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CHRS
Un modèle fragilisé ?

21/02/2018

La transformation de l’offre d’hébergement passera notamment par la mise en place dès cette année de tarifs plafonds pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Attelés à leur construction dans un calendrier serré, les pouvoirs publics doivent faire face à l’opposition des gestionnaires, inquiets pour l’avenir des structures et des personnes accompagnées.

La réforme structurelle de la politique d’hébergement et d’accès au logement se fera-t-elle au détriment des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ? C’est ce que semble suggérer l’annonce faite aux représentants du secteur « accueil, hébergement et insertion » (AHI) en novembre dernier par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Soit l’instauration, dès la campagne budgétaire 2018, d’une tarification plafond imaginée dans le cadre de la modernisation des outils de pilotage du champ. La mesure sera le principal levier pour économiser, par le jeu de la convergence tarifaire, 20 millions d’euros annuels, au moins en 2018. Contestant cette décision jugée contraire aux engagements ministériels antérieurs, les professionnels s’inquiètent déjà d'une déstabilisation des CHRS et d'une baisse de la qualité de l’accompagnement. Mi-février, la bataille s’annonçait difficile. Et le jeu, peu ouvert.

Détournement de l'exercice ? 

Depuis 2010, tout est prêt dans le Code de l'action sociale et des familles (CASF) pour que les CHRS rejoignent les établissements et services d'aide par le travail (Esat) et ceux d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sur la liste des structures frappées par ces accélérateurs de convergence. Tout, sauf l’arrêté en fixant les montants, au-delà desquels l’écrêtement des dotations des structures jugées surdotées sera automatique. Pour déterminer les 12 futurs plafonds (soit un par groupe homogène d'activités et de missions – GHAM), c’est l’enquête nationale des coûts (ENC) qui servira de boussole, a tranché l’État. Qui, pour s’assurer une remontée maximale d’informations, a entériné le principe de son opposabilité dans la dernière loi de finances [1].

Pourtant, l’outil (en chantier depuis 2011 sur le seul volet « hébergement ») est loin d’être finalisé, rappelle Victor d’Autume, chargé de mission Hébergement à la Fédération des acteurs de la solidarité : « Son remplissage s’avère très hétérogène sur les territoires car les services déconcentrés ont donné des consignes différentes. Certains ont exigé, par exemple, que les données renseignées soient identiques à celles des comptes administratifs, alors que le but est d’aboutir à une vision exhaustive des organisations et des coûts réels. » Pire : craignant la manière dont l’ENC pourrait être utilisée, des gestionnaires l’ont complétée avec réticence, voire de manière approximative. Une appréhension parfois justifiée, reconnaît Laurent Perazzo, directeur adjoint de l’autonomie à la fédération d'employeurs Fehap : « Il y a eu des dérives. L'ENC a parfois été utilisée pour opposer aux CHRS des fourchettes de coûts locales, ce malgré la clause prudentielle inscrite dans la circulaire annuelle stipulant qu'elle ne servira pas à une tarification automatique. » De quoi présager de ce qui reste vécu aujourd’hui comme « un détournement de l’exercice » ? « La perspective de voir publiés des indicateurs nationaux suscitant toujours des appréhensions, nous avions balisé le terrain, reprend Laurent Perazzo. Les plafonds ne pouvaient voir le jour avant la fin des travaux engagés pour fiabiliser les données et objectiver les charges pour chaque prestation. Même si nous restons favorables au principe, utiliser l’ENC comme base incontestée est prématuré. D’autant que la notion de qualité n’est toujours pas prise en compte, les réflexions étant au point mort depuis 2017. » « Nous avons trop tourné autour du pot toutes ces années, tranche le directeur général de l’association Aurore, Éric Pliez. Nous aurions dû être davantage force de propositions. » 

Nivellement par le bas

En attendant, la méthode passe mal. « Une fois encore, cette décision est prise sans concertation, s’agace le directeur général d’Emmaüs Solidarité, Bruno Morel. Elle revient à changer les règles en cours de partie : ceux qui ont transmis leur budget en octobre dernier devront attendre cet été pour savoir s’ils n’ont pas mis en œuvre des moyens démesurés au regard des dotations allouées ! » Tous ceux lancés notamment dans de lourdes opérations d’humanisation du bâti apprécieront [2]…

