce modèle cumule les avantages, mais aussi les difficultés des deux premiers scénarios. Les travaux de mise en œuvre vont être intenses », concède Brigitte Bernex, directrice du projet à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Surtout que « tout sera dans la nuance et le diable se cache dans les détails », prévient Prosper Teboul : « L’importance du sujet va bien au-delà du choix d’un modèle. Il faut encore lever énormément d’incertitudes, embarquer 30 000 structures et des milliers d’usagers. »

Sur les aspects techniques, il faudra déployer un système d’information permettant l’allocation de ressources automatique aux opérateurs délivrant ces prestations ainsi que la transmission et le partage de données utilisées à des fins tarifaires. « Une très bonne évaluation des besoins sera nécessaire de façon à ce que les prestations correspondent à celles dont les personnes ont besoin et qu'elle soit évolutive, pas figée à un instant T », recommande Emmanuel Denis, administrateur du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso). Pour les organisations du secteur, il faudra donc adapter les missions et les moyens des MDPH, jugées insuffisamment armées pour la tâche. Quand Sophie Cluzel souligne la nécessité de « travailler à des conventionnements et améliorer l'interaction entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les équipes médico-sociales autour de l'analyse des besoins qui a été conduite par le projet Serafin ».

Et qui dit droit de tirage, dit aussi arrivée potentielle de nouveaux acteurs sur le marché. « Des salariés, comme des éducateurs, vont souhaiter s’établir en libéral. Il faut l’avoir à l’esprit ! », note Christian Sovrano, directeur Autonomie et Parcours de vie à la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap). D'où l'importance d'un contrôle ou d'une labéllisation des prestataires, alertent les fédérations. Deux options sont possibles pour le comité : un visa et un contrôle des autorités ou un conventionnement et un contrôle des établissements. Dans ce dernier cas, le droit de tirage pourrait être alloué à l’ESMS accompagnant à titre principal la personne, qui le reverserait ensuite aux opérateurs vers lesquels se serait tourné l'usager.

Horizon : le PLFSS pour 2021 

Autre point de vigilance des acteurs ? La prise en compte des spécificités des établissements et services d’aide par le travail (Esat) ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Mais aussi l'enveloppe budgétaire qui accompagnera la réforme. « La qualité a un coût. Si on commence à parler de réponses aux besoins réels, il faudra forcément augmenter le budget », souligne Emmanuel Denis. Le comité stratégique a déjà listé les surcoût potentiels : ceux liés au nouveau processus d’évaluation nécessaire à la tarification, aux usagers actuellement sur liste d’attente qui bénéficieront de l’ouverture d’un droit de tirage ou encore ceux administratifs et de gestion pour les financeurs afin d’assurer le suivi de l’allocation de ressources, induits par l’activation des droits de tirage.

C'est le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 qui amènera les premiers arbitrages budgétaires, assure Sophie Cluzel : « L'idée est d'être incitatif pour ceux qui sont engagés dans cette dynamique de plateforme et de réponses aux situations complexes. Le travail sur l'attractivité des métiers sera également un enjeu important et indispensable ! » D'ici là, la secrétaire d'État invite chaque organisation gestionnaire à projeter dans les CPOM un travail sur la base des nomenclatures, et à voir sur son territoire comment amplifier l’enrichissement de l’offre médico-sociale.

[1] Serafin PH signifie "services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées".

Laura Taillandier - Photos : Baptiste Lignel

« À l'échelle des établissements, le projet reste assez flou »

Jean-Yves Quillien, directeur de l'établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) du pôle Clairefontaine de la Croix-Rouge

« Pour le champ du polyhandicap, l’intérêt du projet est de permettre une meilleure adéquation entre les besoins réels des personnes accueillies et les moyens alloués. D’autant plus que les premières études de coûts, auxquelles j’ai participé, montraient un besoin massif sur l’accompagnement médical et celui dans la vie de tous les jours. Mais c’est là où le bât blesse : la capacité de la nomenclature à identifier ce qu'est un besoin complexe. Pour l’instant, les établissements s’emparent d’ailleurs de ces nomenclatures de manière assez partielle. Nous sommes en train d’écrire le projet de notre plateforme de services et c’est incontournable de l’avoir pour trame. En revanche, ce n’est pas suffisant pour le projet personnalisé dans le champ sensoriel par exemple. À l'échelle des établissements, le projet reste assez flou sur la question du financement. J'espère qu’il apportera une vraie plus-value sur le calibrage de la dotation vers les personnes qui en ont le plus besoin (maintien d’un plateau technique adapté, de places d’hébergement…). »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 181 - décembre 2019






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