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14e Trophée - Lauréat
Des MNA se reconstruisent au sein d’une famille

29/11/2018

Strasbourg. Lauréat du Trophée Direction[s] 2018, le Réseau d’accueil solidaire permet à des mineurs non accompagnés (MNA) de vivre dans des familles bénévoles, tout en étant suivis par des professionnels. Une alliance de compétences, à l’initiative du conseil départemental, qui permet d’accélérer l’intégration des jeunes.


Vidéo-reportage - Lauréat du 14è Trophée Direction[s] : Association Foyer Notre-Dame (Strasbourg).

En claquettes et sourire aux lèvres, Mamadou semble déjà très à l’aise dans son nouveau « chez lui ». Depuis deux semaines, il vit à Strasbourg, chez Marie, Florian et Rémi, leur bébé de six mois. « J’ai été dans un foyer en Italie, il y avait beaucoup de bagarres, je ne me sentais pas bien. Je préfère la famille. Cela me rassure, on parle bien », confie le garçon de 16 ans originaire de Guinée. Avec Marie et Florian, il aime cuisiner, regarder des films ou encore jouer de la guitare : « J’ai toujours voulu apprendre à en jouer. Quand j’ai su que Marie savait en faire, j’ai demandé à mon éducatrice si je pouvais prendre des cours. Comme ça, Marie m’aide à réviser les accords… » La jeune maman, interne en médecine, et son mari, d’origine allemande, aiment « vivre avec des gens différents » : « Nous nous sommes rencontrés en Afrique : mon mari était volontaire au Botswana, moi j’effectuais un stage à l’hôpital de Dakar, confie Marie. Nous souhaitions depuis longtemps ouvrir notre famille. Nous avons d’abord pensé devenir famille d’accueil mais nous ne voulions pas arrêter de travailler. Sensibilisé à l’accueil des migrants, nous avons découvert le Réseau d’accueil solidaire sur Internet. »

Un premier accueil en petit collectif

Comme ce jeune couple, douze autres familles bas-rhinoises accueillent bénévolement à leur domicile des mineurs non accompagnés (MNA) dans le cadre de ce réseau géré par l’association Foyer Notre Dame. Le dispositif est né en juin 2017 suite à un appel à projets du conseil départemental. Il constitue un nouveau mode de prise en charge des MNA, en priorité les moins de 16 ans, confiés au département dans le cadre d’une ordonnance provisoire de placement.

Les jeunes volontaires sont d’abord orientés dans un petit collectif situé au siège de l’association, à deux pas de la cathédrale de Strasbourg. Au-dessus du service d’accompagnement des mineurs isolés (Sami), chargé de la mise à l’abri et de l’évaluation de la minorité et de l’isolement (lui aussi géré par l’association), les locaux du Réseau d’accueil solidaire comprennent six chambres, un salon, une cuisine et un bureau. Les MNA y séjournent quelques mois avant d’être accueillis dans une famille. « Nous poursuivons le travail entamé par le Sami notamment, en matière de scolarisation, de santé, d’intégration… Des cours de français langue étrangère sont aussi dispensés. Ce sont des jeunes qui ont énormément envie d’apprendre », détaille Chloé Ehrhardt, éducatrice spécialisée. Arrivée de Géorgie, Xatuna, 13 ans, a intégré le réseau il y a deux semaines : « J’attends une famille qui m’accepte. Je ne veux pas rester seule », dit-elle dans un anglais parfait. Scolarisée dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UP2A), elle espère « apprendre plus rapidement le français » en vivant dans une famille.

Dans la cuisine, l’une des éducatrices organise un atelier cup-cakes. « Qu’est-ce qui est écrit ? », « Tu sais ce que ça veut dire "faire fondre" ? », « Sais-tu faire fonctionner un micro-ondes ? »… Hannah Morin, également éducatrice spécialisée, interpelle Armando et Arjio, 14 et 15 ans, tous deux d’origine albanaise. Arjio est en famille depuis huit mois : « Je ne voulais pas aller en foyer, confie le jeune homme dans un français impeccable. Cela se passe bien. Ils m’aident beaucoup pour mes devoirs, avec eux je ne parle qu’en français. » Avec Pedro et Pietra, frère et sœur arrivés il y a moins d’une semaine d’Angola, Hannah communique en espagnol, utilise des images tout en leur apprenant quelques premiers mots en français. Le temps d’accueil collectif permet de bien connaître le jeune pour lui proposer une famille qui lui corresponde et avec il partagera des centres d’intérêts (loisirs, activités culturelles, sportives…).

