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Tribune
Faciliter l'habitat partagé des personnes âgées

07/05/2014

Afin de répondre aux attentes des personnes âgées à faibles revenus, les Petits Frères des pauvres avec neuf organisations du secteur proposent des pistes de solutions pour développer un habitat solidaire et groupé [1]. Contribuant ainsi au débat sur le projet de loi Autonomie.

François-Xavier Turbet Delof

Domiciles regroupés, colocation, petites unités de vie (PUV), béguinage, immeuble intergénérationnel… Depuis de nombreuses années, des initiatives associatives ou citoyennes ont vu le jour afin de proposer à des personnes âgées une offre de lieux de vie autre que l’établissement. Si les appellations et les modes d’organisation sont multiples, ils reposent sur les mêmes principes. Ce sont des lieux de petite capacité, impliquant les habitants et leurs proches au quotidien et favorisant une forme de soutien mutuel. Ils permettent une mutualisation des moyens matériels et humains afin d'apporter à tous les soutiens nécessaires pour une qualité de vie satisfaisante face à la perte d’autonomie, et privilégient une approche « logement domiciliaire » plutôt qu’« établissement ».

Une pluralité de réponses

Il ne s’agit pas d’opposer les différents types d’accueil, mais de proposer une pluralité de réponses et un réel choix aux personnes en fonction de leur projet de vie. De nombreuses études ont analysé ces expériences et montré leur intérêt. La volonté la plus forte des personnes est de pouvoir vivre dans de réels logements, assurant leur intimité et le respect de leurs droits (y compris celui de prendre des risques), tout en étant davantage inscrites dans la vie d’un quartier et de réduire ainsi les risques d’isolement social. Être impliquées dans les décisions quotidiennes d’organisation, rester maître de leur lieu de vie, être dans une responsabilité partagée, assumée et reconnue avec le soutien de leurs aidants, conjuguant autonomie et solidarité, constituent les désirs de ces personnes dont la perte d’autonomie ne doit pas devenir le seul dénominateur commun. Ces éléments contribuent à la prévention des risques en maintenant la personne dans un environnement moins « assisté » qu’en établissement. Enfin, parce qu’ils sont inscrits dans les zones d’habitation ordinaires, ces habitats sont souvent porteurs d’une offre d’animation voire de services de proximité. Malheureusement, leur existence reste à la merci de la bonne volonté de collectivités, parfois frileuses pour soutenir des projets sortant des cadres administratifs, ou de la décision de la commission de sécurité « toute puissante ». Face aux points de blocage que nous rencontrons régulièrement, nous proposons des pistes de solutions.

Un mode de financement à sécuriser

La majorité de ces projets repose notamment sur la mutualisation des aides à la vie quotidienne optimisant ainsi le soutien à domicile dont bénéficient les personnes grâce à l’allocation personnalisée d'autonomie (APA). Cela permet une présence et une aide régulières, qui rassure les personnes et leur apporte un confort de vie. Cela présuppose l’accord du conseil général. Mais certains, plus réticents à l’innovation, considèrent cela comme un détournement de l’APA (même si le plan d’aide est respecté) et refusent ce mode d’organisation car, selon eux, facteur de risque de requalification en établissement.

Par ailleurs, les aides humaines nécessaires étant mutualisées, l’hospitalisation d’une des personnes peut mettre en péril l’équilibre financier du dispositif si l’APA est supprimée immédiatement. Certains départements acceptent d’en maintenir le versement durant 30 jours, ce qui est le minimum nécessaire. Cela pourrait aussi s’envisager pour le mois qui suit un décès.

Ce dispositif est pourtant couramment utilisé dans le secteur des personnes handicapées, qui a su diversifier les formes d’habitat (par exemple avec les appartements thérapeutiques et divers types de logement en habitats diffus). Sans que cela pose de difficulté aux conseils généraux qui le mettent en œuvre… En outre, la prestation d’aide ménagère financée par l’aide sociale est cumulable avec celle de compensation du handicap (PCH), alors qu’elle ne l’est pas avec l’APA. En ces périodes où la convergence entre les champs du handicap et des personnes âgées est un objectif gouvernemental, il serait pertinent de s’en inspirer. Et ceci sans que ne soient opposées des questions liées à la réglementation ou à la sécurité incendie.

S’inspirer des pensions de famille

Ces projets sont financés par les ressources personnelles des habitants, par les aides individuelles comme l’allocation logement (AL) ou l’aide personnalisée au logement (APL) et dans le cadre du plan d’aide pour maintenir son autonomie pour l’APA. Les éventuels soins et aides à la toilette sont délivrés par les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ou les intervenants libéraux. Dans plusieurs pays, comme l’Allemagne, il existe une forme d’aide sociale qui a permis l’accès à ce type de lieux à toute personne, quelles que soient ses ressources. En France, ce n’est pas le cas. Les personnes à faibles ressources (quel que soit leur niveau d’autonomie) et celles à moyennes ressources présentant une faible dépendance (bénéficiant donc d’une APA faible) ne peuvent faire face aux dépenses de vie quotidienne à domicile si elles ne possèdent pas des réserves financières significatives ou une famille pour les aider. Les départements acceptent rarement de soutenir ces foyers dans le cadre d’une aide sociale non obligatoire, afin qu’il y ait égalité de traitement pour tous. Une prestation universelle à l’autonomie – ou équivalent – apportera-t-elle une réponse nouvelle et équitable ?

