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Infirmières de nuit en Ehpad
Des astreintes sous contraintes

22/08/2018

Amorcée en 2018, la généralisation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) des astreintes infirmières nocturnes est en marche. Si les bienfaits du dispositif, déjà testé en régions, font globalement consensus, certains mettent déjà en doute les limites des modalités retenues pour son déploiement.

« Ces derniers mois, nos structures ont subi le blocage du tarif hébergement, la baisse de celui alloué à la dépendance, la fin des contrats aidés… Et, comme première réponse, on nous propose des infirmières de nuit ! », s’agace Laurence Postel, présidente de la Conférence nationale des directeurs d'établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH). En promettant, fin mai, la généralisation d’ici à 2020 de l’astreinte infirmière la nuit en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la ministre Agnès Buzyn entend pourtant répondre à une problématique prégnante : celle de la sécurisation des prises en charge nocturnes en structures. Prévu par le plan gouvernemental Grand Âge, l’engagement, assis sur une enveloppe budgétaire déjà jugée modeste, devrait s’inspirer des expérimentations mises en place sur les territoires.

De nombreux recours aux urgences

« La nuit reste un moment anxiogène pour les résidents (difficultés de sommeil, douleurs majorées, angoisses…), où la gestion des problèmes de soins est plus complexe, explique Claude Pichon, chargée d’évaluation à l’agence régionale de santé (ARS) Pays de la Loire. Au mieux, seul un binôme aide-soignant (AS)/agent de service hospitalier (ASH) est là pour faire face aux incidents. » Résultat, constate la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ? « En l’absence de personnel infirmier présent ou d’astreinte, les établissements ont recours à la permanence des soins ambulatoires, en principe assurée par des médecins de garde et régulée par le 15 dans la plupart des départements. Ou, à défaut, aux services hospitaliers des urgences. » Une mobilisation parfois inutile du système de soins, aux conséquences souvent néfastes pour l’autonomie des résidents. Pire : « Ce manque de présence effective la nuit pose des questions, notamment juridiques, pointe Malika Belarbi de la fédération CGT action sociale. La responsabilité des AS peut être mise en cause pour défaut de soins, faute d’avoir respecté une prescription médicale. Or, ils peuvent certes administrer des médicaments, mais uniquement sous la responsabilité des infirmiers… »

À la faveur du Plan national pour le développement des soins palliatifs (2015-2018) et du programme Personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa), les acteurs se sont donc placés en ordre de bataille. Modalité organisationnelle la plus communément retenue ? La mutualisation d’une seule et même infirmière diplômée d’État (IDE) d’astreinte, prête à intervenir la nuit si besoin au sein de structures partenaires géographiquement proches.

Indispensable travail préparatoire

Exemple aux Hôpitaux du bassin de Thau, à Sète [1] : là-bas, la mise à disposition des professionnelles du centre hospitalier a été pensée dès 2012 au bénéfice de ses quatre Ehpad comme de ceux environnants [2]. « Choisies pour leur expérience gériatrique, les IDE assurent sept nuits d’astreinte par mois à leur domicile, explique Christophe Montel, cadre supérieur du pôle gériatrique. Au préalable, elles ont reçu une lettre de cadrage pour savoir quand intervenir, et les AS savent dans quels cas les mobiliser, à savoir dans le cadre d’urgences dites "relatives" (vomissements, douleurs thoraciques non typiques, angoisses…). Elles ne sont là que pour éviter des hospitalisations inutiles, et pas pour se substituer au 15. »

Malgré le manque d'évaluations quantitatives disponibles, les bienfaits, humains en particulier, sont reconnus partout. Comme en Pays de la Loire, où les trois vagues successives d’appels à candidatures lancés depuis 2013 ont permis d’assurer la « couverture » de 76 structures (soit 12 % de l’offre régionale en places médicalisés). « En trois ans, 72 % des situations ont pu être gérées par l’IDE d’astreinte seule, réduisant d’autant le recours au système de soins, chiffre Claude Pichon. Le pourcentage d’appels à la régulation est passé de 51 à 31 % en 2016 et le taux d’hospitalisation de 28 à 16 %. » Même tendance en Ile-de-France où ces bons résultats se sont doublés d’un véritable « gain éthique », se félicite Marc Bourquin, directeur de l’autonomie à l’ARS : « Les actes de soins palliatifs ont pu être triplés, le nombre de décès dans les structures expérimentatrices a été moindre qu’ailleurs – et parmi eux, la plupart se sont produits en Ehpad et non à l’hôpital… Autant de paramètres importants à noter, car la capacité d’un établissement à assurer la fin de vie dépend beaucoup de la présence en continue d’une expertise infirmière. »

« Une dose homéopathique »

