Une façade blanche, du bois et, au-dessus de la porte d’entrée, l’écriteau « Maison des réfugiés » en lettres noires fièrement peintes. À l’intérieur, l’accueil est chaleureux. Ce bâtiment flambant neuf, situé dans le 19e arrondissement de Paris, a été inauguré en juin 2024. Cogérée par les associations Emmaüs solidarités et Singa France, la Maison des réfugiés abrite une pépinière d’associations dédiées à l’accueil et à l’accompagnement des personnes exilées. Tout un chacun peut franchir ces portes, se voir offrir un café ou un thé sur le long comptoir et participer à l’une des nombreuses activités du lieu.
En ce jour de janvier glacial, dans l’une des salles du bâtiment, démarre un cours de yoga proposé par l’association Yoga and sport with refugees. Sasha [1], la professeure, réfugiée russe, enclenche sa playlist musicale qui accompagne les postures (asanas) de la douzaine de participants. Le groupe commence par celle de l’enfant qui détend et étire le dos. Les discussions font place au calme, entrecoupées seulement par le bruit des profondes inspirations et expirations. Cette séance de yoga ressemble à n’importe quelle autre. Sauf que celle-ci est spécifiquement dédiée à des personnes exilées vivant en Île-de-France, participantes volontaires de Point virgule. Ce programme propose des activités collectives toutes les semaines pendant quatre mois environ : cercles de parole, art-thérapie, yoga, atelier projet professionnel, danse, théâtre d’improvisation… Objectif ? Prendre soin de sa santé mentale et de son bien-être.
Un parcours migratoire traumatisant
Point virgule a été lancé en octobre 2023 par cinq associations réunies en consortium (Sillat – ex-Union des étudiants exilés, Madera, Polaris 14, Étape, Maison des réfugiés, Yoga and Sport with Refugees). Le projet est né à partir d’un lieu commun – la Maison des réfugiés – et d’un constat partagé : la question de la santé mentale des personnes exilées est négligée, lesquelles y sont d’ailleurs peu sensibilisées alors même que le besoin est prégnant. « Ces personnes sont en situation de vulnérabilité liée aux conditions de départ, au parcours migratoire et à leur accueil en France marqué par l'incertitude administrative », explique Maxime Ferrer, cofondateur de Polaris 14, qui accompagne les demandeurs d’asile dans la préparation de leur projet professionnel. Leur arrivée en France se traduit souvent par de la solitude, du stress, de l’isolement, le déracinement, la perte d’activités sociales, sportives, culturelles et professionnelles, et aussi parfois les traumas liés à leur parcours d’exil, qui fragilisent leur état psychologique. Ainsi, « de plus en plus de travailleurs sociaux nous demandent des programmes sur la question », souligne Pauline Rovire, coordinatrice de la Maison des réfugiés.
En effet, « une bonne santé mentale permet de jouer sur la réussite des projets des personnes », pointe Juliet Meere, responsable projets au sein de Sillat. Autrement dit, une intégration réussie dans le pays d’accueil ne peut se faire sans aller bien psychiquement. Le consortium décide de répondre à ce besoin, en l’abordant « moins frontalement qu’avec l’approche psychologique, d’autant plus que l’offre en soutien psychologique est saturée en France », explique Lola Benoît, responsable de projets pour l’association Madera qui accompagne socialement et professionnellement les personnes exilées statutaires. Point virgule consiste donc à faire découvrir et pratiquer des activités, favoriser des rencontres, remettre en activité, impulser une dynamique collective, remobiliser les corps… « La question de la santé mentale est souvent rattachée au médical. C’est important d’en apporter une vision à travers le sport, le dialogue ou la culture. Autant d’éléments qui permettent d’aller mieux, d’être mieux dans un pays et de parler avec l’autre », commente Maud Cossard Guennoc, psychologue au sein de centres d’hébergement d’urgence (CHU) de l’association Coallia.
