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Insertion par l’activité économique
Un modèle sacrifié ?

19/03/2025

La baisse annoncée de son budget 2025 alarme le secteur de l’insertion par l’activité économique, inquiet pour la pérennité de ses structures. Face aux sombres perspectives du marché de l’emploi, les fédérations s’interrogent sur les intentions de l’État.

La baisse annoncée des crédits amputera le budget formation de l’insertion par l’activité économique de 30 millions d’euros.

Moins 80 millions d’euros. En février, la ministre du Travail et de l’Emploi a confirmé aux fédérations de l’insertion par l’activité économique (IAE) la baisse du budget 2025 alloué au secteur. Un nouveau coup dur pour les 4600 structures du champ, déjà fragilisées l’an dernier par des coupes de crédits. Un temps soutenu par un investissement massif, décidé au terme du Pacte d'ambition, le secteur, qui accompagne des demandeurs d’emploi confrontés à des difficultés sociales et professionnelles particulières, s’interroge aujourd’hui : l’État considère-t-il toujours l’IAE comme une solution structurante ? Comment comprendre les arbitrages gouvernementaux alors que le chômage repart à la hausse « et que la logique est le plein-emploi » ? résume Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité. D’autant que, dans le cadre de la réforme de France Travail, les structures de l’IAE pourraient bien être appelées à jouer un rôle accru auprès des allocataires du revenu de solidarité active… Alors, comment accompagner plus de monde avec moins ?

« Désinvestissement social »

Dans le détail, la baisse annoncée amputera d’abord de 50 millions d’euros le budget des aides aux postes (1,5 milliard en 2024). Soit, selon les projections du Collectif IAE, 11 000 personnes accompagnées en moins sur les quelque 300 000 suivies chaque année. Sans compter une coupe de 30 millions d’euros pour la formation via la réduction du plan d’investissement dans les compétences (PIC) IAE. « 30 % en moins, c’est énorme ! » alerte Adrien Rivière, chargé de plaidoyer du réseau Coorace. « Ne cassons pas ce qui fonctionne, prévient David Horiot, président de Chantier école. La montée en compétences des personnes accompagnées produit de véritables effets positifs. »

Ces restrictions accentuent encore la « fragilité extrême » des structures d’insertion, déjà sapées par la baisse ou le retard des subventions des collectivités territoriales, le difficile accès au Fonds social européen, les récentes revalorisations salariales (augmentation du Smic, Ségur), l’inflation... « L’accumulation de ces difficultés rend la situation intenable », commente Adrien Rivière.

Sur le terrain, les conséquences se font déjà ressentir, assurent les fédérations. Pour les gestionnaires d’abord : difficultés de trésorerie, mise en place de plans d’économies, voire fermetures de structures. Mais aussi – et surtout – pour les personnes accompagnées à court terme. Le risque à long terme, selon Timothée Duverger, ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux et responsable de la chaire Territoires de l'économie sociale et solidaire (ESS) ? Une « casse sociale durable ». « Des personnes vont se retrouver au chômage de longue durée, prédit-il. Cela va coûter à l’État en termes d’allocations et de dépenses de santé. Plus que d’apporter des économies, ce désinvestissement social se paiera sur le plan budgétaire. »

Fin de la lune de miel ?

Le secteur a pourtant bénéficié, un temps, d’un fort soutien des pouvoirs publics grâce au Pacte d'ambition mis en œuvre à partir de 2020. Un investissement qui a permis de faire passer son budget de 800 millions d’euros annuels à 1,5 milliard fin 2022 pour soutenir son développement. « Ce pacte mentionnait notamment que le budget consacré à l'inclusion devait être sanctuarisé et que les moyens financiers alloués constituaient un investissement social de long terme et une promesse de croissance, rappelle Benoît Hamon, président d’ESS France. La baisse des budgets consacrés à l'IAE revient sur cette ambition. »

Depuis, l’État n’a pas fait mystère de son intention d’envisager des évolutions, notamment sur la base des propositions de réforme de l’inspection générale Igas plaidant, en 2022, pour une stabilisation des crédits. Avant le lancement par le ministère du Travail, deux ans plus tard, d’une concertation afin de définir une nouvelle feuille de route pour « faire mieux avec pareil, voire moins », se souvient Adrien Rivière. L’initiative n’aura pas survécu à la dissolution de l’Assemblée nationale de juin. « On a l’impression qu’il faut une réforme tous les quatre matins. Un jour, on nous demande d'investir, le lendemain, d’arrêter, selon une politique de stop and go qui rend difficile le pilotage des structures », reprend le chargé de plaidoyer de Coorace. Plus encore, Nathalie Latour craint un manque de confiance dans l'efficacité de l’IAE. « Nous avons le sentiment que le ministère estime que nous avons été beaucoup soutenus pour un impact moindre. »

