Un grand bâtiment moderne couleur gris ardoise dans un écoquartier contemporain, dans la périphérie lilloise. L’Ehpad Saint-François-de-Sales, situé sur la commune de Lomme-Capinghem, a de l’allure. Lorsque l’on franchit ses murs, une atmosphère de douce sérénité s’en dégage, à l’image de son patio où évoluent paisiblement des résidents, et de ses grandes pièces aux murs blancs et aux tonalités vives qui se déploient sur plusieurs étages. Sorti de terre en 2013, l’établissement accueille 49 salariés et 82 pensionnaires. « Le quartier fait figure de véritable écosystème pour le soin avec la présence, par exemple, d’une école d’infirmière et d’une maison médicale, mais également d’une diversité d’acteurs et de résidents, des étudiants, un jardin partagé. Cet environnement est favorable pour nos locataires qui s’y sont parfaitement intégrés », se réjouit Amélie Hochart, l’affable directrice de l’Ehpad.
Cette jeune quadra aux cheveux bruns et aux lunettes à monture noire est entrée dans l’institution il y a tout juste dix ans, en tant que psychologue, avant de prendre la tête de la structure il y a cinq ans. Peu après son arrivée, elle a contribué à introduire la méthode Montessori [1] dans l’établissement, un modèle qui repose sur l’autonomie, la responsabilisation et la liberté de choix des employés. « À l’instar des élèves d’une classe Montessori, qui choisissent leurs tâches dans le respect des règles communes, les collaborateurs de l’Ehpad sont encouragés à prendre des initiatives et à s’approprier leurs tâches », décrypte Amélie Hochart. Devenue directrice de l’établissement, cette dernière avait établi le constat que le management « par le haut » qui prévalait alors n’était pas de nature à favoriser l’agilité et l’épanouissement professionnel – pourtant nécessaire – des équipes. « Il était crucial d’apporter davantage d’autonomie et de responsabilité aux équipes, notamment aux jeunes générations qui se défient de plus en plus des modèles managériaux verticaux et directifs. Mon arrivée ayant coïncidé avec les affres du Covid-19, il me fallait avant tout gérer l’urgence. Il m’était donc difficile de lancer des projets trop ambitieux. Dès la sortie de la pandémie, je m’y suis donc attelée », assure-t-elle.
Résoudre les situations complexes
En juin 2022, la directrice de la structure co-écrit un projet d’autonomisation avec le consultant Morgan Poulizac, fondateur du bureau d’études Objeu. Dans la foulée l’Ehpad se porte candidat à un appel à projet lancé par l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, pour favoriser l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT – lire l’encadré). « Au départ il s’agissait de permettre aux équipes de (re)trouver de l’autonomie dans la gestion des situations complexes de leur quotidien. Nous avons été retenus, puis la démarche s’est élargie et s’est muée en un projet plus global, avec la volonté, in fine, d’instaurer un management plus participatif basé sur la co-construction », souligne Amélie Hochart. Plus de deux ans et demi après l’ébauche du projet et de la candidature, l’ensemble de l’équipe de l’Ehpad Saint-François-de-Sales savoure d’avoir remporté une mention dans le cadre du Trophée Direction[s] en décembre 2024 [2]. Selon le jury, il s’agissait de récompenser « une démarche systémique de longue haleine, bien conçue, incarnée et une gestion de projet dynamique valorisante pour les équipes ».
Retour en arrière : en septembre 2023, après la validation du financement du projet par l’ARS (25 000 euros) Amélie Hochart et ses équipes présentent la démarche aux membres du comité de direction. Dans le même temps, le consultant Morgan Poulizac entame des entretiens avec un échantillon de salariés pour identifier une dizaine de situations dans lesquelles la problématique de l’autonomie s’avère centrale et déterminer les thématiques des ateliers à mettre en place. Sept mois plus tard, la direction de l’établissement lance la phase d’ateliers (dix au total) au cours d’une réunion plénière. « Ils avaient pour objectif d’analyser à la fois les situations typiques et concrètes rencontrées par les salariés et de définir, dans un second temps, les leviers favorisant leur résolution de façon autonome », retrace Amélie Hochart. Parallèlement, un appel à candidature est lancé auprès des personnels pour piloter ces ateliers. Huit salariés se portent volontaires. D’avril à juin 2024, ces « cénacles » de 45 minutes environ, réunissant des soignants et des administratifs, se déroulent au sein de l’établissement. Fin juin, au cours de la première réunion du comité de pilotage du projet ARS , quatorze « expérimentations » sont validées et planifiées. Cette feuille de route couvre un large spectre, avec, à la fois, des dimensions ultra-pratiques. Comment accueillir un résident ? Qui s’occupe du nettoyage des fauteuils, du lavage de la machine à café ou de la pesée des résidents ? Comment gérer le refus de douche de certains pensionnaires ? Mais aussi des problématiques plus complexes. Comment améliorer les régulations de proximité pour les équipes ? Comment réorganiser les transmissions entre les différents intervenants ? Ces premières expériences débutent en octobre 2024, sous la responsabilité du ou des salariés s’étant portés volontaires. « Ces derniers font un point chaque mois avec notre consultant afin de l’informer de l’avancée des projets et de lui demander des conseils si nécessaire », pointe Amélie Hochart qui se félicite de la « participation active des salariés à ces expérimentations organisationnelles » ce qui témoigne, selon elle « de leur engagement et de leur intérêt pour le projet » .