« Un moyen d’autonomisation »
Alliou, Karifa, Alhassan, Tabita, Abdoul [1] sont arrivés en France il y a plusieurs mois, voire plusieurs années pour certains. Leur installation n’y a pas été facile. « En arrivant en France, je ne mangeais pas, je ne parlais pas, je ne dormais pas bien. Toute la journée, je restais allongé », se remémore Alliou, participant de la quatrième session de Point virgule qui s’est achevée fin janvier 2025. Karifa évoque pudiquement ses traumatismes. Abdoul se souvient d’avoir vécu ses premiers mois en France comme recroquevillé sur lui-même. « Avant, j’avais que des soucis, pas d’amis, ni de famille. Je baissais tout le temps la tête, même quand on me parlait. » Alhassan évoque lui aussi sa solitude, ses difficultés à dormir. « J’ai demandé à une assistante sociale du Cada de m’aider. Mais elle n’avait pas de solution. C’est une personne qui vivait elle aussi au Cada qui m’a parlé du programme. » Un an et demi après le lancement de Point virgule, de plus en plus d’associations qui accompagnent des exilés en Île-de-France connaissent et prescrivent ce programme.
Une charte d’engagement
Valentine Chavey, travailleuse sociale au sein du service d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda) Einstein, à Aulnay-sous-Bois (Groupe SOS) a immédiatement été intéressée. Aujourd’hui, elle présente régulièrement le programme aux personnes hébergées et oriente celles qui semblent en avoir le plus besoin : « Notre public est composé d’hommes isolés. Cette population a très peu de moyens financiers, ils sont donc exclus des activités, alors que c’est important pour leur intégration. Comme c’est en dehors du CHU, c’est aussi un bon moyen d’autonomisation pour eux. »
Qu’elles soient orientées par une association ou un ancien participant, les personnes migrantes souhaitant rejoindre le programme commencent toutes par un entretien avec Frédéric Morestin, ergothérapeute social à Madera et coordinateur de Point virgule : « Je demande des éléments de situation sur ce que vit la personne, comment elle perçoit son habitat, le travail, ses revenus, le territoire, les amis, ses activités. Et je lui demande comment va son moral », décrit-il. Les personnes qui acceptent d’intégrer le programme signent alors une charte d’engagement.
Dès le premier atelier, Alhassan est convaincu de ses bienfaits. « Je me suis dit que je pouvais rencontrer des gens, faire des choses. Et qu’à rester tout seul je n’allais pas m’en sortir », confie-t-il. Le jeune homme a terminé le programme il y a plusieurs mois et ce qu’il y a appris perdure. « Quand je me sens seul, stressé, je fais des exercices de méditation. Ça m’aide beaucoup. J’ai aussi accroché à ma porte la lettre d’amour écrite à moi-même pendant un atelier. Je la vois tous les jours. Ça me donne de la motivation », continue-t-il avec un large sourire. En plus de ces ateliers, le programme s’est enrichi de sorties le week-end, à la demande des participants.
À la fin de chaque session, un événement festif est organisé. Pendant cette restitution, les participants partagent leur expérience et leur ressenti, parfois en chantant, devant un public composé d’autres personnes exilées, d’associations, de partenaires et de financeurs. C’est à la fois une vitrine du projet, un moment de partage et de sensibilisation sur la santé mentale. « C’est un moment de joie très fort, avec la remise des certificats de participation au projet. Tout le monde est très fier », se réjouit Juliet Meere.
Dans une logique de pair-aidance
Le programme terminé, les participants ne sont pas pour autant lâchés dans la nature. « Ils peuvent être orientés vers l’une ou l’autre de nos associations et connaissent la Maison des réfugiés comme lieu-ressource », précise Maxime Ferrer. Les participants ont également la possibilité d’intégrer le comité de santé mentale de Point virgule et de s’engager sur le sujet dans une logique de pair-aidance. Les membres du comité interviennent dans les structures d’hébergement ainsi que dans des événements grand public, comme lors du festival Facettes à Paris, consacré à la santé mentale des jeunes. Karifa n’a pas hésité à rejoindre ce groupe. « On fait de la sensibilisation pour aider d’autres à s’en sortir », décrit le jeune homme. Ce comité agit comme un cercle vertueux. « Ils deviennent acteurs : cela participe de leur empowerment, leur donne une posture citoyenne et les rend visible quand leur situation administrative les en prive souvent. Cette participation leur apporte aussi de la sécurité psychique », développe Frédéric Morestin. Ainsi, pour Maxime Ferrer, ce comité est aujourd’hui « une instance-clé dans le développement du projet ».
