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Réforme des retraites
De plein fouet

22/02/2023

Percutés par le projet de réforme des retraites, dont l’examen se poursuivait au Parlement mi-février, les professionnels du social et médico-social se sont mobilisés eux aussi. Pas question d’un quelconque recul de l’âge légal dans ce secteur déjà si malmené, préviennent leurs syndicats. De leur côté, les employeurs militent pour améliorer la prise en compte de la pénibilité de ces métiers.

C’est la goutte d’eau pour les professionnels du champ social et médico-social qui manifestaient, ce mardi 7 février, contre une réforme des retraites qui amplifierait les inégalités du monde du travail, en particulier dans leur secteur où la pénibilité n'est pas prise en compte.

« Ce secteur est déjà en train de mourir à petit feu, et maintenant ça ! Ils ne se rendent pas compte : comment une aide-soignante ou un éducateur de rue pourrait continuer à travailler dignement à 64 ans ? » À l’image de celle de Sylvain, éducateur en institut médico-éducatif (IME), la colère était palpable parmi les professionnels du secteur social et médico-social présents dans les cortèges mobilisés contre la réforme des retraites débattue au Parlement depuis début février [1]. Un chiffon rouge pour les syndicats qui y voient un énième coup dur porté au secteur qui, en la matière, fait figure de cas d’école, tant ses professionnels pourraient compter parmi les plus douloureusement impactés par le recul de l’âge légal. Difficile de savoir, mi-février, quel sera le sort fait à la réforme, mais quelle que soit l’issue du bras de fer entamé au Parlement et dans la rue, une seule certitude : le 26 mars, l’exécutif sera autorisé par la Constitution à entériner la reforme par ordonnance, faute d’adoption au Parlement.

Quelle mobilisation ?

Le 19 janvier, première journée de grève interprofessionnelle, certaines structures ont dû faire face. Dans le public, où « les remontées de terrain montrent que les agents, en particulier ceux des établissements, étaient assez mobilisés », relaie l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas), mais aussi dans le privé – comme à l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) 44, où l'on s’est très vite organisé pour faire face au débrayage des quelque 20 % des personnels. « Doit-il y avoir un préavis ? Avons-nous une obligation de service minimum ?… À toutes ces questions posées par les salariés et les cadres, nous avons eu à ré-informer sur les fondamentaux du droit de grève, explique le directeur général Erwann Delepine. Nous avons aussi pris le temps de réfléchir avec les délégués syndicaux sur la question de l’anticipation, tout en échangeant avec les conseils de vie sociale sur les inquiétudes. L’idée étant de garantir le bon fonctionnement sans entraver les droits des salariés qui sont, comme toujours, dans un dilemme permanent : se mobiliser sans pénaliser les personnes accompagnées au quotidien. » Sans compter l’incontournable argument financier. « Les collègues se mobilisent peu, car faire la grève coûte cher et elles craignent les mesures de rétorsion, reconnaît Malika Belarbi, aide-soignante en Ehpad public et candidate à la commission exécutive confédérale de la CGT. Pourtant, les personnels sont à bout. »

La goutte d’eau

Devoir travailler deux ans supplémentaires ? Pour beaucoup, c’est la goutte d’eau, a-t-on pu entendre dans les cortèges début février où, signe des temps, de nombreux salariés du secteur manifestaient pour la première fois, rapportent les militants syndicaux du secteur. Manque de reconnaissance, conditions de travail difficiles, salaires en berne, inflation galopante… Dans les structures, où personne n’a oublié les applaudissements du printemps 2020 et le « peu de considération depuis », les colères s’agrègent. « Nous sommes un secteur où, depuis le 1er janvier, les personnels de différentes branches se trouvent sous le Smic et où les niveaux d’augmentation de salaires sont faibles, résume le secrétaire général de la Fnas-FO, Pascal Corbex. N’oublions pas non plus l’usure professionnelle énorme, en lien avec la dégradation des prises en charge en protection de l’enfance, dans le handicap ou encore dans l’aide à domicile. Résultat ? Ces conditions de travail font fuir les personnels en poste et ceux qui restent sont à bout ! » « Et on n’a surtout pas envie que cette colère se retourne contre nous », murmure en off un dirigeant qui, comme les autres, craint de faire les frais d’une réforme à laquelle lui-même n’adhère pas. La preuve ? Le 19 janvier, un quart des directeurs répondant au sondage de Direction[s] s’apprêtaient eux aussi à battre le pavé.

