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Protection de l’enfance
Déjouer les violences

22/05/2019

Foyers de l’enfance ou maisons d’enfants à caractère social, les établissements œuvrant dans le secteur de la protection de l’enfance peuvent être, aussi, des lieux de maltraitances. Comment l’éviter ? La prévention peut passer par des efforts d’organisation au sein des structures, mais aussi, plus globalement, de l’ensemble du champ.

« Enfants placés : les sacrifiés de la République » Avec un tel titre, il ne fallait guère espérer de mesure dans l’enquête diffusée par France 3, en janvier dernier, sur les maltraitances dans la protection de l’enfance. « On ne peut nier ce qui a été montré ! Mais il est dommage de ne retenir que du sensationnel, et jeter ainsi l’opprobre sur tous », réagit Salvatore Stella, vice-président de la Cnape, la fédération des associations de la protection de l’enfance. Pourtant, afin d’alerter les autorités sur les « grandes difficultés » du foyer départemental de l’enfance de l’Indre, le directeur général Hervé Pigale n’a pas hésité, dans un courrier en mars, à évoquer ce reportage : « Je vous le dis très simplement : notre réalité de terrain ressemble parfois aux images choquantes que vous avez vues », y interpelle-t-il, sans détour, tutelles et partenaires.

Le documentaire aura au moins remis en lumière cette réalité glaçante. Les établissements peuvent, parfois, mettre des mineurs en danger. La Haute Autorité de santé (HAS) l’a d’ailleurs rappelé de manière étayée, en publiant en février les résultats d’une enquête sur la bientraitance, menée notamment auprès d’établissements de l’aide sociale à l’enfance (ASE) [1]. Près d’un répondant sur dix a relevé, en 2015, au moins un incident de violence perpétrée par un professionnel sur un mineur. Quant aux agressions commises par des jeunes contre le personnel, elles s’avèrent plus courantes encore – au moins une fois dans plus de cinq structures sur dix. La proportion était similaire pour les violences entre mineurs eux-mêmes.

Un cercle vicieux

Certes, les « maltraitances », commises par des professionnels responsables, sont à distinguer des « violences », accomplies par des mineurs vulnérables. Mais les deux phénomènes peuvent s’attiser. « Et leurs principes de prévention sont proches », ajoute Renaud Hard, chef de projet pour la protection de l’enfance à la HAS. Celui-ci peut même résumer en quelques axes communs les recommandations déjà publiées sur ce thème par l’ancienne Agence nationale de l’évaluation et de la qualité (Anesm) (lire l'encadré).

Pourtant, « les établissements semblent encore dans une position plus "réactive" que réflexive face aux événements de violences endémiques », conclut la HAS au terme de son enquête. Comment les directeurs peuvent-ils donc anticiper ces écueils, et s’approprier concrètement les bonnes pratiques de l’Anesm ? En Haute-Loire, par exemple, Serge Epalle agit bien en amont des claques : il entend « réenchanter le travail social par le management de proximité », dans la petite maison d’enfants à caractère social (Mecs) qu'il dirige au Chambon-sur-Lignon. Concrètement ? « J’aménage les conditions de travail en visant le confort de l’éducateur, et je laisse place à la bientraitance ». Ainsi veille-t-il à « valoriser ce qui fonctionne », à prendre le temps de « fabriquer du consensus » au sein de l’équipe, ou encore à « autoriser les salariés à exprimer leurs émotions » – et à se faire relayer par un collègue, si un conflit s’envenime avec un enfant. Et pour mieux apaiser les angoisses des jeunes, un « guide avenir » a été collé dans leur placard de chambre. « C’est un calendrier, sur 15 jours, sur lequel chaque enfant note avec son référent ce qui le préoccupe ou ce qu’il aimerait vivre d’important, par exemple une visite avec ses parents, décrit Serge Epalle. Cela offre une lecture sécurisante de l’avenir. »

Également favorable à la prévention primaire, Virginie Girardot, à la tête du foyer départemental de l’enfance du Bas-Rhin, s’efforce de s’adapter à l’actuelle « révolution sociétale dans l’éducation : Nous passons d’une autorité descendante à des rapports plus horizontaux entre adultes et enfants », explique-t-elle. Par conséquent, la directrice oriente ses salariés vers des formations à la communication non violente, ou à la gestion des émotions. Et en parallèle, elle propose aux mineurs des groupes d’expression : « Une fois les a priori dépassés, cela peut porter de beaux fruits ! »

Hervé Pigale aussi s’efforce de cultiver le professionnalisme de ses personnels. Mais dans son foyer de l’enfance, accueillant en urgence et sans condition, ils paraissent « à bout de souffle à force de devoir supporter l’insupportable, [notamment] de la violence verbale, physique, des crachats, des morsures, des menaces à leur intégrité physique », comme il l’a écrit aux autorités. Le directeur général a été jusqu’à abonner ses salariés à une plateforme d’écoute téléphonique en libre accès, « spécialiste du bien-être au travail [assurée par des psychologues]. Mais ils ont du mal à s’en saisir », regrette-t-il.