Car la facture s’annonce salée : jusqu’à – 7 % sur les dotations des « plus riches », évaluait fin 2017 la DGCS. L’équivalent de 400 emplois, chiffrent les réseaux qui craignent la fermeture de petites structures et des plans sociaux pour les autres. Les gestionnaires devront donc faire des choix. Au détriment de leur capacité d’innovation ? Voire de l’accueil inconditionnel ? « Ils pourraient être contraints de miser sur le diffus par exemple, moins coûteux que l’hébergement collectif, ou de supprimer des postes de veilleurs de nuit pour ne plus assurer une présence 24 heures sur 24, déplore Victor d’Autume. Ils devraient alors privilégier les publics les plus solvables ou les plus proches de l’autonomie, au détriment de ceux nécessitant un accompagnement plus resserré, comme les femmes victimes de violences ou les personnes placées sous main de justice. »

Au-delà, ce couperet mécanique pourrait également détériorer les relations locales, prédit Jeanne Dietrich, conseillère technique à l'union d'associations Uniopss : « Celles-ci se nourrissaient du dialogue de gestion qui, outre la décision financière, est l’occasion pour les structures de mettre en avant leur projet, et pour les administrations d’améliorer leur connaissance de l’activité. Cela permettait in fine aux acteurs de mieux appréhender leurs contraintes respectives. » Le salut pourrait-il venir de la création, par symétrie, de tarifs planchers pour amortir le choc [3] ? « Les CHRS très sous-dotés pourraient voir leurs moyens augmenter dans une logique de convergence positive, analyse Bruno Morel. Et envisager ensuite une mutualisation. Mais cette option ne semble pas d’actualité… »

Vers des CPOM obligatoires

Outre le gain immédiat, le dessein de l’État ne s’inscrirait-il pas aussi sur le long terme dans la perspective de la contractualisation obligatoire, dans un secteur qui en 2016 ne comptait que 12 % de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) [4] ? « C’est un système en entonnoir, acquiesce l’avocate Cécile Janura. Après avoir fait converger progressivement tous les tarifs, les pouvoirs publics seront alors en capacité en 2023 de signer des CPOM avec des engagements financiers revus à la baisse. Le secteur doit peser dès aujourd’hui. Une fois les plafonds publiés, il n'y aura plus de discussion possible, surtout dans le cadre de la mise en place des CPOM à venir. Le seul recours sera alors, comme l’ont fait les Esat, de se tourner vers le Conseil d’État en arguant de l’erreur manifeste dans la détermination des plafonds ». Et de brandir la menace d’une multiplication des contentieux, en cas d’annulation du texte ?

Après le refus d’un moratoire essuyé par les fédérations, la priorité semble donc de défendre leurs positions. Éventuellement en insistant sur l’incohérence des choix gouvernementaux au regard des objectifs de la politique du Logement d’abord ? « Cette stratégie prévoit aussi un passage par la case hébergement pour ceux qui ne peuvent accéder directement au logement, rappelle Jeanne Dietrich. Or, pour qu’ils y restent le moins longtemps possible, un accompagnement de qualité est nécessaire pour lever les freins. » « Les CHRS constituent une base arrière à partir de laquelle des actions innovantes peuvent se développer, résume Éric Pliez. La fragiliser ne pourra que nuire à la construction de toute stratégie d’accès au logement. »

 

[1] La période de remplissage a aussi été prolongée jusqu’à fin mars.

[2] Lire Direction[s] n° 132, p. 4

[3] En particulier en vue du statut unique dans l’hébergement.

[4] Bleu budgétaire du projet de loi de finances (PLF) pour 2018

Gladys Lepasteur

« Rien ne sera possible si les dispositifs intermédiaires sont réduits »

Jean-Marie Morisset, sénateur LR, membre de la commission des Affaires sociales

« Le secteur de l’hébergement fait l’objet d’une sous-budgétisation chronique, d’autant plus préoccupante que la DGCS a déjà fait savoir qu’en 2018 qu’il n’y aurait pas de décret d’avance en cours d’année pour faire face aux besoins croissants. Dans ces conditions, instaurer une convergence tarifaire pour les CHRS pose question, au moment où l’État entend déployer son plan Logement d’abord et résoudre le problème du sans-abrisme. Cette ambition politique, qui requiert du temps et de l’investissement, est incompatible avec une approche strictement budgétaire. Rien ne sera possible si cela aboutit à amoindrir les dispositifs intermédiaires, et en particulier l’accompagnement social qu’ils effectuent, pourtant indispensable pour parvenir à l’objectif recherché. »

 

Repères

  • 20 millions d’euros d’économies attendus, au moins en 2018.
  • Les autres mesures de modernisation envisagées ? Possibilité de services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) interdépartementaux, opposabilité du plan départemental PDALHPD, statut unique des structures d’hébergement…
  • « L’administration ne pouvant tenir ses engagements financiers, l’avenir du contentieux tarifaire portera probablement sur l’exécution des CPOM, qui n’ont de "contrat" que le nom » (Cécile Janura, avocate).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 162 - mars 2018






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