Des familles soutenantes et soutenues

Le recrutement et l’évaluation des familles sont effectués conjointement par le Foyer Notre-Dame et le conseil départemental. « C’est une phase longue qui se déroule en trois temps, explique Mireille Barbier, cheffe de service. Je rencontre tout d’abord les parents avec un éducateur de l’équipe pour comprendre leurs attentes et leurs motivations. Il est très important qu’ils soient prêts à accepter nos conseils car nous allons les accompagner sur la durée. Ensuite, nous nous rendons à leur domicile pour examiner l’aspect matériel et rencontrer tous les membres de la famille. Enfin, la psychologue du service départemental des assistants familiaux les reçoit. Nous devons être vigilants : certaines familles expriment très peu de distance affective, certaines n’ont pas pu adopter, d’autres se placent dans une posture de sauveur… » Sur 17 dossiers évalués, quatre ont dû être ainsi écartés.

Une fois intégrée, les familles sont accompagnées de manière régulière par l’équipe, joignable 24 heures sur 24 et 365 jours par an. « Pour le moment, aucune d'elles n’a eu recours au numéro d’astreinte », se réjouit Agnès L’Hermitte, directrice du pôle Jeunesse. Des temps d’échanges collectifs sont aussi proposés pour aborder certaines thématiques choisies à partir des questionnements des bénévoles, comme le passage à la majorité par exemple. « Les familles présentent des profils avec lesquels nous n’avons pas l’habitude de travailler. Ce sont des personnes de catégories sociales supérieures, souvent très diplômées, avec un bagage culturel important. Elles ont du temps, des ressources et des compétences éducatives solides, constate Mireille Barbier. Au départ, nous pensions que les candidats allaient être de jeunes retraités, ce qui n’est pas la réalité aujourd’hui. »

Un dispositif hybride

Les cinq éducateurs spécialisés et la cheffe de service doivent donc adopter une posture particulière qui diffère de l’intervention classique en protection de l’enfance. « Les familles sont certes bénévoles, mais cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas qualifiées. Elles partagent avec nous des valeurs d’accueil, de solidarité et de respect. Nous apportons un soutien technique et nos compétences, mais nous sommes avant tout partenaires dans l’intérêt du jeune », indique Florence Belleville, éducatrice spécialisée. Parce qu’il est innovant et bouscule les lignes, le Réseau a suscité au démarrage quelques questionnements. « Lorsque l’appel à projets est paru, nous avons beaucoup discuté en interne pour savoir si nous y allions ou pas, le comité d’entreprise a été consulté. Personnellement, je crois à la culture hybride », indique Agnès L’Hermitte. « Je suis très fier de ce dispositif qui a essuyé quelques critiques sur le fait d’avoir recours à des familles bénévoles. Certains pensaient que cela prendrait le travail des travailleurs sociaux, se souvient Arnaud Fritsch, directeur général du Foyer Notre Dame. Mais les professionnels ne sont pas écartés : au contraire, ils apportent un accompagnement soutenu. C’est toute l’originalité de notre fonctionnement tripartite qui combine les engagements politique avec le conseil départemental, citoyen avec les familles, et associatif. Isolément, chacun a ses limites. » Travailleur social, Adrien Schneider exerçait auparavant au sein du service départemental des assistants familiaux : « Le fait que les familles soient bénévoles et non formées, contrairement à celles agréées par le schéma départemental d'accompagnement des familles (SDAF), ne change pas grand-chose. Elles portent des valeurs et un engagement qui rendent les échanges très riches. Nous sommes dans la coconstruction. »

S’il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan, l’équipe mesure déjà un grand nombre de bénéfices de cet accueil : au-delà de l’expérience humaine et des liens affectifs qui se créent, les progrès dans l’apprentissage du français et l’aide aux devoirs sont notables. « Par exemple, un jeune Afghan a été scolarisé en UP2A et a décroché son brevet des collèges huit mois après son arrivée en France ! Je suis convaincue que vivre au sein d’une famille y a largement contribué », estime Mireille Barbier. Pour Agnès L’Hermitte, l’intérêt est aussi l’intégration sociale : « Le contact avec les habitants est essentiel. Avec les familles, les jeunes vivent des moments forts, ils participent à des fêtes de quartier, vont à des matchs de foot, fêtent Noël, goûtent à la raclette… Tout cela est difficile à faire en groupe, même restreint. »

