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Regards croisés
« Comment concrétiser l’ambition de l’école inclusive ? »

14/12/2022

Alors que se déroulent les travaux pour un acte II de l’école inclusive, Béatrice Laurent, secrétaire nationale de la fédération Unsa Éducation, et Sonia Ahehehinnou, vice-présidente de l’union des associations Unapei, confrontent leurs points de vue. Face à la montée du rejet de l’idée d’inclusion, elles plaident pour renforcer le partenariat Éducation nationale/médico-social. En ne misant pas tout sur les seules AESH.

La rentrée scolaire a été compliquée malgré l’allocation de nouveaux moyens. Comment l’expliquer ?

Béatrice Laurent. Depuis la loi de 2005, nous sommes toujours sur un fil entre l’idéal d’inclusion et sa difficile mise en œuvre. La hausse constante du nombre d’élèves à besoins particuliers a bousculé le système éducatif, passant du modèle d’intégration à celui de l’inclusion sans prendre le temps d’un appui et d’une formation sérieuse des personnels. De plus, à la rentrée, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), fonction précaire, n’étaient pas assez nombreux. Nous constatons aussi un glissement des dispositifs. 19 000 enfants sont en attente d’une place en structure spécialisée. Alors qu’ils relèveraient d’un institut médico-éducatif (IME), des élèves se retrouvent dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) Pro, dont les effectifs sont bien supérieurs à la norme. Il faut donc revoir le partenariat entre l’Éducation nationale et le médico-social avec une hausse des places afin d’éviter des souffrances pour tout le monde.

Sonia Ahehehinnou. Je partage ce constat. Si l’école inclusive est l’objectif, il faut que tous les lieux, y compris ceux nécessitant des équipes pluridisciplinaires, soient dotés de moyens suffisants pour permettre des apprentissages adaptés des besoins et des capacités. Aujourd’hui, on focalise le débat sur les AESH qui ne sont pas l’alpha et l’oméga de la scolarisation. Et on occulte les élèves nécessitant un accompagnement renforcé. C’est l’enjeu de l’accessibilité de l’environnement pédagogique (formation, bâti…). On met en difficulté tous les professionnels, y compris les collectivités qui ne savent plus si c’est à elles de prendre en charge le temps périscolaire. Le système est vérolé par une vision parcellaire. Les Ulis pour troubles du spectre autistique, avec un public spécifique et des enseignants formés, se retrouvent aussi en difficulté. Il s’agit bien d’un problème d’organisation, de coordination et d’évaluation.

L’objectif de l’amélioration de la collaboration entre les secteurs a été maintes fois réaffirmé. Que manque-t-il pour y parvenir ?

S. A. Des solutions existent comme les équipes mobiles d’appui à la scolarité (Emas), les dispositifs d’autorégulation ou les enseignants ressources. Mais est-ce que les professionnels ont les moyens de les solliciter ou les connaissent-ils ? Les missions des uns et des autres débordent et ne sont pas claires. Les AESH portent aujourd’hui une responsabilité pédagogique qui n’est pas la leur. La collaboration n’est pas fluide car elle répond pour l’instant à une situation de crise et d’urgence. Il faut créer de la porosité entre les deux secteurs avec un vrai collectif de travail pour bâtir un parcours scolaire individualisé. Les équipes mobiles devraient être ce lieu et non celui d’un diagnostic vertical !

B. L. Elles servent de pansements, intervenant parfois sans voir l’enfant et sa vie en classe. Les enseignants ressources sont isolés et s’épuisent. Or, l’individualisation et la personnalisation sont difficiles pour le milieu scolaire. Nous payons également les pots cassés de la crise de recrutement dans la santé scolaire avec 700 médecins pour 13 millions d’élèves ! Aussi, nous sommes favorables aux plateaux techniques dans les écoles. Nous devons travailler collectivement pour que chacun prenne sa part. Lors du précédent quinquennat, l’Éducation nationale a perdu le pilotage et devait à tout prix s’adapter. Nous devons participer au diagnostic et voir comment le système s’est enflammé sur cette demande exponentielle d’AESH. Ce, alors qu’on observe une montée du rejet de l’idée d’inclusion qui nous attriste et nous alerte.

Quelle doit être la priorité ?

S. A. Relâcher la tension sur le milieu spécialisé pour ne pas laisser des élèves entre deux eaux. Les listes d’attente sont embolisées par des adultes maintenus en établissements faute de suivi adapté. L’amendement Creton était une très bonne idée au départ, mais c’est comme une autorisation de découvert : c’est bien sur le moment, puis cela vous met dans des difficultés impossibles.

B. L. Reconstituer des équipes d’appui aux enseignants dans le cadre des réseaux Rased, démantelés sous l’ère Sarkozy. L’enseignant en primaire a besoin d’une aide pour distinguer les situations de handicap, les difficultés d’apprentissage et les carences éducatives ou affectives. Et si nous avions une baguette magique, il faudrait aussi créer ces réseaux dans le second degré et ainsi avoir déjà un collectif autour de l’enfant.

Propos recueillis par Laura Taillandier

Publié dans le magazine Direction[s] N° 215 - janvier 2023






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