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Tribune
« Osons sortir des cadres, libérons la parole »

06/03/2024

Développer la médiation entre les établissements et services d’un côté et les usagers et leurs familles de l’autre, permettrait de replacer les motifs de plaintes et de contrôle sous un angle relationnel, assure Béatrice Bernard. Apprendre l’écoute active et libérer la parole pour donner suite aux plaintes sont les conditions de l’amélioration du service rendu et de la qualité de vie au travail, explique la médiatrice.

Plus personne n’ignore les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) depuis la tourmente médiatique qu’a connu le secteur des Ehpad en 2023. C’est déjà cela ! Oui, le vieillissement concerne tout le monde ; oui, la dépendance arrive à tous ceux qui ne décèdent pas précocement de maladie ; oui, la dépendance coûte, que ce soit en institution ou à domicile ; oui, la vie des proches se complique ; oui, le travail des aidants professionnels est lourd.

Non, les plaintes de plus en plus nombreuses des familles ne sont pas une fatalité ; non, les contrôles des administrations, de plus en plus sévères, ne sont pas une fin en soi. Les résidents et leurs familles ressentent naturellement une forme d’inquiétude, voire d’insécurité, dans la prise en charge en soins et dans l’attention portée à l’hygiène et à la qualité de vie. Faute d’être suffisamment et rapidement écoutés et rassurés, ils adressent leurs plaintes à l’administration ou à l’autorité judiciaire, parfois sans même passer par la direction de l’établissement.

Les services de l’administration (agences régionales de santé, conseils départementaux) en sont saturés et ne peuvent plus les traiter. Ceux-ci intensifient et systématisent leurs contrôles, comptant sur la prévention globale plutôt que sur la gestion curative de situations individuelles. Leurs process, dits contradictoires, reposent sur des grilles qui leur sont propres, qui ne laissent de fait que très peu de place à la collaboration autour d’objectifs partagés avec les équipes des établissements, pour concilier sécurité, qualité et valeur ajoutée.

D’abord en écoutant

Alors que ce secteur était l’un des plus attractifs en termes d’emplois et de formations qualifiantes, il devient un secteur à l’image détériorée, épinglé par certains médias, abandonné des candidats à l’emploi : on ne trouve plus ni médecins, ni infirmiers(ères), ni aides-soignants(es), ni cuisiniers(ères), ni directeurs(trices)…

Parler d’approche transformative, c’est penser et agir pour ne plus subir ces phénomènes. C’est constater que le secteur peut encore moderniser sa gestion et son management. C’est croire, fondamentalement, aux vertus du débat et de la critique pour changer les choses dans un sens tout à la fois plus qualitatif et plus efficace.

Cela suppose qu’il y ait une parole. Celle du malade, de la personne fragile, de ses proches, des équipes de professionnels. On ne va pas lister ici tous les moyens que l’on a « formatés » et imposés aux ESSMS pour recueillir la parole de la personne vulnérable (projet personnalisé, recueil de données personnelles, conseil de vie sociale, commissions restauration,…). C’est inutile puisque, finalement, rares sont les cas où l’on écoute véritablement la personne ; c’est-à-dire où on lui donne tous les moyens de s’exprimer, même quand elle en a perdu l’usage, où l’on sera là pour l’entendre à chaque changement d’humeur, de sentiments, d’idées, de propositions.

Alors bien sûr, on sera confronté à un manque de temps. Mais avant d’en être là, nous pouvons parcourir beaucoup de chemin en matière d’organisation, de moyens et d'outils pour donner un espace naturel d’expression à tous les résidents (mettons déjà en place les aides basiques à la compréhension : Falc [1] et « COT »[2] !). Les professionnels, quant à eux, ont beaucoup à gagner à se former à « l’écoute ». Des formations portant sur le contenu et non pas sur la fonction : apprendre à bien écouter, non pas parce qu’il s’agit d’une recommandation professionnelle politiquement correcte mais pour découvrir la liberté et le bien-être que provoquent la parole et sa bonne réception, autant pour l’usager que pour le professionnel qui s’en trouvera, en retour, mieux écouté aussi.  

Puis en valorisant 

Les demandes et les réclamations qui sont exprimées, avant de devenir des plaintes, doivent être valorisées par l’ensemble des personnels de l’établissement. Une réclamation n’est pas une attaque, encore moins une sanction. Que ce soit auprès des clients ou auprès des collaborateurs, porter un regard positif sur les réclamations est un moyen naturel d’améliorer le service prodigué et la qualité de vie et de travail. Pourquoi, par exemple, ne pas gratifier les collaborateurs qui font l'objet de plaintes en les invitant à aller eux-mêmes entendre la personne insatisfaite ?

Valoriser c’est aussi traiter la réclamation exprimée  à la hauteur des attentes : une parole attend une réponse. Promouvoir la gestion des plaintes c’est accuser réception sans attendre et échanger pour comprendre.

Cela commence par tracer et répertorier ces demandes quotidiennement et les analyser. La tendance naturelle est de nuancer, voire de nier la cause d’insatisfaction, ou bien de remettre en question la parole du plaignant en arguant de sa fragilité. Si bien qu’il ne reste que peu de plaintes « en cours », et que les personnes âgées ne formulent plus de réclamations.

