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Médico-social
Service minimum, risque maximum

07/03/2012

Salaires en berne, conventions collectives sur la sellette… Les causes de conflit ne manquent pas. Le moment n’est pas le plus opportun pour engager une concertation sur le service minimum dans le secteur. Un nouveau sujet de crispation entre employeurs et salariés ?

« Le principe constitutionnel de la protection de la santé et de la sécurité des personnes […] justifie que, (hors service public), l'exercice du droit de grève fasse l'objet de limites, […] sous la forme d'un service minimum […]. » Avec ces conclusions (lire l'encadré ci-dessous) avancées par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la question est désormais posée. Après le secteur public hospitalier, les établissements et services médico-sociaux (ESMS) verront-ils émerger un service minimum ? Un dossier ouvert… en terrain miné.

En 2009, alors que les sénateurs avaient tenté de l'instaurer lors des débats relatifs à la Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), un compromis avait été trouvé face à l'opposition gouvernementale. À l'issue d'une concertation avec les professionnels, un rapport destiné à dresser un panorama du droit existant devait être remis aux parlementaires, avant le 30 novembre… 2010. Un retard assumé par la DGCS, alors toute à la mise en œuvre de la loi HPST. C'est donc avec plus d'un an de retard, le 14 décembre 2011, que les membres du comité national d'organisation sanitaire et sociale (Cnoss) ont pris connaissance des premiers éléments juridiques.

Régimes différents

Car, sur le terrain, c'est bien la nature juridique des ESMS qui fait toute la différence.

Dans le public, la machine est bien rôdée. Des tableaux fixant, par service et par catégorie de personnels, le ratio d'encadrement nécessaire pour assurer la continuité du service et l'accompagnement en soins, sont élaborés au sein des comités techniques d'établissement. La force du dispositif ? « Le fait qu'ils soient établis hors conflit, en partenariat avec les organisations syndicales », assure Dominique Perriot, directeur général de l'Institut Le Val Mandé (Val-de-Marne).

À la veille d'un mouvement social, les syndicats ont l'obligation d'émettre un préavis et les agents grévistes de se déclarer 48 heures à l'avance. « Si leur nombre est supérieur aux besoins de personnels, les directeurs ont alors le pouvoir d'assigner nommément et par écrit, les agents nécessaires », ajoute Murielle Jamot, en charge du médico-social à la Fédération hospitalière de France (FHF).

Et dans le privé ? « L’absence de règles encadrant le droit de grève met en difficulté les gestionnaires pour assurer la continuité de la prise en charge, avance Frédérique Marron, avocate au cabinet Capstan. Ils sont dans l’impossibilité d’anticiper un mouvement, les modalités de remplacement des grévistes et la mise en place de solutions alternatives. »

Missions de service public ?

Côté employeurs, la question se pose essentiellement pour certains types de structures. Celles où le risque vital des usagers (notamment polyhandicapés) peut être engagé, résume Philippe Calmette, directeur général de la Fédération nationale des associations de gestionnaires d’établissements et services pour personnes handicapées mentales (Fegapei) : « Nous avons connu ces dernières années une médicalisation croissante des maisons d’accueil spécialisées [MAS] et des foyers d’accueil médicalisé [FAM], où les plateaux techniques médicaux sont de plus en plus élaborés. Cette évolution rend impossible l’absence de personnels. »
« Même si ce n’est pas formalisé dans les textes, nous assurons des missions de service public au sens large, martèle Pierre Queille, président du Syndicat national des associations laïques employeurs du secteur sanitaire, social, médico-éducatif et médico-social (Snaless). À ce titre, nous avons des responsabilités. » Missions de service public contre missions d’intérêt général : la résurgence d’un vieux débat, qui n’est pas sans incidence sur le champ des possibles en matière d’encadrement du droit de grève.

Continuité de l’activité

Atteinte au droit de grève ? L’expression est lâchée. « Bien qu’étant un principe constitutionnel, le droit de grève doit être concilié avec la sauvegarde de l’intérêt général, indique encore Frédérique Marron. La loi peut dès lors lui fixer des limites, afin de maintenir la continuité des activités. » Pour Dorothée Bedok, responsable des relations sociales au Syndicat d’employeurs associatifs de l’action sociale et santé (Syneas), le concept est à manier avec précaution : « Le droit de grève évoque les salariés, alors que le service minimum concerne d’abord les personnes accueillies. » Une nuance à laquelle les organisations syndicales se révèlent peu sensibles. « On comprend que les pouvoirs publics ont le souci de l’accompagnement des personnes, mais cela ne doit pas se faire au détriment des salariés, martèle Jean-Marie Faure, secrétaire général adjoint de la CFTC Santé sociaux. En cas de problèmes, à l’État de prendre ses responsabilités. »
En ligne de mire : le pouvoir de fermeture et de réquisition laissé (au cas par cas) aux préfets, en cas de menace sur la sécurité. Et Pascal Corbex, secrétaire général de la Fédération nationale de l’action sociale Force ouvrière (Fnas FO), de conclure : « Les règles existantes dans le Code du travail en matière de droit de grève sont largement suffisantes. Inutile de rajouter des contraintes. »

