« Dring dring dring ! » Impatiente, Yvonne Delaunay, « 80 ans et des grosses miettes », se prépare tout sourire pour une sortie vélo. Chatouillée par les premiers rayons d’un soleil matinal et printanier bien présent ce jour-là, elle se laisse sécuriser sur son siège par Marine René : « Très bien, je n’ai rien à faire, moi, alors ! » Sur le vélo adapté voisin, Pierre Venot, autre résident, est aidé par Thomas Orgebin à réaliser le transfert depuis son fauteuil pour partir, lui aussi, en balade. « Mettez la main droite un peu plus loin, tournez vos pieds… » Pendant ce temps, la souriante et communicative Yvonne se raconte : « J’habitais à côté, avant. Je ne sais plus très bien quand je suis arrivée ici, mais je suis bien. Il y a une bonne ambiance, on mange bien. »« Voilà Monsieur, vous avez cinq points d’attache, comme dans une voiture de course ! », s’amuse Thomas Orgebin, qui plaisante avec Pierre pour lui redonner le sourire après l’effort que lui a coûté l’installation. Un dernier coup de sonnette et le convoi se met en route.
L’APA, levier de coopération
Thomas Orgebin et Marine René sont tous les deux enseignants en activité physique adaptée (EAPA). Ils travaillent en binôme dans trois des quinze Ehpad publics regroupés au sein du Service public d’initiatives pour l’autonomie (Sepia 41). Ce groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) du Loir-et-Cher a mutualisé les postes d’EAPA pour que tous les adhérents proposent de telles activités aux résidents. À l’Ehpad du Grand Mont, du Controis-en-Sologne au sud de Blois, le vélo a bonne presse. Mais ce n’est pas la seule activité : du judo au tir à l’arc, en passant par la pétanque ou le rugby, un large choix de propositions permet de s’adapter aux souhaits et capacité des résidents. Le développement des APA a facilité le rapprochement entre des établissements qui, avant de se regrouper, rencontraient parfois des difficultés à travailler ensemble. « Il n’est pas toujours facile de coopérer, observe Pierre Gouabault, administrateur de Sepia 41, par ailleurs directeur de trois Ehpad. Aussi ce pôle d’APA a-t-il représenté un point de consensus très appréciable. C’est même la seule chose commune développée dans l’intégralité des établissements. »
En partenariat avec l’université d’Orléans
Déployé progressivement depuis 2019, le programme a été baptisé « Rester debout », en écho direct avec ses objectifs premiers : prévenir et ralentir la perte d’autonomie. Mais une autonomie prise dans une acception très large. « Il s’agit bien sûr de préserver des capacités motrices, explique Stéphanie Lecharpentier, responsable de site à l’Ehpad du Grand Mont. Le but consiste aussi à diminuer le risque de chute, à retrouver une autonomie dans les gestes du quotidien. Une meilleure forme physique préserve un lien à la nature, en permettant de marcher dans le parc de l’établissement, par exemple. Mais cela donne aussi de l’estime de soi, permet de conserver du lien social. Ce genre d’activité, c’est festif, joyeux et très déstigmatisant pour les personnes. »
Pour mettre en place ces APA, le groupement a recruté onze enseignants. Chacun d’eux intervient, le plus souvent en binôme, sur plusieurs établissements. Pour les recruter, un partenariat avec l’université d’Orléans a été passé. Le but : accueillir en apprentissage et en stage nombre de jeunes en cursus Sciences et techniques des activités physiques et sportives et les accueillir ensuite au sein des équipes pluridisciplinaires.