Des professionnels « poly-exposés »

Pour ses détracteurs, pas de doute : la réforme va amplifier les inégalités du monde du travail. À l’encontre des femmes aux salaires bas et aux carrières souvent hachées, de ceux ayant débuté tôt ou encore des professionnels aux métiers pénibles. Des caractéristiques que partage le secteur, féminisé à 80 %, qui compte 25 % de temps partiels et 13 % de CDD (contre respectivement 18 % et 7 % en France), recense à lui seul l'opérateur de compétences (Opco) Santé [2]. Sans compter un taux d’accident du travail-maladies professionnelles (AT-MP) récemment jugé « hors norme » dans le champ de l’autonomie par la Cour des comptes [3]. De quoi faire craindre aux gestionnaires, à l’image de ceux de la Coordination des employeurs territoriaux, la facture induite par le maintien en poste de personnels usés en termes de hausse de l’absentéisme, « dont il faudra prendre en compte le coût et l’impact sur la qualité du service ». « Malgré le développement des adaptions (lève-personnes, rails…), les corps des personnels de proximité sont mis à mal par la répétition de manutention de personnes dépendantes, reconnaît Erwann Delepine. On le voit déjà dans notre maison d’accueil spécialisée où la pyramide des âges s’effondre à partir de 55 ans, âge auquel nos professionnelles sont concernées par les troubles musculo-squelettiques. Elles sont nombreuses à devoir diminuer leur temps de travail dans le cadre d’une invalidité partielle ou à quitter leur emploi pour inaptitude. Sans garantie d’accompagnement de fin de carrière, rajouter deux années supplémentaires ne fait pas sens. »

« On nous a appris que nous étions des métiers essentiels, rappelle Marie-Reine Tillon, présidente de l’Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). On ne peut répéter que les besoins en intervention à domicile vont augmenter, compte tenu du virage ambulatoire et de la démographie, sans accepter d’intégrer cette donnée dans le calcul de la retraite. » En clair ? La situation spécifique des professionnels du secteur de l’autonomie, en établissement comme à domicile, particulièrement exposés à la pénibilité et à l’usure, y compris psychologique, et aux difficultés de maintien dans l’emploi pour les seniors doit être prise en compte, a résumé, fin janvier, le conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans son avis défavorable au projet.

Un dispositif sur-mesure ?

Message reçu, assure-t-on en haut lieu. « Le champ est un enjeu prioritaire pour le gouvernement : il est pleinement concerné par des mesures visant à mieux prendre en compte l’usure professionnelle associée à certains métiers ou postes de travail, vante l’entourage du ministre des Solidarités. Le projet de réforme prévoit des moyens importants pour changer d’échelle dans les politiques de prévention et de réduction des risques, dont bénéficiera en priorité le secteur médico-social. » En premier lieu ? Le futur fonds visant à financer des actions et des dispositifs d’aménagement de fin de carrière pour les agents exposés des établissements sanitaires et médico-sociaux publics (100 millions d’euros annuels). « Aujourd’hui, une aide-soignante sur quatre est en arrêt maladie quatre ans avant son départ en retraite, rappelle le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Arnaud Robinet. Ce dispositif doit donc être suffisamment dimensionné pour permettre un maintien dans l'emploi tout au long de la carrière. » « Il faut aussi que nous puissions en travailler les critères d’allocation, qu’on voit comment accompagner nos personnels vers des évolutions de métiers, voire envisager si des transferts sont possibles au bénéfice de ceux qui n’auront pas une carrière complète demain », complète Éric Signarbieux, délégué général de l’Unccas, en attendant les conclusions définitives au printemps de la mission chargée d’en définir les modalités. Reste que pour la députée Renaissance Stéphanie Rist, rapporteure du projet de loi, pas de doute : « Avec cette réforme, j’ai bon espoir que ces métiers difficiles et que ceux qui vont les commencer ne partiront plus à la retraite dans le même état qu’aujourd’hui », a-t-elle fait valoir devant l’Association des journalistes sociaux (Ajis) début février.