Avec la généralisation promise, fini pour les agences le « bricolage » budgétaire pour soutenir les initiatives locales [3]. Pour les sécuriser, l’État a chiffré son engagement : 36 millions d’euros seront débloqués d’ici à 2020. Ce, en comptant les dix millions d’euros déjà prévus par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2018 afin d’aboutir à la couverture d’un tiers des structures cette année, tablent les pouvoirs publics. « La ministre étant médecin hématologue, on aurait pu espérer qu’elle choisisse d’administrer un remède de cheval. Or, elle a opté pour une dose homéopathique, ironise Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat infirmier SNPI CFE-CGC. Dix millions d’euros équivalent seulement au salaire “chargé” annuel de 280 IDE… Rapporté aux quelque 7500 Ehpad existants, c’est ridicule ! D’autant que, pour l’assurance maladie, la mesure s’autoéquilibre financièrement : les rémunérations des infirmières étant compensées par les économies réalisées sur le système de santé. » À ce tarif-là, impossible d’envisager le recrutement d’une IDE de nuit par Ehpad. « De toute façon, les retours de nos adhérents montrent qu’une présence toute la nuit est inutile, balaie Julien Moreau, ex-directeur du social et du médico-social à la Fédération des établissements non lucratifs (Fehap). Vu la somme débloquée, il ne faut pas non plus s’attendre à une solution en "présentielle tournante" sur un même territoire, mais davantage de type "plateforme téléphonique", qui aura surtout le mérite de rassurer les équipes. »

En attendant, les établissements devront faire face à un écueil : la difficulté à trouver des volontaires, compte tenu des réelles contraintes de l’astreinte. « Nous connaissons déjà des difficultés pour recruter des infirmières, confirme Laurence Postel. Et faire appel aux personnels en interne, malgré le gain financier à la clé pour eux, peut désorganiser les plannings. » Recours à des professionnels exerçant en libéral, à l’hopital, en services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), voire à la retraite… Les Ehpad expérimentateurs ont dû balayer large pour pallier la carence. La preuve : certains d’entre eux ont dû « reporter les équivalents temps plein (ETP) de jour pour assurer la présence de nuit, ce qui pose la question du report de soins », relève même une enquête de la DGCS.

La nuit, au détriment du jour ?

De quoi relancer sur le terrain la crainte de voir cette généralisation se faire au détriment de la présence infirmière diurne. Et donc de la qualité de la prise en charge globale dans des établissements secoués par la crise depuis des mois? « Et ce ne sont pas les 360 millions d’euros promis pour la médicalisation dans le cadre de la feuille de route ministérielle  qui répondront à la problématique, prévient Malika Belarbi. Cette somme était déjà prévue par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), seul le calendrier de déblocage des crédits a été accéléré ! »« Même si la présence d’IDE de nuit n’a pas pour ambition de régler les tensions liées au manque de personnels, elle peut y contribuer car les liens existants entre l’organisation du travail et les difficultés rencontrées par les équipes sont forts, souligne Marc Bourquin. Or, pour celles exerçant de nuit, ce dispositif constitue un indéniable renfort. »

[1] Lire Direction[s] n° 113 p 16.

[2] Depuis 2017, seuls les quatre Ehpad du centre hospitalier sont concernés.

[3] Via le fonds d’intervention régionale (FIR), des financements complémentaires, des crédits non reconductibles (CNR)…

Gladys Lepasteur

Des dispositifs très hétérogènes 

En 2017, 121 dispositifs expérimentaux ont été recensés dans 12 ARS. De quoi assurer la couverture de 337 établissements (sur les 7258 existants), relevant en majorité des secteurs public (54 %) et non lucratif (30 %). En termes d’organisation, la grande majorité des régions ont opté pour la mutualisation d’un seul et même professionnel entre plusieurs Ehpad, liés par conventions de partenariat. L’un d’eux, dit « porteur », assure le plus souvent la gestion des ressources humaines et la paie, après refacturation aux autres structures dites « adhérentes ». En moyenne, 4,7 ETP ont été recrutés par dispositif pour couvrir les  365 nuits annuelles d’exercice et faire face à l’absentéisme, aux journées de formation et aux temps de coordination.

Source : annexe 12 de l’instruction n° DGCS/SD5C/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2018/121 du 15 mai 2018

Repères

  • 18 000 : c’est le nombre d’hospitalisations annuelles de résidents en fin de vie susceptibles d’être évitées par la présence d’un infirmier la nuit dans chaque Ehpad.
  • « Un personnel extérieur ne peut réaliser les soins attendus que sur prescription médicale : quelle sécurité et quel apport à la prévention des hospitalisations sont réellement assurés dans ces conditions ? », interroge le syndicat de directeurs Syncass-CFDT.
  • 17,5 millions d'euros : c’est le montant investi par les ARS depuis 2014 dans le dispositif.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 167 - septembre 2018






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