Par ailleurs, les porteurs de ces initiatives ont choisi, en fonction de leur projet social et du montage budgétaire, d’organiser les interventions des aides à domicile avec des services prestataires ou mandataires. Mais selon les règlements des conseils généraux, certains se sont vu interdire de choisir entre ces deux types de prestations. Si on veut développer les domiciles groupés ou partagés, il est nécessaire de permettre ce libre choix et de sécuriser, du point de vue du droit du travail, le recours aux services mandataires lorsque le même salarié intervient en habitat partagé pour le compte de plusieurs habitants également employeurs. Enfin, l’équilibre financier serait amélioré si ces opérations pouvaient bénéficier, pour le montage du budget d’investissement, des financements de type prêt locatif aidé d'intégration (PLAI)-foyer et que les surfaces des parties communes soient prises en compte.

Assouplir et simplifier les règles

Sur le plan juridique, ces lieux de vie (qui ne relèvent pas du champ des appels à projets – AAP – médico-sociaux) constituent des logements regroupés ou partagés, assortis de contrats de location directe (ou de sous-location auprès d’un locataire principal associatif qui sécurise le projet vis-à-vis des organismes bailleurs). À ce contrat, s’en ajoute un d’engagement réciproque entre les locataires, associant parfois leurs proches, qui engage chacun à respecter le projet du lieu, ses droits et ses devoirs. Ce montage est la pierre angulaire qui assure la pertinence et la continuité du projet. Il permet aussi de réguler les entrées de nouveaux locataires. Le projet social sert de « filtre » lors des attributions des logements vacants. Les bailleurs sociaux organisent avec les porteurs de projet les modalités d’attribution adaptées dans le respect des contingents liés aux financeurs et des plafonds de ressources. Mais toute entrée dans un logement requiert aussi l’adhésion au projet commun et l'accord des autres locataires.

Alors qu’il s’agit de logements relevant du Code de la construction et de l'habitation (CCH), certaines commissions de sécurité, parfois à la demande des autorités de contrôle, sont saisies du projet. En tentant d'imposer un classement en établissement recevant du public (ERP) de type J, elles en menacent l’ouverture ou la pérennité. Ceci génère des travaux et des frais d’investissement insupportables, empêche techniquement l’implantation au sein de bâtiments d’habitation classique et renforce ainsi le risque de requalification en établissements. Ces pratiques abusives doivent impérativement être dénoncées pour redonner toute leur sérénité tant aux locataires des habitats existants qu’aux promoteurs de projets nouveaux, que ce soit dans le neuf ou dans l’ancien.

Il nous paraîtrait judicieux de regarder de plus près le dispositif des pensions de famille que l’État a développé à destination des personnes en situation d’exclusion. Même s'il n’est pas transposable en totalité, le modèle de ces lieux de taille modeste conjuguant présence en journée d’un « couple d’hôtes » et logements individuels assure à la fois l’intimité des personnes, leur sécurité et leur accompagnement au quotidien. Relevant du CCH, la classification sécurité est de type logement-foyer. De plus, ces lieux favorisent la mixité intergénérationnelle. L’autorisation est accordée par les services déconcentrés de l’État avec un financement des hôtes. Ceci pourrait être assuré par les conseils généraux pour des projets visant des personnes âgées.

Favoriser l'initative

Les PUV, bien qu’il s’agisse d’établissements relevant du Code de l’action sociale et des familles (CASF), ont montré tout leur intérêt. Nous pensons indispensable de conforter leur développement : en pérennisant la possibilité qui leur est offerte de pouvoir choisir entre les trois modes de médicalisation, avec des ressources suffisantes ; en favorisant des unités avec de réels logements ; en identifiant la notion de « PUV éclatée dans le diffus » afin de mobiliser des logements proches mais non attenants ; enfin, en renforçant les possibilités de financement de la coordination des PUV, en particulier lorsque les soins sont externalisés, et tenant compte le cas échéant de la typologie des publics accueillis pouvant impliquer davantage de coordination pour les structures (notamment en milieu urbain) qui répondent à des besoins sur le champ de la précarité. Pour les projets, principalement les PUV relevant de la procédure des AAP, un assouplissement et une simplification des règles sont nécessaires pour laisser plus de place à l’initiative associative, à l’innovation et à l’expérimentation. En particulier pour les associations de petite ou moyenne envergure.

Une offre multiple de types d’habitat est possible pour répondre au plus près des attentes des personnes âgées, si ensemble nous levons les blocages administratifs et les peurs liées aux changements. Malgré l’intérêt que portait Michèle Delaunay à la promotion de logements alternatifs, ces derniers sont les grands absents du projet de loi Autonomie. Nous avons espoir que l’étude lancée par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ne restera pas sous le coude du nouveau gouvernement. Et que ce dernier prendra conscience que ce champ d’innovation est une des réponses au grand défi démographique présent et à venir.

[1] Avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), de l’union professionnelle du logement accompagné (Unafo), de l’association Un Toit pour tous, de la Fédération des maisons d'accueil rurales pour personnes âgées, de l’association des cités du Secours catholique et du collectif Colocation à responsabilité partagée Oise.

Celestina Besagni et François-Xavier Turbet Delof

Carte d'identité

Auteurs. Celestina Besagni, chargée de mission, et François-Xavier Turbet Delof, adjoint de direction Établissement, aux Petits frères des pauvres. En collaboration avec l’Association pour le développement des nouvelles résidences avec services pour les personnes âgées (Anrespa), le centre médico-psychologique (CMP) Popincourt, le centre communal d’action sociale (CCAS) de Grenoble, la Fondation Armée du salut, Habitat et humanisme, la Maison de communauté Notre-Dame, l'association Monsieur Vincent et l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam).
Titre. Document de travail interassociatif pour la promotion de formes alternatives d’habitat pour les personnes de plus de 60 ans à faibles revenus

Publié dans le magazine Direction[s] N° 120 - mai 2014






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