Émulation collective
Une fois en poste, ils proposent aux résidents des activités individuelles, comme les joies de la bicyclette. Mais aussi des activités collectives, ouvertes aux personnes venues de l’extérieur. Comme cet après-midi-là, l’Ehpad des Mésanges, à Saint-Laurent-Nouan, de l’autre côté du château et du parc de Chambord. S’y tient une des quatre « journées partage » de l’année. Résidents et personnes âgées vivant à l’extérieur s’y voient proposer des activités diverses, sous l’œil de Rémi Thibault, jeune EAPA diplômé en 2023. Boccia (pétanque adaptée), basket, tir à l’arc et parcours moteur sont offerts à tous, l’idée étant que chacun teste tout ! « Léo ! », appelle une dame impatiente de tirer à l’arc et désireuse que l’un des animateurs l’y aide en lui donnant les flèches, ou communiquant ses scores. « 10 ! Bravo madame Garnier ! » Elle touche la cible plusieurs fois, puis vaque à autre chose. D’autres, plus hésitants, veulent bien tenter, mais peinent à tendre l’élastique.
À chacun ses possibilités, ses envies. Mais avec la volonté constante de stimuler tout le monde. Au point de remettre, à l’heure du goûter, un petit livret avec des exercices à faire chez soi ou dans sa chambre. La volonté, aussi, de s’amuser et de renforcer l’estime de soi : des médailles sont attribuées aux trois premiers, individus ou équipes, qui ont fait les meilleurs scores dans chaque discipline.
Le bien-être, un bénéfice tangible
Les applaudissements saluent les gagnants, des rires aussi. Anecdotique ? Pas seulement puisque, selon les professionnels, le bien-être psychologique de ceux qui pratiquent l’APA représente l’un de ses bénéfices. « Avec la santé physique et le lien social, c’est même l’un de ses trois piliers », explique Marine René. « Quand un des résidents rencontre une baisse de moral, on l’embarque pour une sortie vélo ! Cela les égaie », abonde Pierre Bernard, aide-soignant depuis six ans à l’Ehpad du Grand Mont. Sur le plan cognitif, l’interaction est permanente durant une séance d’APA.
Un coup d’œil à droite : « Vous avez vu les jonquilles ? » Un aboiement résonne : « Vous aviez un chien avant ? » Une pause au bord de l’eau : « Vous voulez aller sentir les camélias ? » Yvonne se lève, parcourt en marchant les quelques mètres qui l’en séparent. Entre deux coups de pédale, Pierre et Yvonne échangent ainsi avec les EAPA tout au long du parcours. Et plaisantent : « La Bièvre, un fleuve ? C’est un traîne-feuilles ! », rit Yvonne, avant de prendre le chemin du retour vers l’Ehpad, des fleurs piquées dans son casque de vélo. « Dring ! », le vélo entre dans l’établissement, désormais empli des odeurs du déjeuner. « On a préparé des madeleines ce matin ! », annonce aux convives une animatrice au micro, avant de laisser la place à un fond musical d’accordéon qui va animer le repas.
Pour les équipes, un sens au travail renforcé
Lorsque les résidents conservent confiance et autonomie, qu’ils ont le sourire aux lèvres, les professionnels et soignants qui les entourent, eux, trouvent un sens au travail renforcé. « L’une de nos résidentes est atteinte d’une maladie apparentée à la maladie d’Alzheimer, illustre Pierre Bernard. Chaque matin, je faisais sa toilette, elle ne me reconnaissait pas. Un jour, je l’ai emmenée faire du vélo. Depuis, je suis celui qui l’emmène à vélo ! » Au-delà de cet exemple, il dit avoir le plaisir de davantage échanger avec les personnes dans le cadre de ces activités, que quand il leur prodigue les soins de nursing si besoin : « Elles se livrent davantage, elles partagent des souvenirs. Souvent avec un brin de nostalgie. » Il retrouve ainsi le sentiment d’exercer son métier de soignant à part entière. Ce qui peut favoriser l’attractivité dans un secteur en tension, qui plus est dans un environnement rural.
