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Tribune
« Les directions tirent les leçons de la crise »

03/03/2021

La crise a révélé que d’autres modes d’accompagnement étaient possibles, que les usagers et les familles avaient des ressources. Pour Sophie Péron, coprésidente du GNDA, les directeurs généraux doivent capitaliser sur ces acquis afin d’en faire un levier dans la gestion des établissements. Et en veillant à associer toutes les parties prenantes et à identifier les dysfonctionnements.

La question des enseignements de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 était à l’ordre du jour du séminaire annuel de réflexion du Groupement national des directeurs généraux d'associations (GNDA) [1], qui s’est tenu à l’été dernier. Cette première analyse « à chaud » après le premier confinement qui était porteur de sidération est par nature non exhaustive et sera complétée par d’autres travaux. Aujourd’hui, alors qu’on évoque un troisième confinement qui serait certainement différent des deux premiers, nos constats et propositions pourraient être ajustés. Notamment, nous avons pu mieux expérimenter une plus large participation des personnes concernées et des salariés.

Un secteur qui a su s’adapter

La gestion de l’épidémie a montré que les organisations sociales et médico-sociales pouvaient faire face à des contraintes sanitaires majeures, parfois paradoxales, en adaptant les pratiques d’accompagnement des publics. Les résultats obtenus peuvent être qualifiés de positifs. Ils confirment la capacité du modèle associatif à évoluer. À titre d’exemple, des dispositifs de suivi à distance (téléphoniques, vidéoconférences, blogs, etc.) tant des enfants, des adolescents que des adultes accueillis habituellement dans nos établissements, associés à des visites au domicile lorsque le besoin s’en faisait sentir, ont permis de maintenir le lien et d’assurer une présence pendant le premier confinement. Ces nouvelles modalités pourraient rester pertinentes sur du plus long terme. Notamment, des directeurs généraux ont observé que la réduction d’activités extérieures et un certain « cocooning » avaient produit davantage de sérénité et de qualité de suivi, nous interrogeant sur une éventuelle forme de suractivité proposée.

En outre, il semble que cette période a renforcé, et mis en évidence, la capacité à agir des familles et des aidants, ainsi que des usagers eux-mêmes qui, globalement, ont plutôt bien fait face à la situation, révélant des compétences auxquelles nous ne nous attendions pas. Cela doit nous amener à réinterroger nos pratiques et nos organisations afin de capitaliser ces retours d’expérience et d’en faire un levier de changement et d’adaptation dans nos établissements, sans attendre les injonctions des autorités de tarification et de contrôle.

L’éthique à la trappe ?

Néanmoins, nous avons aussi observé que l’objectif sécuritaire l'a emporté sur le respect des libertés fondamentales de chacun. Suivant les recommandations nationales, nos associations ont eu du mal à prendre le recul et le temps nécessaires pour y veiller et n’ont pas assurément créé une place pour que le débat éthique ait lieu sur ces sujets. Ces questions et les différentes instances de décision n’ont pas pu véritablement jouer leur rôle, du fait notamment du confinement et de l’urgence qui mettaient les gestionnaires en position d’action-réaction, peu propice à la réflexion. Ce constat, largement partagé, nécessite d’adapter nos fonctionnements afin de ne pas laisser cette tendance s’installer durablement. 

La gestion de la situation sanitaire a également conduit à une concentration des pouvoirs et des responsabilités, en particulier dans les mains des directeurs généraux. Des cellules de crise auraient dû être plus systématiquement constituées avec l’ensemble des personnes concernées. Parfois, les représentants des familles et des usagers, voire les administrateurs, ont pu se sentir exclus des arbitrages et des lieux de décision. Ce recentrage a été encouragé et amplifié par le pilotage de la crise mis en place par des agences régionales de santé (ARS) qui s’adressaient aux directions générales, ou au contraire par l’absence d’informations en provenance des financeurs, en particulier de certains conseils départementaux. En conséquence, nous avons dû revoir nos dispositifs ad hoc. En effet, ceux-ci doivent être plus représentatifs afin que les décisions prises intègrent l’ensemble des intérêts et des points de vue, en particulier ceux des personnes accompagnées et de leurs représentants, sans oublier les salariés, et de façon générale toutes les parties prenantes.