Enfin, en agissant

L’objectif doit être, au contraire, de s’obliger à remettre en question le fonctionnement et formuler une proposition qui est de nature à  transformer la relation (déjeunez avec une famille et son parent, lorsque celle-ci se plaint régulièrement de la qualité de la restauration : l’effet est immédiat. Si vous n’aimez pas, vous agirez ! Si à l’inverse vous trouvez cela correct, il est vraisemblable que vous aurez passé un bon moment avec cette famille et que votre relation en sera améliorée… même si ce n’était pas un repas trois étoiles !).

Certes, des dispositions ont été prises pour que les usagers trouvent des interlocuteurs tiers hors les murs : personne qualifiée (loi du 2 janvier 2002) ; représentants des usagers (loi Hôpital, patients, santé et territoire de 2009); personne de confiance (loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 2015) ; médiateur de la consommation (commission d’évaluation et de contrôle de la Médiation de la consommation de 2019). Mais sans cette volonté de transformation par les professionnels des établissements eux-mêmes, partagée avec les familles, on en revient à cocher des cases pour avoir rempli ses obligations. Quelle évaluation faisons-nous de l’efficacité de ces outils et du recours à ces intervenants ? Quel est le niveau de satisfaction des clients et la qualité de vie qu’ils en éprouvent ?

Le sens des choses, l’attente fondamentale reste la relation, l’échange, la connaissance et la reconnaissance mutuelle. C’est bien d’un état d’esprit nouveau dont nous parlons – dans lequel nous invitons les acteurs des ESSMS à s’inscrire –, qui se décline en démarche globale de partenariat entre l’usager et l’institution [3], lui-même d'abord fondé sur des échanges personnalisés.

Développer la médiation entre usagers et institutions dans ce secteur, c’est replacer les motifs de plaintes et de contrôle sous un angle relationnel. Le grand âge ou le handicap sont des situations de vie particulièrement sensibles et critiques pour la famille : insuffisamment préparée, celle-ci se trouve soudain dans un état de fragilité, que ce soit psychologiquement, matériellement ou financièrement. C’est tout l’environnement relationnel qui se transforme, les relations existantes doivent s’adapter et certaines disparaissent pour laisser place à de nouvelles :

- entre l’institution et les personnes âgées ou handicapées ;

- entre l’institution et les familles (ou tuteurs) ;

- au sein de la famille, avec son parent/enfant ;

- au sein des équipes, auprès du résident ;

- entre les équipes et la direction de l’établissement ;

- entre l’institution et l’administration...

Ces relations sont vivantes et délicates, il est donc naturel qu’il y ait des tensions. Dans la plupart des cas, elles résultent d’un manque flagrant d’informations et d’échanges, avant de reposer sur des faits objectifs. Les cas exposés en médiation par les directeurs d’établissements, par les familles ou associations d’usagers, par les personnels, voire par l’administration elle-même, sont variés : sécurité des soins, qualité de service, comportements et relations, organisation du travail, intrusions, manque d’information…

La médiation, qui peut être demandée par tous, est une démarche fondée sur des entretiens individuels et des réunions plénières entre les parties concernées. Le médiateur, indépendant, impartial, compétent et diligent, spécialiste des biais de communication, accueille, reflète, questionne. Il revient sur les émotions qui se libèrent enfin, sur les situations mal vécues, présupposés, non-dits et quiproquos qui dégradent les relations. Chaque partie se sent reconnue par le simple fait d’être entendue et d’écouter l’autre. Elle peut à nouveau se projeter dans une relation apaisée.

Une démarche intégrée au management

Le dirigeant en ESSMS, stimulé par toutes ces recommandations administratives, mais surtout par les attentes fondamentales des personnes et leurs besoins d’expression, doit désormais intégrer dans son management une démarche globale de transformation de la relation, dans laquelle la médiation tient une place essentielle qui bénéficie autant aux usagers qu’aux collaborateurs. Il n’est pas nécessaire de faire partie d’un grand groupe ou d’une association nationale pour bénéficier d’un médiateur interne. Tous les établissements peuvent recourir à cette fonction grâce aux médiateurs libéraux qui interviennent non seulement en médiation « judiciaire », mais aussi en amont des procédures, en « médiation conventionnelle ».

En recourant à la médiation, nous prenons soin de nous. Osons sortir des cadres, libérons la parole.

[1] Facile à lire et à comprendre. La Défenseure des Droits propose d’en inscrire l’obligation dans le livret d’accueil, la charte des droits, le règlement de fonctionnement et les contrats de séjour

[2] Communication orale pour tous, Guide méthodologique de recueil du point de vue des personnes hébergées, HAS, septembre 2023

[3] Du patient plaignant au patient partenaire, Pr Patrice Guex, CHUV Lausanne

Béatrice Bernard

Carte d'identité

Nom. Béatrice Bernard

Fonction. Médiatrice, fondatrice et dirigeante d’une société de conseil et d’une société de programmation artistique et culturelle auprès des personnes âgées.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 228 - mars 2024






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