
Spina’Liens est un espace de vie partagé pour personnes âgées, implanté sur le territoire des Vosges par l’ADMR.
« C’est plus compliqué aujourd’hui qu’il y a cinq ans. » Ce constat d’une embolie, fait par Bernadette Paul-Cornu, directrice de l’association Familles solidaires, est partagé par les acteurs de l’habitat inclusif. Pourtant, avec la définition d’un cadre dans la loi Elan de 2018, appuyé par une stratégie interministérielle en 2021 et la naissance de l’aide à la vie partagée (AVP) permettant aux départements de financer la coordination et l’animation, le secteur a connu une période florissante.
« C’est à ce moment que notre organisation s’est créée autour d’un diagnostic partagé : la demande était de plus en plus prégnante du côté des collectivités comme des porteurs de projets. Il manquait une structure nationale qui fasse la promotion et soutienne le développement, oriente vers les bons financeurs et accompagne la montée en compétences de tous les acteurs de l’écosystème », rappelle Ingrid Dautrey, directrice de Hapi. L’association est née du rapprochement du groupe Caisse des dépôts, de la fondation des Petits frères des pauvres et du réseau de l’habitat partagé et accompagné. Et les moyens étaient là : « Au démarrage de l’AVP, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) prenait en charge 80 % du financement », poursuit-elle. « Elle a fait un tour de France pour faire de la pédagogie et la conférence des financeurs a joué son rôle de vigie », complète Bernadette Paul-Cornu. Si bien qu’en 2022, on comptait 628 habitats partagés accueillant plus de 5 600 personnes.
Aujourd’hui, la phase dite « starter » est terminée. « Beaucoup de départements attendent de voir l’évolution des premiers projets inscrits dans leurs programmations par manque de visibilité sur l’après 2029, fin des premières conventions signées avec les porteurs », relève Ingrid Dautrey. « Tous sont confrontés à la crise immobilière et à la baisse de leurs recettes. L’habitat inclusif en est victime. Ce qui génère chez les porteurs de projets le sentiment d’être délaissés. Il y a aussi une incertitude sur le modèle juridique et économique : certains ont peur d’être requalifiés en établissement si le public est trop dépendant », analyse Bernadette Paul-Cornu. Le souhait ? Renouer avec une impulsion interministérielle, lever les freins identifiés sur le terrain et… « ne pas perdre les acquis ». « Cette offre ne doit pas être réservée aux seniors autonomes. Ce n’est pas l’essence de la loi Elan », insiste la directrice de Familles solidaires.
Une priorité politique
Côté pouvoirs publics, les signaux semblent positifs. « C’est une priorité centrale pour répondre au choc démographique », confirme le cabinet de la ministre chargée de l’Autonomie, Charlotte Parmentier-Lecocq. Face à la hausse imminente du nombre de personnes dépendantes en 2030, l’enjeu est de trouver de nouvelles solutions d’accueil tout en accélérant le virage domiciliaire. « Nous voyons l’habitat intermédiaire comme un prolongement du domicile. Il permet de lutter contre l’isolement, de répondre à l’aspiration des Français et à leurs besoins avec la mutualisation des soins. C’est aussi un levier d’attractivité pour les professionnels de l’accompagnement et du soin qui interviennent dans des lieux plus adaptés en limitant leur temps de transport », développe l’entourage de la ministre.
La solution miracle ? Le Gouvernement retient l’hypothèse d’un recul de la prise en charge en établissement de 41 % à 37 % d’ici à 2030. Pour atteindre cet objectif, 85 % des nouveaux bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie devraient alors être accompagnés à domicile. Pas si simple pour la Cour des comptes [1]. Une telle évolution pourrait se heurter au manque de professionnels de l’aide à domicile au niveau national et à la baisse prévisible du nombre d’aidants familiaux. Et la place des logements alternatifs dans l’offre est encore ambiguë, selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) [2]. Outre un écart entre la cible initiale et les personnes susceptibles d’y vivre, ces habitats ont besoin d’être armés pour accompagner la grande fragilité.
Des difficultés à lever dans un calendrier contraint. « Pour être prêt en 2030, il faudrait multiplier l’habitat intermédiaire par deux. Le coup d’accélérateur doit être mis très rapidement », souligne Benjamin Astic, chargé de mission Handicap et seniors de l’Aide à domicile en milieu rural. L’association qui a développé son propre modèle d’habitats à taille restreinte aux loyers modérés mise sur les travaux lancés par le Conseil de la CNSA sur le sujet. Son président, Jean-René Lecerf, qui souhaite aboutir à des propositions concrètes avant la fin de l’année, a bien conscience de l’attente tout comme du caractère « d’extrême d’urgence ». « Nous avons franchi un seuil démographique sans précédent, dans des délais extrêmement rapprochés. Si la réflexion progresse sur l’habitat intermédiaire, nous sommes encore loin de l’objectif de recrutement de 350 000 professionnels pour 2025 préconisé dans le rapport El Khomri. Et de surcroît, le contexte politique, de l’absence de majorité à la fragilité gouvernementale, ne facilite guère l’adoption de réformes efficaces et pérennes. »
Il faut aussi veiller à ce que chacun y trouve son compte. « La colocation n’est pas forcément souhaitée par tous les publics. Certains ont du mal à s’engager dans cette démarche collective. L’intermédiation locative est une solution tout comme le fait de construire une vraie politique d’accompagnement au logement », pointe Pierre-Yves Lenen, directeur général de la Fondation des amis de l’atelier. De même que l’habitat partagé ne doit pas se limiter à la problématique du grand âge. « Il y a un besoin dans le handicap comme pour les travailleurs d’Esat qui ont longtemps été en structures collectives et pour les jeunes adultes sous amendement Creton », insiste Ingrid Dautrey.