Repérer et signaler

Tous ces efforts ne dispensent pas de s’exercer au repérage. Même dans sa Mecs  tranquille, Serge Epalle se dit « en alerte tout le temps : Deux ou trois fois par semaine, je partage le temps de relais entre les équipes, pour saisir un peu l’ambiance ». Mamedi Diarra ne peut que l’y encourager : ce jeune homme a trop longtemps peiné à trouver des adultes pour l’écouter, lorsqu’il se plaignait des souffrances, psychologiques et physiques, endurées dans son foyer. « Si des jeunes se plaignent de maltraitances, les directeurs doivent les écouter avec bienveillance », plaide ce président d’une association d'entraide d’anciens de l’ASE (Adepape), Repairs94.

Et si des violences se révèlent ? Il revient déjà au directeur de se conformer à la loi – notamment de procéder aux signalements nécessaires [2] et d’informer sans délai les autorités de l’événement qui a menacé « la santé, la sécurité ou le bien-être » des usagers, selon le Code de l'action sociale et familiale (CASF). À ces traitements judiciaires et administratifs peut s’ajouter un travail éducatif, comme l’illustre Hervé Pigale : « En cas de passage à l’acte, les professionnels peuvent ainsi en parler au sein du groupe d’analyse des pratiques, qui se réunit une fois par mois, avec un psychologue systémicien qui va interroger, au-delà des individus, les relations entre eux. » Quant à Virginie Girardot, elle trouve de l’inspiration dans la prévention des risques professionnels, en faisant analyser chaque incident, en réunion, et en schématisant un « arbre des causes : Nous veillons à ne pas nous enfermer dans une seule causalité, liée à l’enfant, pour inspecter tous les facteurs possibles, jusque dans notre lieu de vie ».

Une démarche unique

Ces différentes étapes de la prévention, de la bientraitance jusqu’au traitement des violences, Marie-Laure de Guardia les a rassemblées dans une démarche unique, au sein de l'Institut départemental de l'enfance et de l'adolescence (Idea) des Pyrénées-Orientales. « Face aux risques inhérents aux situations de placement, et vu les difficultés de tout lieu de vie collectif, nous avons voulu nous mettre d’accord sur des règles communes », explique la directrice. La réflexion a abouti au document « Agir ensemble et en sécurité à l’Idea ». Pour les professionnels d’une part, pour les enfants et familles de l’autre, sont citées toutes les instances et procédures prévues, d’abord pour « poser un cadre institutionnel sécurisant et favoriser le bien vivre-ensemble, puis pour assurer le respect des règles, et faire face aux situations de violence ». Sur ce quatrième enjeu des « fiches de déclaration » détaillent à chaque fois l’auteur, la victime, les faits, ses conséquences. « Cela fait un an que ce schéma est mis en place, commente Marie-Laure de Guardia. Et je constate que la parole est plus libre, pour les enfants comme pour les professionnels. » 

Des iniquités territoriales

Mais les directeurs ne sont pas seuls à pouvoir écarter les violences. Salvatore Stella le constate, comme président du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (Cnaemo) : d’un département à l’autre, « la protection de l’enfance souffre d’iniquités territoriales très fortes », notamment en moyens humains. « Et cela pose problème lorsqu’un établissement n’a pu recruter presque aucun travailleur social diplômé, ou quand il n’a pu composer une équipe pluridisciplinaire offrant des regards multiples. »

La planification même du secteur peut provoquer des débordements. Telle est la conviction d’Hervé Pigale, pour qui les foyers départementaux ont aujourd’hui à « répondre aux besoins non satisfaits par les autres dispositifs » sociaux ou médico-sociaux. Ces services publics se retrouvent ainsi à accueillir, par défaut, des jeunes qui ne trouvent pas de place en Mecs, en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep). « Les foyers doivent ainsi mêler à des enfants en maltraitance, ou en négligence parentale, d’autres aux troubles psychiques ou comportementaux graves, détaille le directeur général. Il n’y a que dans les foyers que l’on accepte un tel capharnaüm ! » Dès lors, comme pour les personnes « sans solution » en situation de handicap, Hervé Pigale espère pour le champ de la protection de l’enfance des « réponses accompagnées pour tous », à construire, conjointement, entre acteurs d’un même territoire.

