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Tribune de Christophe Itier
« Réinventons le modèle social post État-providence ! »

04/05/2016

Pour le directeur général de la Sauvegarde du Nord, Christophe Itier, le secteur reste victime de son atomisation et de ses relations ambiguës avec les financeurs. Pour sortir de l’ornière ? Assumer le rôle d’opérateur de la commande publique en sécurisant le cadre contractuel et relever le défi de la mesure de l’impact social.

L’expression est souvent galvaudée, mais c’est bien à un changement de paradigme qu’est aujourd’hui confronté le secteur social et médico-social de notre pays. C’est d’abord l’instauration des lois portant réforme du champ qui substituent au processus historique « bottom up » fondé sur les initiatives de la société civile, un processus « top down » consacrant à la fois une reprise en main des pouvoirs publics, une planification de l’offre et une mise en concurrence des acteurs.

C’est ensuite l’érosion de l’État-providence tel qu’hérité de l’après-guerre, aujourd’hui mis en difficulté par l’ampleur et la nature des enjeux sociétaux, affaibli dans son modèle économique et interrogé sur son efficience. Bras armé ou palliatif à la puissance publique, mais dans tous les cas perfusé de financements publics, le secteur social et médico-social est en conséquence en proie à un double délitement : non seulement celui de son modèle économique qui subit déjà, et subira davantage encore dans les prochaines années, les économies programmées par l’État et les collectivités territoriales. Mais aussi celui des valeurs du modèle social français, où les principes de solidarité, d’égalité et de redistribution sont de moins en moins portés par nos concitoyens comme le démontre cruellement une étude du Crédoc [1]. Quand ils ne sont violemment contestés par certains dans le débat public.

Small is not beautiful

Ces changements multiples et profonds ne sont ni nouveaux, ni fulgurants. Ils s’inscrivent dans un mouvement de fond, enclenché depuis plus d’une décennie, mais que nous avons collectivement minoré, voire ignoré, préférant nous maintenir dans le confort de nos ambiguïtés et de notre secteur jusqu’à présent protégé. Ainsi, à force de continuer de croire au « small is beautiful », de surjouer les vertus de « l’identité et de la biodiversité associative » et des prétendues spécificités des interventions de chacun pour résister passivement à l’indispensable concentration de notre secteur, ce dernier est demeuré atomisé, incapable d’être au rendez-vous des mutations, de la mutualisation et du changement d’échelle indispensables pour faire face aujourd’hui en temps de crise, à l’injonction paradoxale de faire plus et mieux avec moins.

Cette atomisation des acteurs se retrouve en miroir dans une représentation collective et politique du champ, elle aussi dispersée nous empêchant de peser réellement sur des choix stratégiques ou d’influer efficacement sur l’élaboration des textes législatifs dans un secteur pourtant très réglementé. Il ne faut donc pas, hélas, s’étonner de voir aujourd’hui s’accélérer les dépôts de bilan, les liquidations d’associations et les suppressions d’emplois induites, tant certaines structures sont sous-dimensionnées ou insuffisamment outillées pour face aux exigences de cette nouvelle donne.

Il ne faut pas plus s’étonner que lorsque le législateur décide de la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), de la réforme de l’exonération de la taxe transport, du renforcement des droits des stagiaires, de l’instauration de la complémentaire santé, pour ne citer que les mesures les plus récentes… les impacts économiques et sociaux sur notre secteur ne soient pas anticipés par les pouvoirs publics. Pour prendre pour exemple la complémentaire santé obligatoire au 1er janvier 2016, a-t-on estimé à un niveau macroéconomique son impact sur nos associations et donc sur les finances de l’État et des collectivités dont relèvent nos budgets ? Pour l’association que je dirige, c’est plus de 300 000 euros de charges supplémentaires qui vont se retrouver chaque année, dans les budgets des établissements que financent l’agence régionale de santé (ARS), la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), les départements… à l’heure même où ces derniers nous demandent de réaliser des économies. Ce constat est d’autant plus paradoxal que nous représentons pourtant 10 % du salariat privé.