Quant aux EAPA, eux confient que les stages leur ont « ouvert les yeux », comme l’exprime Marine René : « Je me demandais bien ce que je leur ferais faire, aux personnes âgées. J’avais énormément de préjugés. Un stage m’a montré le potentiel énorme de l’APA en Ehpad. » « Je leur apporte quelque chose, bien sûr, mais j’ai aussi beaucoup à apprendre de leur vécu », complète Thomas Orgebin, qui justifie ainsi son choix d’intervenir auprès de ce public. En outre, tous deux considèrent avoir acquis leur juste place au sein des équipes pluridisciplinaires, désormais.
Des emplois précaires à pérenniser
Reste, souhaite Pierre Gouabault, à « sortir de la logique des emplois précaires ». Les financements annuels conduisent pour l’heure à la signature de contrat à durée déterminée. Autre chantier en cours : la création de fiches de poste. « Il convient de clarifier les missions. C’est une fonction nouvelle, pas encore inscrite au répertoire des métiers, sans grade de rémunération dans la fonction publique hospitalière », détaille l’administrateur. Il souligne que ces professionnels, employés par le GCSMS, doivent pour autant s’adapter à chaque mode de fonctionnement des établissements au sein desquels ils interviennent. Et souhaite voir se développer un collectif des EAPA, pour leur permettre « un partage de pratiques et d’améliorer leur qualité de vie au travail ». Des points qui lui semblent d’autant plus importants qu’à ses yeux, l’APA contribue au développement des interventions non médicamenteuses, un champ qui implique un triptyque qu’il défend avec ferveur : « Indication, prescription, évaluation. »
Une culture de prévention
Au premier rang de telles interventions, cadrées mais sans molécule, l’APA. Pour lui, sa présence grandissante en démontrera l’efficacité. « L’APA n’est pas un supplément d’âme, revendique-t-il. Ce sont des professionnels à part entière, des métiers du soin et du lien, tellement importants. » En particulier pour développer la « culture de prévention » qui lui semble faire de premiers pas et amorcer un « changement de paradigme ».
Un vœu partagé par Hélène Cons, référente territoriale personnes âgées à l’agence régionale de santé (ARS). Elle se félicite de voir que l’APA a rapidement élargi son champ, au-delà de la seule prévention des chutes : « Les bénéfices constatés pour les personnes incluent aussi le lien social, la nutrition et même le changement de regard sur leurs capacités. » Fidèle soutien année après année du dispositif, aux côtés du conseil départemental, l’ARS envisage des conventions pluriannuelles, preuve, s’il en est, d’une reconnaissance des bénéfices de l’APA, « aujourd’hui intégrée au fonctionnement des établissements », considère Hélène Cons. En outre, elle verrait d’un bon œil que cet exemple en amène d’autres, y compris pour les personnes âgées vivant à domicile. Là encore, pour prévenir, plutôt que guérir.
Sophie Massieu - Photo : Thomas Gogny pour Direction[s]
« Les Ehpad, outils de cohésion sociale »
Stéphane Cadoret, directeur général adjoint de Loir-et-Cher Solidaire
« La prévention constitue l’un des axes prioritaires de notre politique. Plus d’un quart de nos habitants a plus de 60 ans. Dès lors, le programme “Rester debout” répond à plusieurs objectifs-clés : la préservation de l’autonomie, la lutte contre l’isolement, la priorité donnée à la santé des seniors, la réduction des risques de chute… Et c’est aussi une façon pour les Ehpad de ne pas se limiter à la prise en charge soignante. Ils sont alors moins perçus comme des hôpitaux pour personnes âgées et davantage comme des centres de ressources territoriaux, proposant même des activités intergénérationnelles. Cela en fait un outil de cohésion sociale important. Cette ouverture sur l’extérieur, bien plus grande que dans le passé, renforce l’attractivité pour les professionnels puisque les Ehpad deviennent des espaces de vie. »
En chiffres
Rester debout :
- 15 Ehpad concernés ;
- 11 EAPA, soit 9 ETP ;
- Budget annuel : 422 000 euros en 2024, financés à 54 % par l’ARS et à 46 % par le conseil départemental.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 241 - mai 2025