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Études et prospectives
Éviter les angles morts du placement hors département

09/05/2012

Sur la base d'une enquête de terrain, le rapport de mission de l'Igas fait apparaître les écueils du dispositif des placements hors département des jeunes dûs au partage inadéquat des responsabilités et à l'accueil parfois inadapté. Il préconise, notamment, un suivi individualisé et supradépartemental.

Le recours à des structures d’accueil au-delà du territoire départemental, pour assurer la protection des mineurs en dehors du domicile familial, est une pratique ancienne […]. Aux problèmes posés par un éventuel éloignement géographique sont venus s’adjoindre ceux liés au franchissement des frontières administratives depuis les lois de décentralisation.

[…] Avec 15 500 jeunes placés hors de leur département d’origine, soit 10 % des 150 000 (1) de ceux accueillis au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en 2009, le phénomène est quantitativement marginal et stable depuis 2007 […]. Il touche tous les départements, mais surtout ceux de l’Ile-de-France. […] Certains types d’accueil sont plus concernés : ainsi la moitié des jeunes accueillis dans les « lieux de vie » viennent d’un autre département. Cependant la notion juridique de placement hors département ne recouvre que partiellement celle d’éloignement : près des deux tiers des placements hors départements sont réalisés dans des départements limitrophes ; et pour certains d’entre eux, constituent paradoxalement une réponse de proximité. Au total, on peut estimer que les placements éloignés (2) concernent environ 6 000 enfants soit 4 % du total des mineurs accueillis au titre de l’ASE. […]

Des motifs d'éloignement très divers

Deux problématiques spécifiques se dégagent : les jeunes « incasables » et les mineurs sans attache parentale dans le département, essentiellement des mineurs isolés étrangers. […] Dans plus des deux tiers des cas individuels (3), le placement hors département est motivé – partiellement ou exclusivement – par la situation du jeune ou de sa famille : continuité éducative malgré le déménagement des parents, nécessité d’éloignement du milieu d’origine, échecs successifs des accueils de proximité... S’y ajoutent, dans près de la moitié des cas (4), des motifs liés au manque de place ou à l’absence d’accueil adapté. […]

[Si ] le manque de places au sens strict concerne plus particulièrement les départements franciliens […], les phénomènes d’inadéquation qualitative de l’offre sont beaucoup plus généralisés. Le rythme d’adaptation et reconversion des structures d’accueil peine à suivre l’évolution des besoins en termes d’âge, de sexe et plus encore d’offre spécifique de prestation. […]

Cependant, des éloignements pourraient être évités par un redéploiement des capacités existantes. Par ailleurs, certaines orientations reflètent un défaut de régulation dans les modes de fonctionnement de l’ASE. Une organisation décentralisée des procédures d’orientation au niveau des travailleurs sociaux, lorsqu’ils n’ont pas une bonne connaissance des structures de proximité, peut conduire à délaisser celles-ci au profit d’établissements parfois éloignés. À l’inverse, des jeunes peuvent être placés hors du département parce que leur candidature est refusée par des structures de proximité qui privilégient le travail avec d’autres départements. La mission a procédé à une estimation de la part des placements hors départements ainsi « évitables », qu’elle évalue à un sur cinq au maximum. […]

Le risque du partage des rôles

Pour les jeunes accueillis hors du département, les fonctions [de suivi individuel socio-éducatif et de contrôle collectif des lieux de placement] sont scindées entre le conseil général du lieu d’origine et celui du lieu d’accueil. […] Ce partage des rôles est facteur de complexité, mais aussi de risques. Le suivi individuel s’effectue dans des conditions comparables, quel que soit le lieu de placement, mais les fragilités de ce suivi engendrent des risques spécifiques pour les enfants accueillis hors département.

L’analyse des pratiques et des dossiers individuels montre que l’implantation du lieu d’accueil est moins discriminante pour le suivi individuel que la politique générale et les moyens dégagés à cet effet par le département gardien. Certains conseils généraux assurent un suivi éducatif de proximité pour tous les enfants, même ceux qui sont hébergés dans des départements éloignés, suivi qui s’avère en ce cas particulièrement lourd et coûteux. D’autres ont un suivi plus distancié, y compris pour les jeunes placés dans leur ressort territorial.

Faute de moyens, la désignation d’un référent éducatif […] reste un objectif à atteindre pour de nombreux départements qui font appel à diverses mesures de substitution, comme par exemple la délégation de ce suivi aux équipes éducatives des établissements. Facteurs de fragilité pour tous les enfants confiés, ces failles dans le suivi individuel comportent des risques accrus pour les jeunes placés hors département puisqu’ils se trouvent dans des structures que le département gardien, par construction, ne contrôle pas, et que souvent il connaît mal.