Accompagner les seniors

Quid des salariés du privé ? Ils pourront notamment compter sur le prochain fonds d’investissement dans la prévention (1 milliard d’euros de 2023 à 2027). « Cela fait écho à nos demandes pour réduire la pénibilité, en laissant les branches négocier pour déterminer les métiers les plus exposés aux facteurs de risques reconnus, se félicite Hugues Vidor, le président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes). Mais cela ne sera pas suffisant : il faut aller plus loin en améliorant encore le compte personnel de prévention (C2P) [4] ou en créant un congé de reconversion pour certains métiers, dont la liste serait là aussi à négocier par branches. »

Également sur la table mi-février : le droit à un suivi médical individuel renforcé dès 45 ans pour les métiers les plus à risque. Trop tard, objecte Rozenn Guéguen, secrétaire nationale de la CFDT Santé Sociaux : « On ne peut attendre les fins de carrière pour compenser ! Il y aura toujours des nuits à assurer en Ehpad et des personnes âgées à porter. L’enjeu est donc de réfléchir globalement à une approche concernant toute la carrière, basée sur l’amélioration de la qualité de vie au travail. » « Les structures doivent être accompagnées pour réfléchir au travail des seniors, abonde Marie-Reine Tillon. Avec, par exemple, une adaptation des postes ou l’organisation des parcours professionnels. Profiter de l’évolution vers des services autonomie à domicile, incluant notamment de l’animation et du lien social, peut permettre de proposer des évolutions vers de la prévention ou du tutorat de jeunes. » « En fait, avec cette réforme, on a fait les choses à l’envers, analyse Hugues Vidor. Il aurait d’abord fallu développer les mesures en faveur de l’emploi des plus âgés pour aboutir à un changement de paradigme dans la culture des entreprises. Faute de quoi, on risque de générer encore de la précarité, au moment où la réforme de l’Assurance chômage qui réduit les droits est entrée en vigueur. »

Un enjeu systémique

En attendant, pour les employeurs toujours confrontés à la pénurie de professionnels, l’urgence est de ne surtout pas décourager les bonnes (et nouvelles) volontés. « Tout est lié, assure Rozenn Guéguen. La question d’un ratio minimal dans les établissements, fréquemment évoquée, constitue la base de bonnes conditions de travail. Or, moins il y a d’effectifs et plus celles-ci sont difficiles. » « Le sentiment de non-prise en compte des problématiques spécifiques de ces métiers est lié à la pénurie que nous rencontrons, confirme Éric Signarbieux. Nous avons besoin d’une vraie réflexion sur la valorisation de ces métiers pour améliorer l’information et l’orientation, car l’enjeu est aussi de donner envie aux jeunes. » Eléments de réponse en mars avec les annonces en faveur des métiers du care, promises par le gouvernement ?

[1] Le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale devait être examiné jusqu’au 17 février à l’Assemblée.

[2] Baromètre emploi-formation 2022

[3] Rapport Sécurité sociale 2022, Cour des comptes, octobre 2022

[14] Le projet initial prévoit notamment un abaissement de certains seuils pour le travail de nuit ou en équipes successives alternantes.

Gladys Lepasteur

« Un secteur particulièrement touché »

Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre

« Les professionnels du social et du médico-social, celles et ceux-là même qui ont été applaudi pendant la crise sanitaire, pourraient être particulièrement touchées par la réforme. Car ces métiers sont très féminisés, donc peu valorisés et aux salaires faibles : l’étude d’impact de la réforme a bien montré que les femmes devront cotiser davantage pour compléter leurs carrières. On y compte aussi beaucoup de temps partiels, avec des conséquences sur la durée de cotisation et le montant des pensions. Par ailleurs, même si elles ont souvent commencé à travailler tôt, elles ne relèveront pas pour autant du dispositif "carrières longues", véritable parcours du combattant moins souvent attribué aux femmes. Enfin, la pénibilité est mal prise en compte : rappelons que les facteurs du C2P liés à la manutention de charges et aux postures pénibles, fréquentes dans ce secteur, ont été supprimés ! Seuls 3 % des salariés y ont eu accès – des hommes dans les trois quarts des cas. De même, les contraintes "émotionnelles" devraient être considérées : être face à des personnes en souffrance est aussi une forme de pénibilité non reconnue. »

Repères

-01/09/2023 : c’est la date d’entrée en vigueur de la réforme voulue par le gouvernement ;

- « Le recul de l’âge de la retraite aura aussi un impact sur la qualité de l’accompagnement […] : il pénalisera les professionnels, alors que leur état de santé se dégrade déjà souvent bien avant l'âge de la retraite », explique le Collectif handicaps ;

- 1,65 milliard d’euros : c’est, à l’horizon 2026, le coût global des mesures destinées à améliorer les conditions de départs anticipés, chiffre le ministère des Solidarités.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 217 - mars 2023

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C’est la goutte d’eau pour les professionnels du champ social et médico-social qui manifestaient, ce mardi 7 février, contre une réforme des retraites qui amplifierait les inégalités du monde du travail, en particulier dans leur secteur où la pénibilité n'est pas prise en compte.






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