Un vaste paysage
Mais… les solutions sont nombreuses dans la galaxie de l’habitat intermédiaire. La première : les résidences autonomie, pour lesquelles l’Igas préconise la création de 100 000 nouvelles places. « Aujourd’hui, leur succès est mitigé avec un taux d’occupation à 87 %. Elles ont besoin d’une restructuration et de s’ouvrir plus largement à la logique domiciliaire. L’accueil plus volontariste d’étudiants ou de jeunes travailleurs sur les places inoccupées contribuerait aussi à renforcer l’insertion sociale et citoyenne des habitants », préconise Jean-René Lecerf. L’élargissement de leur prise en charge aux personnes plus dépendantes pourrait aussi se poursuivre et les résidences services seniors faire leur entrée dans le Code de l’action sociale et des familles.
Autres pistes, selon le président du Conseil ? Les colocations Alzheimer « aux bénéfices médicaux extrêmement réconfortants », le béguinage ou l’accueil familial. « Je crois beaucoup à cette dernière formule, à la fois dans son caractère original d’une ou deux personnes âgées chez un habitant ou une famille, mais aussi sur un mode plus récent à l’initiative d’entreprises privées dans le cadre de leur rôle sociétal et social. Certaines ont ainsi développé le temps de répit des accueillants par le recrutement de personnels de remplacement, détaille-t-il. Développons aussi la cohabitation intergénérationnelle solidaire. Le jeune bénéficie d’un loyer très raisonnable, voire symbolique, et l’accueillant de la présence bienveillante de son cohabitant. Des associations spécialisées veillent à la composition des binômes et à leur bon fonctionnement. »
Le portage des projets nécessite aussi d’être accompagné. « Il y a trois “briques” essentielles dans les montages : le portage du projet immobilier, la gestion locative et l’animation du projet de vie sociale et partagée. Parfois, c’est une structure qui assure l’ensemble, parfois trois différentes », illustre Ingrid Dautrey. « Aujourd’hui, être un porteur de projet est un métier en tant que tel, complète Bernadette Paul-Cornu. Il faut donner les moyens à ceux qui ne sont pas gestionnaires d’assurer l’ingénierie. Il y a une distorsion de concurrence avec les établissements et services qui bénéficient de frais de siège et peuvent plus aisément rajouter à leur offre un habitat inclusif. » « Il faut bannir le “all inclusive” avec un porteur qui fait tout et conventionner avec les services et l’hospitalisation à domicile. C’est fondamental », recommande-t-elle, rejoignant ainsi les préconisations de l’Igas.
L’AVP, « mère des batailles »
Autre enjeu : clarifier les normes, dans le sillage de la loi Bien-vieillir qui a mis les règles incendies au clair après le drame de Wintzenheim. « L’enjeu est aussi de sensibiliser et former. Nous avons monté une plateforme pour asseoir ce rôle », explique Ingrid Dautrey. Le 15 décembre se tiendra également une journée nationale sur le métier d’animatrice et coordinatrice que les acteurs espèrent voir inscrire au répertoire national des certifications professionnelles.
Reste la question de l’AVP. « La mère des batailles est de la pérenniser en élargissant l’assiette », précise Benjamin Astic. Versée à l’entrée des habitants, elle gagnerait, selon les acteurs, à prendre en compte l’ingénierie en amont mais aussi les coûts indirects comme la formation, l’équipement et les déplacements liés à la fonction d’animation. « Elle doit être repensée, à la fois pour faire face à l’indispensable essor de cette forme d’habitat et sans doute pour reconsidérer la baisse de la compensation de la CNSA », surenchérit Jean-René Lecerf.
Les pouvoirs publics donneront une première réponse à l’automne. « Dans le cadre du plan grand âge, une stratégie pluriannuelle visera le développement de l’habitat intermédiaire. Pour la concrétiser, plusieurs missions sont lancées associant le Conseil d’État, des inspections générales, la Caisse des dépôts ou encore l’expert Denis Piveteau (lire son entretien) », précise le cabinet de Charlotte Parmentier-Lecocq. Et de promettre de premiers jalons dans le cadre du budget 2026.
Repères
- Qu’est ce que l’habitat inclusif ? Des logements pour personnes âgées et handicapées caractérisés par des espaces de vie individuelle et collective dans un environnement adapté et sécurisé. À la différence d’un habitat intermédiaire, il est assorti d’un projet de vie sociale, coordonné par un animateur.
- 7 personnes en moyenne vivent ensemble en habitat inclusif (elles sont plus âgées dans les petites villes, en majorité handicapées dans les grandes).
- 70 % d’associations comme premiers porteurs de projets, suivis par les communes (14 %), les bailleurs sociaux (5 %) et les Saad (2 %).
- 58 % de logements issus du parc social et 27 % du privé.
- 66 % des habitants sont locataires, 17 % colocataires et 16 % sous-locataires, mais seulement 0,3 % propriétaires.
[1] Sécurité sociale 2025 – Une branche autonomie aux leviers insuffisants pour faire face à des enjeux démographiques cruciaux,rapport Cour des comptes, chapitre X, mai 2025
[2]
Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie – Se sentir chez soi où que l’on soit, rapport Igas
n° 2023-014R, février 2024
Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 244 - septembre 2025