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Placement éducatif à domicile
Une mue forcée

18/06/2025

Après la remise en cause par la Cour de cassation du fondement juridique du placement éducatif à domicile, les acteurs de la protection de l’enfance tentent de sortir de l’ornière. L’enjeu ? Se conformer au nouveau cadre, sans faire table rase d’une pratique qui semble avoir fait ses preuves.

Les services de PEAD sont tenus d’évoluer en AEMO-R et doivent donc obtenir une habilitation conjointe.

Le couperet juridique est tombé au pire moment pour le secteur de la protection de l’enfance, déjà dans le rouge. Confirmant un précédent avis, la Cour de cassation a établi en octobre 2024 qu’un droit d’hébergement à temps complet ne peut être accordé cumulativement à l’un ou aux deux parents d’un mineur confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) [1]. En fondant notamment sa décision sur l’article 375-2 du Code civil, la haute juridiction considère que les principes d’intervention du placement éducatif à domicile (PEAD) sont ceux d’ores et déjà applicables à l’assistance éducative en milieu ouvert renforcée (AEMO-R), avec possibilité d’hébergement exceptionnel ou périodique. « Introduite par la loi du 7 février 2022, cette mesure repose en effet sur les mêmes principes, justifie la Chancellerie. Un maintien de l’enfant à son domicile, une mise à l’abri possible à tout moment en cas de risque et une intervention intensive à domicile, adaptée et multiforme des professionnels. » Conséquence, rappelle encore le ministère de la Justice ? Les juges des enfants ne peuvent plus ordonner de PEAD sans risquer de voir leur décision invalidée en cas de recours.

Une histoire et des spécificités

Nombre d’acteurs associatifs vantent pourtant les spécificités du PEAD, pratique prétorienne née il y a plusieurs décennies dans le Gard pour accompagner le retour à domicile après un placement. « Depuis trente ans, la France a pu développer un espace intermédiaire entre le milieu ouvert et les dispositifs d’hébergement, et a déployé une stratégie d’articulation entre prévention et protection que beaucoup de pays européens nous envient aujourd’hui », plaide l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (Mecs). « Le PEAD est certes une aberration réglementaire, mais cette intervention a montré son efficacité sur le terrain à court terme », assure Marie-Pierre Auger, conseillère technique de la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (Cnape). Une efficacité qui n’est néanmoins pas validée scientifiquement, argue Michèle Créoff, vice-présidente de l’Union pour l’enfance (lire ci-dessous).

Reste que la pratique a beaucoup prospéré, d’autant que la loi de 2007 a prôné la diversification des modes d’intervention auprès des familles afin d’éviter l’institutionnalisation. Et toutes les parties y ont trouvé un intérêt, à commencer par les associations habilitées souhaitant réaliser un travail de qualité. « Un éducateur spécialisé en service d’accompagnement personnalisé (SAP) – nom donné au PEAD dans l’Hérault – accompagne 7 situations et non 15 comme en AEMO-R. En outre, pour les 34 mesures que nous exerçons, nous disposons de 10 lits pour les replis d’urgence », explique Nadine Greffeuille, directrice de Mecs à l’association Jean-Gailhac à Béziers (34). Les prix de journée y sont d’ailleurs supérieurs : 70 à 80 euros, contre 25 euros pour l’AEMO-R et 50 euros pour l’AEMO-R avec hébergement.

Il n’empêche, les conseils départementaux (CD), seuls maîtres de l’habilitation des opérateurs de PEAD, ont pu l’utiliser « soit comme alternative dans les territoires où il n’existe pas d’AEMO-R, soit comme pis-aller faute de moyens pour placer les enfants à l’extérieur » [une place en institution restant trois fois plus chère, NDLR], a assené la députée PS Isabelle Santiago dans son rapport publié en avril [2]. « Quant aux magistrats, le PEAD a pu les aider à faire face au dilemme que constitue le placement séparant les familles », estime Michèle Créoff.

Nouvelle ère

Pas question, pour l’heure, d’une évolution des textes pour créer une troisième voie, entre milieu ouvert et placement, défendue par la Cnape. La décision de la Cour de Cassation ouvre donc une nouvelle ère auquel le monde de la protection de l’enfance doit s’adapter, guidé par une récente note de la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) [3]. « Il faut que tous les acteurs (départements, magistrats, associations, PJJ) se mettent autour de la table sur les territoires pour continuer à répondre aux besoins en mettant les dispositifs dans les bonnes cases », préconise Laurent Gebler, secrétaire général de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. « Les remontées de terrain dont nous disposons font état d’importantes inégalités de traitement dans l’évolution du PEAD entre les départements », nous a indiqué par mail la DPJJ.