Encore des freins à lever

Pour que le dispositif fonctionne et perdure, l’équipe s’attache à surmonter quelques freins. Tout d’abord, il faut recruter des familles prêtes à s’engager sur du long terme (six mois minimum) et à temps complet (pour les personnes qui souhaitent aider plus ponctuellement, l’association propose d’autres actions comme des sorties culturelles ou sportives). Ensuite, il est nécessaire de trouver un juste équilibre au niveau des interventions pour ne pas mettre les familles en difficulté. Apporter aussi un peu de souplesse en ayant notamment des relais ponctuels (ainsi lorsque les familles partent en vacances à l’étranger, l’équipe peut envoyer les mineurs en colonie de vacances ou en accueil temporaire). Dernier obstacle, et non des moindres : faire vivre le réseau. Si la campagne de lancement a permis d’attirer un certain nombre de familles candidates (46 rien que pour la première réunion), l’élan doit se prolonger en travaillant sur la communication. « J’ai réalisé un flyer que je diffuse à travers différents canaux, indique Mireille Barbier. Il y a bien sûr les collectivités locales, mais aussi les festivals, les avant-premières, les conférences débats autour des migrants auxquels nous nous rendons régulièrement. Ce sont des démarches auxquelles nous ne sommes pas habitués. On a rarement besoin d’aller chercher le client ! »

Aurélie Vion - Photos : William Parra

« Le conseil départemental est conscient de sa responsabilité »

Barbara Cligny, directrice adjointe, mission Enfance et Famille, conseil départemental du Bas-Rhin

« En 2010, nous prenions en charge 90 MNA, 199 en 2013, 352 en 2017. Aujourd’hui, le conseil départemental accueille un total de 465 jeunes MNA. Cette accélération nous a conduit à créer en 2013 une cellule dédiée et un service d’accompagnement des mineurs isolés (Sami) chargés de la mise à l’abri et de l’évaluation de la minorité et de l’isolement. Nos dispositifs traditionnels de l’aide sociale à l'enfance (ASE) étant saturés, nous avons eu recours à des solutions type hôtel ou à des appartements partagés. Mais cela ne suffisait pas au regard des flux et des besoins très spécifiques des jeunes, notamment les moins de 16 ans. Il fallait trouver une solution acceptable tant éducativement que financièrement. Le décret de 2016 relatif à l’accueil durable et bénévole d’enfant par un tiers, sans passer par le juge, a créé une opportunité juridique dont nous avons voulu nous saisir. Le conseil départemental est conscient de sa responsabilité à l’égard des MNA. Nous sommes aussi très attachés à la culture de solidarité des Bas-Rhinois, l’Alsace ayant toujours été une terre d’accueil. Nous avons posé un certain nombre de garde-fous avec une évaluation stricte des familles, un suivi accompagné par des professionnels, une astreinte pour offrir des garanties de l’ASE car il s’agit de mineurs, donc par essence considérés par la loi comme vulnérables. » 

« Rebâtir la confiance »

Barbara Bouchet, ethnopsychologue

« Installée en libéral, j’interviens à la demande de l’équipe concernant des situations qui me sont signalées. Les traumatismes qu'ont subis ces jeunes peuvent avoir des conséquences sur le sommeil, les apprentissages, la scolarité… Mon but est d’offrir un espace de parole tiers. Je rencontre les mineurs en entretien individuel. Quand ils arrivent dans le réseau, ils trouvent un peu de stabilité et de sécurité. C’est alors que ressortent les traumatismes qu'ils avaient contenus jusqu’à présent au plan psychique. Ils ont vécu des ruptures, des deuils parfois, leur vie a pu être menacée… L’accompagnement est nécessaire pour reconstruire la confiance, les aider à mobiliser leurs ressources, à dépasser la culpabilité d’avoir laissé leur famille, à garder les liens quand ils le souhaitent… Ceux qui sont en contact avec leurs parents acceptent très vite d'aller en famille d’accueil. Ils font facilement la part des choses. C’est une expérience très constructive. »

En chiffres

  • Équipe : 5 ETP d’éducateurs spécialisés et 1 ETP de cheffe de service.
    20 jeunes accueillis actuellement, dont 13 dans des familles bénévoles (26 depuis la création du service).
    19 candidatures de familles bénévoles, 17 évaluées (4 écartées
    et 13 validées).
    • Budget : 534 000 euros de financement en dotation annuelle sur la base d’une convention financière triennale 2017-2020 avec le conseil départemental.
    • 373,50 euros par mois versés aux familles au titre des frais d’hébergement, d’eau, d’électricité et d’alimentation.

Contact

Réseau d'accueil solidaire : 07 69 98 54 25

accueilsolidaire@foyernotredame.org

Publié dans le magazine Direction[s] N° 170 - décembre 2018

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