Mais qu’en est-il de la réalité des conflits dans le secteur ? Sont-ils si nombreux qu’il faille penser un dispositif ? Pas évident. Pour Virginie Magnant, adjointe à la DGCS : « Nous  ne disposons pas à ce stade des données synthétisées sur le sujet. Le recueil, auprès des acteurs du secteur médico-social réunis dans la section sociale du Cnoss, est en cours et permettra de vérifier si l’idée généralement admise d’une conflictualité maîtrisée dans le secteur se confirme. » « Ce n’est pas un secteur où les personnels peuvent se payer le luxe de faire grève régulièrement, plaide Richard Tourisseau, directeur de maisons de retraite dans le Val-de-Marne. En outre, ils sont bien conscients de leurs responsabilités. » Pour parvenir à « objectiver » le phénomène, l’administration a en effet demandé aux partenaires sociaux volontaires de lui faire remonter leurs informations, afin de nourrir le rapport final, examiné au Cnoss le 13 mars.

Malvenu

Reste que pour beaucoup, le moment choisi est pour le moins… inopportun. « Salaires stagnants, tensions dans les négociations conventionnelles… Les difficultés dans le secteur n’ont rien à voir avec une hypothétique utilisation forcenée du droit de grève ! », s’agace Jean-Marie Faure. Et le verrouillage des salaires en 2012, annoncé à la conférence salariale, le 30 janvier dernier, n’arrange rien. « À croire que l’État anticipe et cherche à cadrer d’éventuels mouvements sociaux à venir… », reprend le syndicaliste. Face à cette opposition, le directeur général de l’Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), Hubert Allier, rappelle des fondamentaux : « La question d’un service minimum ne peut se résumer à un affrontement entre salariés et employeurs. Elle ne concerne pas seulement la bonne réalisation d’une prestation ou des questions de sécurité. Elle est aussi liée à la notion de projets de vie des personnes accueillies. »

Une loi est-elle la solution ? Peu convaincu, le directeur général de l’Uriopss du Nord-Pas-de-Calais, Bruno Delaval, mise davantage sur l’intelligence collective. « Même si c’est compliqué, les conventions collectives de la branche devraient peut-être prévoir des processus à actionner, avant le recours à un service minimum. »« Le temps presse, conclut Philippe Calmette à la Fegapei. Nous avons besoin du dispositif le plus sûr juridiquement et le plus rapidement opérationnel. » Plus le choix. Partisans comme détracteurs doivent s’engager dans le débat. La date limite pour la remise du rapport au Parlement est fixée à la fin de la mandature. L’heure tourne.

Gladys Lepasteur

Les conditions d’encadrement du droit de grève

« Le Conseil constitutionnel a identifié un principe […] justifiant que, au-delà du seul service public, l'exercice du droit de grève fasse l'objet de limites tracées par le législateur, susceptibles de prendre la forme d'un service minimum, assorti d'une obligation de préavis. Dans ces conditions, son instauration par la loi dans le secteur médico-social ne paraît pas – a priori – présenter un risque de constitutionnalité, sans que soient à établir des distinctions entre les structures selon leur appartenance au service public. Ce, à condition de veiller à ce que les missions à assurer […] soient nécessaires au regard de la protection de la santé et de la sécurité des personnes. Une législation pourra renvoyer au pouvoir réglementaire ou à la négociation collective les modalités d'application des principes établis par la loi. Si celle-ci devait confier des prérogatives particulières en la matière à des autorités administratives décentralisées ou au directeur général de l'agence régionale de santé [ARS], l'intervention du représentant de l'État devrait être prévue […]. »

(1) Source : "Éléments préalables à l’élaboration d’un rapport relatif à la mise en œuvre d’un service minimum dans le secteur médico-social", Direction générale de la cohésion sociale, 14 décembre 2011

Publié dans le magazine Direction[s] N° 94 - avril 2012






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