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Paroles de directeur
"J’entends parler de guerre mais nous ne sommes pas des soldats"

07/04/2020

Cette directrice d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) situé en milieu rural témoigne de ses questionnements, dilemmes et difficultés dans la gestion de cette épidémie sans précédent. Pour elle, qui a préféré garder l'anonymat, les "Ehpad n’auront jamais autant été des mouroirs".

Samedi 4 avril 2020. Il y a quatre semaines jour pour jour, je descendais de bonne heure, rappelant mon assistante afin de restreindre les visites au sein de l'Ehpad. J’avais quelques jours d’avance sur l’annonce du gouvernement. Cependant, le mal était en chemin depuis déjà trop longtemps. Il nous fallait agir et prévenir. Le jour même on me l'a reproché, une famille écrivant au siège social pour demander si cette situation était normale. Une directrice complètement folle ! Assurément non. Mais la vie prévalait sur les usages.

Petit Ehpad isolé à la campagne, mal doté en équipement, sans cadre de santé ni médecin coordonnateur, il fallait malgré tout agir. Agir avec l’équipe, pour l’équipe et les résidents. Je crois n’avoir jamais autant senti le poids de la responsabilité qui m’incombe. Je n’ai jamais été préparée à pareille crise sanitaire. J’entends parler de guerre mais nous ne sommes pas des soldats, seulement des instruments de soins, de paix, d’amour pour notre prochain.

Nous prenons la décision en équipe, à nouveau 10 jours avant l’annonce du gouvernement, de confiner les résidents en chambre. La note de l’agence régionale de santé (ARS) arrivera plusieurs jours après. Sans médecin, et avec les nombreux résidents déambulants, la sécurité de tous n’est pas garantie. Et pourtant, depuis presque trois semaines, nous avons multiplié les désinfections. Tout le monde s’y est mis, quelle que soit la fonction, moi y compris, en blouse d’aide-soignant et lingettes à la main…. Ce sont les petits gestes de chacun qui permettrons de gagner un peu de vie, nous en sommes pleinement conscients.

Chaque matin je suis en transmission, week-end inclus. J’en ai besoin autant que l’équipe. Je me lève en ne sachant plus quel jour nous sommes, mais avec la certitude de l’incertitude et du danger. Mon quotidien est ponctué de réunions « d’audio conf »…. Certaines utiles, d’autres dévastatrices… J’ai besoin d’entendre mes pairs et de chercher avec eux des solutions. En revanche ne supporte plus d’entendre glousser les télétravailleurs sur leurs déboire avec leurs enfants et leur conjoint. Moi, je vois à peine les miens, je n’ose plus les embrasser de peur de remonter le virus ; j’ai peur pour eux. Et surtout, faisons les « conf » à 14 heures parce le soir y a apéro !!!

Chaque soir, je ramène avec moi mes rituels de décontamination, mes questions et préoccupations sur les documents que l’ARS nous envoie et qui changent tous les deux jours. Impossible de savoir encore comment vraiment travailler de manière efficace. J’entends, à peine à mot couvert, les médecins des hôpitaux dire que nos soignants sont en danger à cause de la transmission aéroportée, et que ce n’est pas les petits masques chirurgicaux qui vont les protéger mais qu’ils ont besoin de FFP2….. Oui mais pas en Ehpad…

J’accuse le coup lorsque nous recevons le protocole de gestion des personnes malades du Covid 19. Clairement, nos résidents n’irons pas en réanimation. Si la situation se dégrade, brandissons le valium et autres traitements sympathiques pour les aider à partir sans trop de douleur. Là, on ne nous parle plus de projet de fin de vie chers à nos ARS lors de leurs contrôles… Non, non, allons, soyons raisonnable, la vie c’est pour les plus fort. 

Quelle idée d’avoir engagé la sienne pour accompagner les plus faibles. Quelle place y a-t-il encore dans notre société pour les plus faibles ? Qui voudra encore se battre pour les perdants ? Les Ehpad n’auront jamais autant été des mouroirs… télécommandés par le gouvernement.

Les corps et les âmes souffrent. Abandonnés. Science politique sans conscience humaniste n’est que ruine de l’âme…






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