À la fois, entreprises à part entière et…

Employeurs et salariés, associations et  fédérations, partenaires sociaux, nous portons une responsabilité collective de cette atomisation et du manque de lisibilité qui plongent les entreprises que nous sommes dans un environnement instable et incertain, d’autant plus néfaste que nous devons piloter aujourd’hui au plus près. Sortir de cette situation est ardu car il impose que nous fassions bouger des lignes profondément ancrées dans l’ADN de notre secteur, plus ardu encore qu’il y a urgence.

C’est d’abord assumer que les associations que nous sommes sont des entreprises, certes sociales, certes non lucratives, mais des entreprises à part entière, obéissant à la plupart des mêmes contraintes et obligations. C’est vrai des délais de règlement de nos financements qui mettent à genoux nos trésoreries. C’est vrai des décisions de réduction de fonds qui s’imposent à nous, souvent en cours, pour ne pas dire en fin, d’exercice, sans tenir compte de nos impératifs économiques et sociaux. C’est vrai aussi de la non-opposabilité des coûts induits par les évolutions conventionnelles (glissement vieillissement technicité – GVT, revalorisation, etc.) et par le droit du travail (indemnités de licenciement, de départ en retraite…).

Cette non-reconnaissance des entreprises que nous sommes est d’ailleurs à ce point ancrée dans les esprits du champ associatif comme dans celui des pouvoirs publics que les uns et les autres ont pu signer et promouvoir une Charte des engagements réciproques entre l’État, le Mouvement associatif et les collectivités territoriales qui énonce l’engagement des associations au respect du droit social. Symptomatique. Comme si nous étions exemptés de respecter la loi ! Imaginons un instant que ce soit le Medef qui ait signé une telle charte, que n’aurions-nous entendu crier au scandale !

… opérateurs de la commande publique

C’est ensuite sortir de l’ambiguïté de notre relation avec les financeurs. Qu’il s’agisse de la contractualisation (CPOM), de la facturation d’activités ou de la subvention choisies comme support de nos financements, toutes nous placent aujourd’hui dans une relation d’opérateurs de la commande publique. Là encore, assumons-le et tirons-en toutes les conséquences plutôt que demeurer dans cet entre-deux actuel (« acteurs », « partenaires »…) qui rend notre modèle si incertain et fragile. Car il faut bien dire que nous sommes sans doute les seules entreprises dont les commanditaires peuvent changer en cours d’exécution la nature, le périmètre voire le coût de la commande. Sans parler de l’absence de visibilité sur la continuité des financements. Aussi, n’est-il pas temps de clarifier et de sécuriser notre relation contractuelle avec nos financeurs ? Ne serait-il pas préférable que nos prestations puissent jouir d’un cadre juridique et financier stable, tels que peut le proposer une délégation de service public (DSP) par exemple qui engage précisément et très formellement les deux parties ? De même, pourquoi parler encore d’appels à projets plutôt que d’appels d’offres, la mise en concurrence n’y gagnerait-elle pas en transparence ?

Au-delà de la sécurisation financière et juridique de nos activités, cette position assumée de prestataires de la commande publique impose un autre changement de culture, cette fois du côté de nos financeurs : contractualiser sur la seule base d’un prix pour un service rendu, et abandonner le contrôle des moyens mobilisés. Qu’en tant que gestionnaires d’argent publique, nous soyons soumis à la transparence la plus totale via notamment la certification et la publication de nos comptes est un impératif. En revanche, que nous soyons assujetti à un examen systématique des moyens mobilisés pour accomplir nos missions est incongru. Lorsque l'on a recours à une entreprise pour réaliser des travaux à son domicile, une fois le prix et la nature de la prestation établis, contrôle-t-on comment fonctionne l’entreprise, combien sont payés les ouvriers, si leur matériel a été renouvelé récemment, pourquoi il y a deux plutôt qu’un contremaître ? Au-delà du respect de la loi et de la règlementation, seuls comptent le prix et la qualité du service dans une relation client/prestataire assumée.

À l’heure des fortes contraintes sur la dépense publique, il est plus que jamais nécessaire de clarifier en ce sens la relation qui nous lie aux financeurs publics afin, côté associations, de sécuriser notre modèle économique et, côté administrations, de concentrer les ressources sur l’évaluation de l’impact et la prospective plutôt que sur le contrôle. N’est-ce pas là d’ailleurs l’objet premier de toute politique publique que de penser le macro et le temps long ?