Le Bas-Rhin, justement, doit bientôt se doter d’une commission pour concevoir des accompagnements à plusieurs établissements, afin de répondre aux cas complexes. En attendant, Virginie Girardot constate elle-même que « la spécialisation des autres modes d’accompagnement, ainsi que la désinstitutionnalisation dans le champ du handicap, provoquent une concentration des situations les plus complexes dans les internats »… De quoi favoriser un « mélange explosif », en foyer comme en Mecs. Or, « les placements sont toujours plus nombreux, au point de mettre certains départements en difficulté : vaut-il mieux laisser certains enfants sans réponse, ou leur faire rejoindre des foyers en suractivité ? », interroge la directrice.

Contrôles et évaluations à revoir

Enfin, pour repérer les violences, les regards extérieurs sont-ils suffisants ? Pour Mamedi Diarra, les contrôles actuels oublient l’essentiel : « Ils doivent porter sur la qualité de l’accompagnement, et pas seulement sur l’état de marche des extincteurs ! Cela suppose, là encore, de prendre en compte la parole des enfants. » Quant aux évaluations externes, elles ont une tare, selon Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) : « Je doute que des audits payés par l’institution puissent être fiables… Ce lien financier n’est pas le symbole d’une grande indépendance ! » Contre ces écueils, il reste à miser sur la HAS, qui prépare notamment un référentiel pour guider l’évaluation, et sur le secrétaire d’État Adrien Taquet, qui doit présenter sa stratégie pour la protection de l’enfance, au terme d’une concertation portant, notamment, sur la qualité des lieux d’accueil. « Ces deux démarches devraient permettre de mieux définir et articuler les évaluations, d’une part, et les inspections, de l’autre », présume Véronique Ghadi, directrice de la qualité à la HAS. Puissent ces regards extérieurs devenir plus efficaces encore que les caméras de France 3.

[1]  Résultats de l’enquête à consulter sur www.has-sante.fr, rubrique Publications

[2] Une maltraitance peut en outre impliquer une information des titulaires de l’autorité parentale en vue d’un dépôt de plainte, ainsi qu’une procédure disciplinaire.

[3] CASF, article L331-8-1

Olivier Bonnin

« Deux principes, trois espaces »

Renaud Hard, chef de projet pour la protection de l'enfance à la HAS

« Contre les maltraitances des professionnels, et contre les violences des usagers, les directeurs de la protection de l’enfance peuvent s’appuyer sur quatre recommandations de l’Anesm (lire l'encadré). Ils peuvent déjà en tirer deux principes d’action : d’une part, anticiper ces risques, qu’ils rencontreront nécessairement au cours de leur carrière ; d’autre part, rappeler à leurs équipes que l’action éducative a ses limites, qu’il faut accepter. La prévention peut alors se construire dans trois espaces. Le premier est le projet d’établissement : celui-ci doit interdire toute violence – à définir selon le public accueilli –, sanctionner systématiquement la maltraitance, susciter une culture de la prévention. Puis il faut développer la mission de protection, qu’une maltraitance contredirait forcément : à ce titre, les professionnels doivent porter une action éducative cohérente, parvenir à faire autorité sans violence, soigner le cadre de vie… Le troisième espace est le management : le directeur peut se doter d’outils de repérage, prévenir l’usure professionnelle, affiner le recrutement, former le personnel… »

Aller plus loin

Quatre recommandations de l’Anesm 

- « Conduites violentes dans les établissements accueillant des adolescents : prévention et réponses », 2008 ;

-  « Mise en œuvre d’une stratégie d’adaptation à l’emploi des personnels au regard des populations accompagnées », 2008 ;

-  « Mission du responsable d’établissement et rôle de l’encadrement dans la prévention et le traitement de la maltraitance », 2009 ;

-  « La prévention de la violence entre les mineurs adolescents au sein des établissements d’accueil », 2018.

À télécharger sur www.has-sante.fr  

Repères

  • 55 000 enfants et adolescents étaient hébergés, fin 2012, dans un établissement de l’ASE. En moyenne, ils étaient âgés de 13 ans et leur séjour durait environ 13 mois. (Source : Drees)   
  • 6,2 relevés d’incidents pour violences entre mineurs en moyenne, dans chaque établissement de l’ASE et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), en 2015. La fréquence tombe à 3,9, pour les violences de mineurs sur professionnels, et à 0,2, pour les violences de professionnels sur mineur. (Source : HAS)
  • Lors du dernier cas de violence physique entre mineurs, les établissements ont mis en place des sanctions éducatives dans 73 % des cas… et adopté une posture physique contenante dans 71 % des cas. (Source : HAS)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 176 - juin 2019






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