Aujourd’hui, les gestionnaires sont contraints de réduire la voilure. « Est-ce conjoncturel ou cela marque-t-il la première année d’une contraction voulue par le Gouvernement ? » interroge Adrien Rivière. Pour Timothée Duverger, ces coupes sont d’abord à interpréter à l’aune de la crise budgétaire de la France : « Je ne crois pas que ce soit une remise en cause mais de la gestion à courte vue tant il y a, en effet, une forte contradiction entre l’injonction au retour à l’emploi et la baisse des aides à l’IAE. Mais la prise de décision publique n’est pas toujours rationnelle… » Pour Benoît Hamon, le message envoyé aux acteurs est surtout « très inquiétant » : « On ne semble pas reconnaître l'intérêt stratégique des modèles de l’ESS, dont ceux de l’IAE, alors même qu’ils sont pensés pour le long terme et qu’ils ont prouvé qu'ils servaient à la cohésion sociale et à l'amélioration de la résilience de notre économie. » Or « un modèle détricoté est très difficile à reconstruire », prévient Nathalie Latour. Ces baisses sont « sans commune mesure avec celles que connaît l’ensemble du ministère, car il a été fait le choix de préserver globalement ces moyens, explique en retour le cabinet d’Astrid Panosyan-Bouvet. Nous devons, collectivement, renforcer notre exigence pour que ceux-ci aient des effets tangibles sur le terrain ».

Amélioration des pratiques

L’État entend notamment « accentuer les efforts entrepris depuis 2023 pour rapprocher les mondes de l’entreprise et de l’insertion, encore trop méconnu ou objet d’idées reçues ». Et ainsi faciliter les immersions en entreprise, aider les personnes à affiner leur projet... Le secteur n’est évidemment pas opposé à l’amélioration de ses accompagnements, mais après évaluation du Pacte d’ambition. « Nous voulons, en toute transparence, voir ce qui a fonctionné ou non », souligne Nathalie Latour. Le Collectif IAE tient également à mettre sur la table la possibilité d’un financement interministériel, l’accès facilité à la commande publique, avec des clauses sociales et environnementales en particulier, ou encore une meilleure coordination avec le service public de l’emploi et les collectivités territoriales. Au-delà, c’est aussi le volet politique qu’il veut défendre, appelant à une « réaffirmation du rôle de l’IAE », martèle David Horiot : « Le retour à l’emploi ne peut pas être l'unique indicateur de notre impact. » Défi majeur ? Faire reconnaître ses effets importants sur l’insertion professionnelle certes, mais aussi sur le développement territorial et la transition écologique grâce à ses activités (recyclage, maraîchage…). Pour y parvenir, les professionnels comptent multiplier les actions ce printemps : rédaction en cours d’un projet politique, préparation d’un séminaire de travail avec le ministère d’ici à la fin du premier semestre ou encore rendu du document issu de la concertation pour une loi du droit à l’emploi qui était prévu pour la fin mars.

En attendant, sur le terrain, les structures cherchent des solutions alternatives pour s’en sortir, entre sollicitation de fonds privés et subventions liées à des projets écologiques plutôt qu’à l’insertion. Comme l’association Aix multiservices environnement (AMSE), gestionnaire d’un chantier d’insertion à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), retenue pour le programme « Inclusion et ruralité » financé par la Mutualité sociale agricole et l’État. « D’un côté, ce dernier coupe les budgets pour l’insertion et, de l’autre, il lance de nouveaux programmes sur… l’insertion », note son directeur Guillaume Jugi. Un paradoxe de plus.

Alexandra Luthereau

Repères 

173 000 nouveaux contrats signés en 2023 dans l’IAE (- 1 % en un an).

1 an : c’est la durée moyenne des parcours. 

- 70 millions d’euros prévus pour le budget formation 2025 (100 millions début 2024).

 (Source : Dares, 2025)

« Un plan de départ volontaire »

Guillaume Jugi, directeur d’AMSE à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône)
« Notre chantier d’insertion a été créé en 1994. Nous accompagnons 48 personnes à travers deux supports d'activité : la gestion des travaux paysagers et l’agriculture-alimentation. Depuis le début de l’année, nous ne pouvons plus mobiliser le fonds PIC IAE. Par ailleurs, nous avons subi une baisse des financements régionaux et nous nous attendons à une réduction des commandes publiques, dans le contexte de restrictions budgétaires générales. Si en 2023 nous étions à l’équilibre, nous accusons en 2024 une perte de 80 000 euros. Pour faire face à ces difficultés, nous avons lancé un plan de départ volontaire en début d’année : deux des vingt salariés permanents vont quitter la structure. Nous devons également revoir à la baisse certains projets d’accompagnement socioprofessionnel, notamment en matière d’accessibilité alimentaire et de numérique. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 240 - avril 2025






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