Certains n’ont ainsi pas attendu pour ouvrir un espace local de discussion visant à faire évoluer le cadre – avec, parfois même, la promesse d’un maintien à terme du prix de journée. Notamment dans le Maine-et-Loire qui comptabilise 298 mesures de PEAD pour 5 700 enfants suivis, où la présidente a réuni ses partenaires pour gérer la transition en douceur. « Certains magistrats continuent à ordonner des PEAD. D’autres préfèrent les AEMO-R ou AEMO intensif avec hébergement qui figurent dans la loi », relate Jihane Tokhsane, sa directrice Solidarités. Le CD va publier un appel à projets afin de remettre à plat les mesures en milieu ouvert d’ici l’automne mais sans revoir son enveloppe budgétaire à la baisse, assure-t-elle.

Ailleurs, rapportent encore des acteurs, des départements procéderaient à des ajustements plus brusques, en demandant aux magistrats de transformer leurs ordonnances de PEAD déjà prononcées, en sabrant au passage les prix de journée... Dans l’Hérault, les associations, fédérées au sein de Synergie Enfance 34, ont compris que le CD allait faire table rase du SAP avant la fin 2025 via un appel à projets ne permettant plus que de l’AEMO-R (avec ou sans hébergement) et du placement séquentiel. Dans l’intervalle, les dix gestionnaires concernés n’ont pas eu le temps de se retourner : l’association Jean-Gailhac a ainsi vu les mesures en cours « réétiquetées » en accueil séquentiel, et ce pour « un nombre de nuitées à la discrétion du département », regrette Nadine Greffeuille. Enfin, d’autres exécutifs locaux favorables au PEAD campent sur leurs positions, comme en Alsace. « Nous revendiquons une culture des compétences parentales que nous soutenons en proximité et quasi-24 heures sur 24. Nous sommes suivis par le président de la Collectivité européenne qui remplace les décisions judiciaires par des mesures administratives », témoigne Sébastien Decoster, directeur de l’association Le Bercail gérant 56 places de Mecs et 24 mesures de service éducatif d’accompagnement à domicile renforcé.

Une double habilitation 

Une chose est sûre : les services de PEAD, autorisés uniquement par le président du CD au titre de l’ASE, vont devoir évoluer en SAEMO-R, après obtention d’une nouvelle autorisation délivrée conjointement par le préfet et le département, a confirmé la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) dans sa note d’information du 7 mai [4]. En revanche, pour ceux déjà détenteurs de ce double sésame, c’est plus simple : ils peuvent continuer à exercer ces mesures, considérées de fait comme des AEMO-R. Si toutefois, en raison des réorganisations intervenues, leurs gestionnaires étaient amenés à augmenter leur activité, ils devront faire une demande d’extension qui, au-delà de 30 %, devra passer par la procédure d’appel à projet – sauf dérogation des deux tutelles pour un motif d’intérêt général ou de circonstances locales [5].

Tout cela prendra du temps. « Dans l’attente du déroulement de ces procédures, les autorités compétentes peuvent permettre aux services de poursuivre leur activité, de façon temporaire, dès lors que des garanties de qualité de prise en charge sont apportées par le service », indique la DGCS.

[1] Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 21-25.974, confirmée par Civ. 1re, 12 juin 2025, n° 24-18.562

[2] Les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, Commission d’enquête parlementaire, rapport , avr. 2025

[3] Note de la DPJJ du 8 janv. 2025

[4] Note n° DGCS/SD2B/2025/62 du 7 mai 2025

[5] Décret n° 2025-264 du 21 mars 2025

Marie Duribreux

Repères

Il y a 30 ans, le service d’adaptation progressive en milieu naturel est né dans le Gard.

7 % du total des mesures d’accueil sont des PEAD (Drees).

+ 46 % de mesures entre 2019 et 2022 constatés, sur un échantillon de 73 départements (Drees).

« Remplacer le ressenti par la science »

Michèle Créoff, vice-présidente de l’Union pour l’enfance

« Je ne suis pas étonnée par l’arrêt de la Cour de cassation. J’étais vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance quand il a remis un avis (n° 2019-8) sur le sujet. Nous avions dit, à l’époque, que le PEAD était une pratique illégale – ne figurant pas dans les textes – et incohérente – car s’il y a danger pour l’enfant, le placement ne peut se faire au domicile. La démarche de consensus sur les interventions à domicile, lancée par le Gouvernement en 2019, a aussi révélé les faiblesses du dispositif : les chercheurs ont été incapables de se prononcer sur les motifs des mesures ou même les objectifs de travail les soutenant. Impossible dès lors de produire des connaissances scientifiques sur le PEAD, dont on ne peut assurer qu’il ne représente pas un danger pour les enfants, notamment ceux en dessous de six ans dans l’incapacité d’appeler au secours.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 243 - juillet 2025






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