Le télétravail, pas si impossible 

Cette situation exceptionnelle a permis d’expérimenter d’autres formes de travail, notamment pour les sièges sociaux. L’obligation de mettre en place et de renforcer le télétravail a démontré que c'était du domaine du possible, avec des effets plutôt positifs. Une nouvelle donne qui va sans doute alimenter les négociations sur nos modes d’organisation. Là aussi, le confinement a fait sauter certaines représentations et va aider à lever des barrières.

Enfin, la crise a conforté les directeurs généraux dans leur rôle de régulation et de coordination au sein de leurs organisations, qui se sont posés en arbitres de toutes les décisions communes touchant notamment la sécurité, endossant leur part de responsabilité. Ce alors qu'elle a remis en évidence les contradictions à gérer au quotidien entre informations, recommandations, consignes et décisions hiérarchiques. Mais cela a aussi renforcé leur travail avec les directeurs (d’établissements, de dispositifs…), et favorisé le développement de coconstruction et de relations de confiance, mettant ainsi en exergue les équipes solidaires et soudées. Bref, une période intense, qui a aussi été porteuse d’un mode de dirigeance quasi idéal où la solidarité et la confiance entre acteurs se sont affermies. 

Et pour demain ?

Les directeurs généraux ont exprimé le souhait de recenser et d’évaluer les bonnes pratiques et les dysfonctionnements révélés par la crise. Il nous semble indispensable que chaque organisation prenne le temps de recenser tant les initiatives que les difficultés en associant l’ensemble des parties prenantes, internes comme externes, en sollicitant des témoignages des personnes accompagnées en particulier. Les dirigeants mettront ainsi en œuvre une méthodologie collaborative qui s’inscrit dans la démarche sociétale de nos organisations.

Ce travail conjoint d’inventaire et de partage des bonnes pratiques pourrait utilement déboucher sur une actualisation du projet associatif, ainsi que des procédures internes et éventuellement des accords d’entreprise. Des changements profonds, évalués et concertés, sont indispensables afin de faire d’une contrainte une certaine opportunité et un levier du changement. Le bond digital réalisé par certaines organisations doit intégrer ces nouvelles pratiques, à condition d’être considéré comme un outil au service du lien social.

En outre, nous devons assurer notre autonomie d’analyse et de jugement afin de ne pas nous positionner dans un rôle d’exécution de consignes, dont nous avons mesuré la fragilité. Les associations doivent tenir fermement la « barre » et favoriser leur esprit critique, c’est-à-dire conserver le recul nécessaire pour pouvoir naviguer en période troublée, en associant tout « l'équipage ».

Par ailleurs, nous sommes soumis à l’impérieuse nécessité de maintenir et promouvoir la souplesse et l’adaptabilité dans la réponse aux besoins des personnes accueillies, et ainsi soutenir les démarches disruptives, encourager l’inventivité, la créativité, l’innovation, mais aussi la solidarité.

Ultime enseignement, la crise sanitaire a mis en évidence la problématique du manque de reconnaissance des métiers du soin et du lien social et, comme le GNDA l’avait évoqué il y a quelques années dans son devoir d’alerte, il faut reconsidérer les métiers de l’humain. Cette démarche semble être engagée très clairement pour le secteur sanitaire hospitalier. Soyons porteurs d’un message pour demander l’extension de ces mesures au monde médico-social et social associatif qui a joué un rôle évident de dernier filet social et a évité des situations catastrophiques pour les populations les plus fragiles. La prise de conscience du grand public en faveur de ces professionnels doit conduire aux évolutions conventionnelles nécessaires afin de revaloriser les rémunérations et apporter la reconnaissance due à celles et ceux qui ont garanti, par leur présence et leur engagement, la continuité des accompagnements, et dont le rôle essentiel a été mis en lumière alors qu’il était trop souvent invisible.   

[1] Le GNDA rassemble près de 150 dirigeants associatifs œuvrant dans les champs de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Sophie Péron

Carte d'identité

Nom. Sophie Péron

Fonctions actuelles. Directrice générale de l'association Le Moulin vert et coprésidente du Groupement national des directeurs généraux d'associations (GNDA).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 195 - mars 2021






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