Directions.fr : Le site des directeurs et cadres du secteur social et médico social

Tribune
« Pour une représentation démocratique associative »

02/03/2022

À quoi servent les administrateurs des associations gestionnaires du secteur social et médico-social ? C’est la question que pose Jean-Luc Grolleau, qui assure aujourd’hui cette fonction après avoir été directeur de structures. Il plaide pour une vitalisation et un empowerment de la gouvernance afin que la société civile soit mieux représentée, dans toute sa diversité.

C'est entre 1945 et 1975 que naissent de multiples associations, tant au niveau national que local, avec ou pour les personnes concernées (les plus pauvres, ceux porteurs de handicap, en perte d’autonomie…) et leurs familles. Poussées par cette effervescence créatrice, les lois de 1975 vont structurer les initiatives associatives permettant le déploiement des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) par des militants fondateurs. S'organisent également alors les métiers, les formations et les diplômes correspondant aux besoins des structures. Comme le montre Jean-Marie Miramon [1], les cadres le plus souvent issus du secteur gravissent alors « step by step » les marches vers la fonction de direction : le moniteur éducateur devenant par exemple éducateur spécialisé, puis chef de service éducatif et enfin directeur, le terreau de l’éducation populaire et de la psychopédagogie médico-sociale irradiant le champ et ces fonctions. Dans un phénomène dit de ciseaux, le vieillissement inexorable des administrateurs fondateurs, qui auraient par ailleurs du mal à accueillir de nouveaux citoyens engagés, est allé de pair avec la structuration et la montée en puissance du certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale (Cafdes), en même temps que l’origine et le parcours de ces (futurs) cadres se diversifient.

Des binômes uniques

Vingt ans de pratique d'accompagnement des associations et des directions dans un secteur connexe (les centres sociaux) me permettent d’observer une évolution des pratiques des dirigeants comme des directions. En « collant aux textes », il est possible de cadrer ce qui relève de la présidence et ce qui relève des directions (ordre du jour des instances, tâches données aux collaborateurs, veille réglementaire, projet stratégique de développement…). Cependant, on remarque que chaque binôme président/directeur ou président/directeur général fonctionne avec un mode opératoire qu’il lui est propre. Cette singularité repose sur les personnalités des uns et des autres, sur leur rapport au pouvoir, leurs compétences, leurs croyances… Traversés par ces différents modèles de répartition des rôles, le binôme est toujours considéré comme la paire gagnante, un duo structurant pour la gestion de l’association et de ses établissements et services.

Des directeurs plus puissants

Aujourd’hui, nous assistons à une montée en puissance de la fonction de direction. Pour étayer ce constat, il suffit de se référer à quelques éléments légaux et factuels. Le document unique de délégation (DUD) permet de transférer notamment la responsabilité pénale, la représentation de l’association à la présidence du comité social et économique (CSE) ainsi qu’auprès des autorités de contrôle et de tarification, la signature des contrats de travail, la représentation de l'association dans la juridiction des conflits du travail. De son côté, le projet d’établissement est parfois écrit en l’absence même de projet associatif ! Sans oublier les autorités de tarification et de financement qui ne s’adressent pas systématiquement à la personne morale que sont l’association gestionnaire et son président, mais à la direction générale.

Face à cette situation, plusieurs constats s’offrent à nous si l’on considère que le

modèle associatif est « le » système juridique et administratif pertinent pour la

gestion du champ dans notre pays (ce qui peut aussi être questionné…). Dans un moment de l’histoire du secteur que François Noble qualifie de « retour de la gouvernance », et sur la base de ce postulat, une série de questions et de réflexions se posent.  