« Je commence à m’en sortir »
« Avec Point virgule, je parle, je ris. Je voudrais que chaque jour soit vendredi [jour des ateliers, NDLR] », témoigne Alliou. « Cela m’a donné une vie meilleure, un objectif du bonheur que je n’avais pas avant », ajoute Tabita. « Je dis Dieu merci, je commence à m’en sortir », avance Karifa. Abdoul lui estime que le programme « a tout changé » : « Ça m’a apporté la joie de vivre. J’ai encore des soucis mais je sais comment les gérer. Maintenant je me sens libre, je peux causer avec des inconnus. » D’après les premiers résultats du consortium, 18 % des participants ont fait l’objet d’une orientation vers des dispositifs de santé, un peu moins de 70 % ont bénéficié d’orientations vers des dispositifs d’information ou de soutien des associations partenaires ou d’acteurs du droit commun dans les champs sportifs, culturels ou sociaux. Le projet est récent mais, déjà, l’équipe envisage son développement avec, d’une part, l’intégration d’autres associations dans le consortium, notamment les prescriptrices. Et d’autre part, « en essaimant la méthodologie, sous une forme de type franchise », avance Sarah Gogel, déléguée générale de Madera.
À la Maison des réfugiés, le cours de yoga touche à sa fin. C’est le dernier dans le cadre du programme. « Oh non ! s’exclament plusieurs participants. On veut que ça continue. » Sasha les rassure, l’association Yoga and sport with refugees propose d’autres ateliers hebdomadaires à la Maison des réfugiés. « Le programme a un début et une fin, pour autant on veut transmettre quelque chose de durable », appuie Maxime Ferrer. Plus qu’une parenthèse dans la vie de ces personnes, le projet se veut… un point-virgule : « Un moment suspendu pour réfléchir. » Avant de poursuivre l’écriture de son histoire.
[1] Ces personnes ont souhaité être citées uniquement par leur prénom
Alexandra Luthereau - Photo : William Parra
« Une approche holistique »
Sarah Gogel, déléguée générale de Madera
« Cinq associations réunies en consortium représentent plusieurs avantages importants, aussi bien pour nous que pour les participants. D’abord, nous sommes complémentaires, ce qui permet d’avoir une approche holistique nécessaire auprès de ce public. Ensemble, nous sommes davantage innovants. C’est d’autant plus vrai que nous sommes de petites associations, ce qui nous permet d’être agiles et de pouvoir réagir puis agir rapidement. C’est ce qui a fait que notre projet a pu évoluer en si peu de temps. Au départ, il s’agissait d’un accompagnement “pur et dur” des personnes exilées vers la santé mentale. Aujourd’hui le projet porte sur leur empowerment, l’engagement citoyen et la coopération entre les associations. Enfin, un consortium est intéressant d’un point de vue économique alors qu’il est de plus en plus difficile pour le secteur associatif de trouver des financements, en particulier à destination des personnes exilées. »
En chiffres
-5 associations ;
-3 programmes Point virgule par an ;
- File active de 110 personnes exilées ;
- Profil des participants : 34 % de femmes, 80 % ont entre 20 et 40 ans, 46 % de réfugiés , 40 % de demandeurs d’asile et 11 % de sans-papiers ;
- Budget : 37 000 euros (d’octobre 2023 à octobre 2024), 105 000 euros (d’octobre 2024 à octobre 2025) ;
-4 financeurs : agence régionale de santé, Fondation de France, préfecture de police (Bop 104) et Ville de Paris.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 239 - mars 2025