Plus globalement, il conviendrait de donner aux opérateurs que nous sommes une plus grande autonomie de gestion, dont le pendant en serait une responsabilisation accrue : que les bons gestionnaires puissent bénéficier librement de l’usage des excédents d’exploitation réalisés, tandis que les moins bons assument leurs déficits, paraît à tout le moins plus vertueux que le système actuel où les bons ont la sensation de « payer » pour les mauvais élèves.

Répondre aux enjeux stratégiques

Autre enjeu majeur de ce changement de paradigme : la mesure de la performance, de l’impact de nos actions. Là encore, nous avons besoin de dépasser la posture qui voudrait que cette mesure est impossible au regard de la complexité de la question sociale. Ce n’est pas parce que c’est compliqué qu’il faut y renoncer. Et la question n’est pas – comme il est dit et écrit souvent – de sacrifier le social à la dictature du chiffre comme alpha et oméga de la culture managériale, mais de répondre à un enjeu stratégique et politique. En effet, si nous voulons combattre l’effritement des valeurs cardinales de notre modèle de société, il ne suffira pas de rappeler leur caractère essentiel, fut-ce avec talent et énergie. Il faut les objectiver, les rendre tangibles pour nos concitoyens. La mesure de la performance de l’impact social n’est pas qu’un levier d’amélioration continue de nos actions, c’est avant tout un argument puissant pour contrecarrer les discours ambiants sur la remise en cause, parfois violente, de l’utilité des politiques sociales et de solidarité, ou la stigmatisation nauséabonde des personnes les plus fragiles.

Les contrats à impact social, nouveau levier d'innovation

Enfin, ce changement de paradigme nous invite aussi à revisiter notre modèle économique en hybridant davantage nos financements : c’est bien sûr le recours au mécénat qui a permis à l’association que je dirige de mobiliser en deux ans plus de 600 000 euros pour des projets qui n’auraient jamais vu le jour par le recours aux financements publics. C’est aussi la négociation de clauses de performance sociale avec nos fournisseurs partant du principe que toute entreprise en relation commerciale avec la Sauvegarde du Nord doit contribuer à la réalisation de son objet social : contrats de professionnalisation, stages d’immersion, formations… pour les jeunes et les adultes accompagnés. C’est encore collaborer à la convergence de nos actions avec des stratégies industrielles ou commerciales. C’est enfin récemment expérimenter les contrats à impact social [2] ou comment intéresser des investisseurs privés au financement de nos activités et les rémunérer en fonction des résultats obtenus (toujours cette mesure de l’impact !). Il s’agit là d’un nouveau levier pour innover ou accélérer la transformation des politiques sociales. Bien loin de « financiariser le social » comme le répètent leurs détracteurs, ces contrats constituent un moyen de réarrimer la finance au réel.

Dans cette révolution copernicienne que doit conduire notre secteur s’il ne veut pas la subir plus durement encore dans les années à venir, il y a aussi la réflexion à mener sur le statut des associations : la loi 1901 a-t-elle été conçue pour porter des structures de plusieurs milliers de salariés, de plusieurs dizaines de millions d’euros, qui plus est dans le contexte et les évolutions actuels ? Autre chantier qu’il conviendrait d’ouvrir avec lucidité et pragmatisme mais, qui là encore, vient heurter des symboles fortement ancrés. Il est d’autant plus urgent que commence à se structurer l’économie sociale et solidaire, et que se développent coopératives, SAS… porteuses de nouveaux modèles économiques au service de l’intérêt général.

Au final, c’est bien à la réinvention d’un modèle social post État-providence que nous invite ce changement de paradigme du secteur social et médico-social. Et puisque notre région Nord-Pas de Calais fut pionnière au siècle dernier du modèle social, relevons collectivement le défi que les Hauts-de-France soient aujourd’hui le laboratoire du modèle social du XXIe siècle. 

 

[1] « En 2014, le soutien à l’État-providence vacille », note de synthèse n° 1, Crédoc, septembre 2014, à consulter sur www.credoc.fr

[2] Lire Direction[s] n° 141, p. 18

Christophe Itier, directeur général de La Sauvegarde du Nord

Carte d'identité

Nom. Christophe Itier

Fonction. Directeur général de La Sauvegarde du Nord, président fondateur du club régional de dirigeants du travail social Sowo, administrateur du Mouves

Publié dans le magazine Direction[s] N° 142 - mai 2016






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