  • Pourquoi les administrateurs fondateurs rencontrent-ils des difficultés pour transférer, transmettre leurs engagements, leurs militances, leur détermination et leurs compétences à leurs nouveaux cadres ?
  • Pourquoi, au nom de l’efficacité, les autorités comme les équipes de direction fonctionnent-elles souvent en autonomie de leurs propres élus en arguant de la technicité du domaine d’intervention ?
  • Pourquoi les directions sont-elles contraintes, dans de nombreux cas, de se substituer aux administrateurs pour l’organisation même des instances de gouvernance ?
  • Existe-t-il une réelle dynamique de formation et d’information des administrateurs (connaissance de l’offre, séminaires, conférences thématiques, groupe de lecture…) ?
  • Existe-t-il au sein de l’établissement, souvent lieu du siège de l’association, un espace associatif repéré où les administrateurs peuvent s’informer et se réunir ?
  • Les instances sont-elles pédagogiquement et stratégiquement des lieux vivants, attractifs, permettant de se ressourcer autour du sens du projet et de coconstruire en permanence l'action ?
  • Ne convient-il pas de réinjecter une posture politique dans les associations afin que les administrateurs tiennent leur rôle et puissent ainsi assurer leurs fonctions ?
  • Ces administrateurs sont-ils formés et familiarisés à la communication politique (relations médias, outils digitaux, lobbying) ? Les réponses passent en grande partie par l’accueil d’administrateurs compétents et formés. Francis Batifoulier plaide pour une compétence spécifique utile au fonctionnement de l’association : un comptable, un juriste, un architecte, etc. Si la démarche est pertinente du point de vue des apports, elle est à enrichir au niveau de la diversité. 

Transférer les pratiques de participation des usagers

Le temps est venu d’envisager une véritable révolution démocratique associative en accueillant (et non pas en recrutant) des membres variés, tant du point de vue des genres, des âges, des métiers, des origines… Nous pourrions transférer au secteur les pratiques de participation des usagers (empowerment, encapacitation) en nous inspirant de mouvements comme ATD Quart-Monde ou bien des centres sociaux. Ce qui permettrait de renforcer leur présence dans les instances. Le monde associatif serait administré ainsi par les membres de notre société dans toute leur diversité.

Pour cela, il s’agit de rendre désirable et porteuse de sens l’adhésion à une telle association. L’engagement associatif d’aujourd’hui ne se décline pas uniquement dans des projets éphémères, pour un temps court et avec pour seule perspective des résultats immédiatement tangibles. N’opposons pas le militant des Restos du cœur au jeune engagé pour la lutte contre le réchauffement climatique. Il y a une place pour chacun et les associations du secteur ne sont pas les parents pauvres de l’engagement associatif. Elles manquent plutôt de visibilité, et souffrent de l’entre-soi, véritable frein à leur renouvellement.

Une association forte, un atout pour les directeurs

Pierre Petit, directeur de la Fédération des aveugles et amblyopes de France-Languedoc Roussillon, l’affirme : « Être directeur d’une association dont la gouvernance est assurée par des personnes avisées, en capacité de faire des choix, de fixer des orientations politiques, de se positionner vis-à-vis des décisions prises par l’équipe de direction, dans le respect des délégations données est un véritable atout. » Soit la possibilité de sortir la tête du guidon pour suivre le cap fixé par le projet associatif non plus en solitaire, mais en s’appuyant sur l’intelligence collective.

Avancer vers cet idéal implique que la direction soit partie prenante en :

  • informant ses membres (partage d’articles de revues spécialisées, transmission de données sur l’évolution et les enjeux du secteur…) ;
  • formant sa gouvernance (promouvoir la participation à la formation des administrateurs sur la fonction employeur, mais aussi les thématiques métiers, la relation aux médias, le lobbying politique…) ;
  • innovant dans l’animation et la vie des instances et en luttant contre les « chambres
  • d’enregistrement » vectrices de désintérêt et de désengagement ;
  • structurant une communication intra-associative au-delà de la relation exclusive à la présidence.

En un mot, c’est une plaidoirie pour le « retour de la gouvernance ».

[1] Le métier de directeur. Techniques et fictions, sous la dir. Jean-Marie Miramon, Presses de l’EHESP, 2017.

Carte d’identité

Nom. Jean-Luc Grolleau

Formation. CAP mécanique , diplôme d'État d'éducateur spécialisé, DESS de Gestion de l’entreprise sociale, DEA de Droit public.

Parcours. Directeur de foyer de jeunes travailleurs ; formateur en institut régional du travail social (IRTS), directeur régional de la Fédération des centres sociaux (FCSF) en Languedoc Roussillon ; lobbyiste pour la FCSF auprès du Sénat et de l’Assemblée nationale dans le cadre de la préparation annuelle du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).

Fonctions actuelles. Administrateur de maison d’enfants à caractère social (Mecs), consultant auprès d’associations du secteur (projets associatifs, vie démocratique, binôme président directeur…)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 206 - mars 2022






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