La fragilité de l'accueil

L’accueil hors département peut créer des angles morts dans le suivi et le contrôle des lieux d’accueil. Le président du conseil général, auquel la loi confie une responsabilité de protection des enfants accueillis sur le territoire départemental et de contrôle des lieux d’accueil, n’est pas systématiquement informé des placements effectués par d’autres. Dans les lieux où ces placements prédominent, le contrôle se limite pour l’essentiel aux aspects administratifs et financiers et ne bénéficie pas du regard des travailleurs sociaux du département sur les conditions d’accueil.

La mission a identifié deux secteurs de fragilité particulière : les assistants familiaux résidant loin de leur département employeur, d’une part, les lieux de vie, d’autre part. Accueillant un petit nombre d’enfants, souvent situées dans des zones rurales, peu ou pas utilisées par l’ASE locale, ces deux formes d’accueil sont peu contrôlées alors qu’elles présentent – du fait même de leur petite taille, de leur faible structuration et encadrement, de leur isolement géographique et professionnel – des risques spécifiques, différents et sans doute plus importants que les établissements collectifs.

Des passages de relais complexes

Facteur de complexité administrative et financière, le hors département peut engendrer des tensions entre les services des conseils généraux concernés mais peut également générer des échanges mutuellement profitables. Pour un département donné, le placement de jeunes dans une structure dont les tarifs sont arrêtés par un autre département constitue un risque financier évident. Pour sa part, le département d’accueil assure la responsabilité d’un établissement dont l’activité dépend largement du maintien d’un flux de placements extérieurs sur lesquels il n’a pas de prise.

Les demandes de surveillance administrative entre départements, les difficultés du passage de relais en cas de dessaisissement judiciaire, la concurrence pour le recrutement d’assistantes familiales, peuvent occasionner des tensions entre départements, que les lacunes ou les incertitudes du cadre juridique contribuent à alimenter.

Mais l’accueil d’enfants adressés par d’autres conseils généraux peut aussi contribuer à soutenir l’activité économique et l’emploi dans des zones rurales dévitalisées qui disposent de capacités d’accueil inutilisées. Il peut donc s’envisager comme un échange mutuellement profitable entre départements. […]

Recommandations

S’il est possible de réduire encore la part des orientations hors département, le phénomène apparaît pour une large part incontournable et doit, à ce titre, être reconnu, organisé et mieux maîtrisé. La mission suggère un certain nombre de mesures autour de trois objectifs principaux.

Afin de limiter la part des placements hors département « évitables », [elle propose de] coordonner les procédures d’orientation et d’admission, de suivre les capacités disponibles et passer des conventions avec les structures de proximité, et de limiter les placements familiaux éloignés à ceux justifiés par la continuité éducative.

Pour organiser des possibilités de réponse aux besoins dans un cadre supra-départemental, la mission suggère d’autoriser des structures d’accueil « extraterritoriales » pour répondre aux besoins de certains départements qui ne peuvent être satisfaits dans leur ressort territorial. Mais aussi de développer une approche interdépartementale de l’offre d’équipements ASE pour améliorer l’équilibre entre les ressources et les besoins entre départements limitrophes. Elle insiste aussi sur la nécessité de mieux articuler les niveaux de planification en matière sociale, médico-sociale et sanitaire.

[Pour] améliorer le suivi et le contrôle des placements hors département, la mission recommande que les pratiques de suivi et de contrôle prennent en compte les risques spécifiques de l’accueil hors département. Les lieux de vie et les assistants familiaux méritent, à cet égard, une attention particulière. Les échanges d’informations entre conseils généraux doivent être encouragés et rendus obligatoires en cas d’incident dans une structure d’accueil.

Enfin, la mission propose des mesures visant à développer les collaborations entre départements, à en clarifier et formaliser les règles, notamment pour la « surveillance administrative » de certains placements individuels, ou pour le passage de relais d’un conseil général à l’autre en cas de dessaisissement.

(1) Jeunes confiés à l’ASE et placements directs au 31 décembre 2012.

(2) C’est-à-dire situés dans un département non limitrophe selon la définition retenue par la mission.

(3) La mission a procédé à l’analyse de 91 dossiers de jeunes placés hors département.

(4) Plusieurs motifs peuvent se cumuler sur un même dossier pour expliquer une orientation hors département ce qui explique que le total des motifs dépasse 100 %.

Carte d'identité

Auteurs. Claire Aubin, Nicolas Durand, Patricia Sitruk, Olivia Sanson, Inspection générale des affaires sociales (Igas)

Titre du rapport. Évaluation de l’accueil de mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance hors de leur département d’origine, février 2012

Publié dans le magazine Direction[s] N° 96 - juin 2012






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