« S’investir là où l’on travaille »
Blonde à lunettes, avec de jolis tatouages sur les avant-bras, Camille Pickeu est aide-soignante dans l’établissement depuis son ouverture. « Naturellement », elle a choisi de s’impliquer dans l’une des expérimentations, celle intitulée la « Maisonnée », qui vise à faire de l’Ehpad un foyer accueillant « comme à la maison », en misant sur la cohérence et la collaboration du triangle résident/famille/soignant ; afin de construire, dit-elle, des « valeurs partagées ». « En ce sens, j’ai adressé un questionnaire aux 82 familles. J’ai reçu 20 réponses, ce qui est loin d’être négligeable. Nous allons également créer un groupe de parole », assure-t-elle. À ses côtés, dans l’une des grandes salles de réunion de l’établissement, Magalie Vanhove, également aide-soignante, s’est positionnée sur le programme « Refus de douche », un phénomène courant parmi les pensionnaires d’Ehpad. « Je me suis portée volontaire car il me semble normal de s’investir là où l’on travaille. Pour convaincre les résidents, nous avons cherché des alternatives et mis en place des plannings inversés, moins routiniers. Cela a l’air de marcher », sourit-elle. La jeune aide-soignante s’est aussi proposée pour réfléchir et fournir des solutions concrètes pour l’expérimentation « Bienvenue », avec l’une de ses collègues, Louise Devis, animatrice socioculturelle. « Il s’agit d’améliorer l’accueil des résidents. Il existe déjà un système de parrainage et nous avons pensé mettre en place un goûter de bienvenue », note cette dernière qui, par ailleurs, a pris en charge le projet « Les coulisses », dont l’objectif est de faire connaître aux salariés les métiers de l’ombre, afin de favoriser la cohésion du collectif de travail. Premier métier à avoir été mis en exergue ? La lingère. « Nous lui avons soumis une sorte de questionnaire de Proust pour mieux la connaître », pointe Louise.
Un projet-pilote pour l’association
Infirmière-coordinatrice de l’Ehpad qu’elle a rejoint il y a cinq ans, Camille Gadenne constate avec satisfaction que ces expérimentations, dont huit ont été lancées (six autres vont démarrer en ce début d’année), ont permis au personnel soignant, de se sentir à nouveau au centre du projet managérial. « Chacun peut exprimer son potentiel, valoriser son expérience et son expertise que seul on maîtrise parfaitement », vante-t-elle. Même enthousiasme quant à la pertinence du projet auprès de Bertrand Daban, le directeur général de l’association gestionnaire Centre Feron-Vrau, qui compte quatre autres Ehpad . « Il s’agit d’un projet-pilote pour notre association. Le prérequis pour que cela fonctionne repose sur la croyance forte du manager et des équipes dans la pertinence du défi à relever, ce qui est le cas ici, analyse-t-il. En quelque sorte, la direction partage le pouvoir avec les personnels, dans un esprit de responsabilité réciproque. L’un ne va pas sans l’autre. L’autonomisation est réalisée dans un cadre soigneusement défini. Ici, la direction a fait le pari de la bienveillance, dans un monde malheureusement de plus en plus marqué par la défiance. »
Si la direction de l’Ehpad n’a pas – encore – lancé d’indicateurs chiffrés quant à la mise en place des expériences, elle n’en reste pas moins attentive à la qualité de ses exécutions, via les réunions mensuelles du comité de pilotage. « Les retours des salariés impliqués sont excellents, idem pour leurs collègues, se réjouit Amélie Hochart. La communication et la collaboration au sein de l’établissement se sont améliorées, ce qui renforce la cohésion d’équipe. Il est encore trop tôt, bien sûr, pour établir un bilan. Nous sortirons progressivement des expérimentations lorsque nous aurons la conviction que les équipes se sentent véritablement autonomes sur ces situations du quotidien. Nous pourrons alors affirmer que nous avons réussi ce joli projet. »
[1] La pédagogie Montessori est une méthode d’éducation créée en 1907 par Maria Montessori
[2] Lire Direction[s] n° 236, p. 18
Éric Delon - Photo : Thomas Gogny
« Un soutien en faveur de l’innovation managériale »
Stéphanie Grisel, chargée de mission et référente QVCT, direction Offre médico-sociale, ARS Hauts-de-France
« L’ARS a choisi de financer le projet de l’Ehpad Saint-François-de-Sales en 2023, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt en faveur des projets à vocation “innovation, organisationnel et technique”. Depuis 2018, nous soutenons les Ehpad pour améliorer les conditions de vie et de prise en charge des résidents ainsi que les conditions de travail des personnels. Cet accompagnement prend plusieurs formes dont des financements, des appels à projets, des formations ou encore l’appui à des actions innovantes. La somme accordée à l’Ehpad Saint-François-de-Sales s’élève à 25 000 euros. Elle couvre notamment la rémunération du consultant qui a accompagné la structure sur ce projet. Lorsque ce dernier sera achevé, nous réaliserons un bilan et interrogerons le personnel pour apprécier dans quelle mesure ce dernier aura enregistré une amélioration de ses conditions de travail. »
En chiffres
Ehpad Saint-François-de-Sales :
- 82 lits, 14 places d’accueil de jour ;
- Équipe : 48 ETP dont 21,11 d’ASD, AMP et AES ; 8,97 d’ASH ; 6 d’infirmiers ; 3,1 pour l’animation et la vie sociale, 1 Idec, 1 médecin coordonnateur ;
- Budget annuel moyen : 4 500 000 euros.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 239 - mars 2025