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Tribune de Dominique Garnier
« Évitons que l’organisation ne se transforme en ring »

03/06/2015

Comment prévenir les conflits, parfois comparables à des affrontements pugilistiques, et contribuer à un climat social serein dans les établissements et services ? Pour Dominique Garnier, ancien directeur, la prise en compte de la dimension psychoaffective dans l’exercice du pouvoir, qui explique une partie de nos comportements individuels et collectifs, ne doit pas être sous-estimée.

Dominique Garnier © DR

Au cours du déroulé d’une carrière de directeur dans le secteur social et médico-social, il est très probable, pour ne pas dire certain, d’avoir à connaître et faire face à des situations de management particulièrement difficiles. C’est dans celles où par exemple des professionnels disent qu’ils viennent travailler « à reculons » que le dirigeant se pose des questions et se remet en cause, à tort ou à raison. C’est aussi dans ces moments qu’il recherche des explications et des solutions, et qu’il peut en arriver à s’interroger sur ses compétences. Quand tout va bien, pourquoi se poser des questions ? Et pourtant, quand tout va bien, ce n’est pas dû au hasard. Et cela mérite que l’on prenne un peu de temps pour étudier les conditions à l’origine de la bonne marche d’un établissement, afin de les maintenir.

Ne pas s’y attarder serait méconnaître, du moins sous-estimer, une composante qui intervient dans l’ensemble de la vie institutionnelle et qui apporte une contribution indispensable à son analyse : il s’agit de la dimension psychoaffective, très présente et agissante, dans l’exercice du pouvoir mais aussi face au pouvoir. Elle participe, entre autres, aux motivations et comportements de tous et explique bon nombre de situations conflictuelles qui, à défaut d’avoir pu être évitées, peuvent au moins être expliquées. Ce afin de prendre le recul nécessaire à leurs résolutions.

Les affects aux premières loges

L’analyse des pratiques de direction et des institutions, soutenue par les éclairages de la psychologie clinique, de la psychanalyse et de la psychosociologie, nous explique les origines des luttes qui apparaissent périodiquement dans tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux. En effet, il n’y a pas de vie en groupe sans conflits. Ils sont d’ailleurs souvent à l’origine d’amendements. Mais parfois, il arrive aussi que des dysfonctionnements majeurs empêchent leurs résolutions. Une organisation qui dysfonctionne peut alors fortement ressembler à un ring. Cette comparaison peut paraître osée, voire disproportionnée pour certains. Pourtant, l’expérience montre que l’agressivité, l’angoisse et la souffrance qui peuvent s’exprimer très vivement dans les organisations à certains moments, conduisent à des affrontements qui rappellent des combats de boxe !

Des situations difficiles qui, dans ces circonstances, engendrent des mots « durs » qui font mal, à l’image de véritables « coups de poing », qui empêchent de « faire le point ». En effet, la possibilité d’élaboration psychique des conflits par une approche rationnelle est bloquée au profit d’expressions fortes, directes et sans retenue. Les émotions, les affects se retrouvent au premier plan, au détriment de la sphère intellectuelle, et expriment des peurs, des frustrations et des atteintes narcissiques qui atteignent un tel degré que leurs manifestations traduisent la profondeur du mal-être.

La métaphore du ring permet de symboliser les nombreuses luttes qui peuvent avoir lieu dans les organisations, qu’il s’agisse de celles pour l’obtention d’un pouvoir hiérarchique ou celles liées à la mise en place de contre-pouvoirs ou à la recherche de pouvoirs d’influence.

Le directeur, un arbitre garant du respect des règles du jeu

Dans cette comparaison avec le ring, les cordes symbolisent les limites établies à ne pas franchir, ce qui doit être respecté mais aussi les objectifs à atteindre. Elles représentent le droit du travail, les règlements intérieurs, les projets d’établissement ou service, les codes déontologiques… Le rôle d’arbitre est tenu par le dirigeant qui doit faire appliquer les règles du jeu en maintenant le cadre (les cordes) et en garantissant le bon déroulement de la mise en scène des différents protagonistes. Il est responsable des tâches à effectuer et des actions à mener, en rappelant les objectifs, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

L’espace du ring concerne tous les acteurs. Il est occupé par les professionnels, l’équipe de direction ainsi que le président et le conseil d’administration. Dans un contexte où les rapports humains s’expriment dans leurs fondements avec la mise en place des différents rôles professionnels et où, de surcroît, les comportements individuels sont en interaction permanente avec les manifestations psychiques spécifiques aux groupes, chaque acteur s’y investit avec sa personnalité.

C’est là que des enjeux de pouvoir avec des phénomènes de leadership, positifs ou négatifs, apparaissent. Certains veulent imposer leur point de vue, d’autres non. Certains créent des conflits, d’autres en ont peur, etc. C’est le lieu de la mise en actes, ceux à produire inhérents aux moyens à déployer pour atteindre les objectifs. Là où s’exprime tout ce qui est de l’ordre du rationnel, avec les réflexions émises, les analyses des problématiques en place. Celles-ci s’effectuent à l’aide d’articulations théorico-pratiques qui revêtent une grande importance pour organiser le travail, coordonner les actions à mener et donner du sens.

C’est encore l’endroit où la dimension psychoaffective dans l’exercice du pouvoir et face au pouvoir s’exprime pleinement sous des formes diversifiées. Il s’agit, entre autres, de l’être et du rôle de chacun, des atteintes au narcissisme, des projections, de la paranoïa, de la perversité, de la dynamique transférentielle et contre-transférentielle, des identifications, du mythe de l’autogestion, de l’ambivalence à l’égard du dirigeant…

Quand les fantasmes prennent le pas

En cas de défaillance de symbolique, c’est à dire d’insuffisance de loi ou de cadre, soit tout ce qui permet de penser et de prendre de la distance par des articulations théorico-pratiques, nous assistons alors à la prévalence de la dimension imaginaire. Dans des proportions qui varient selon l’ampleur des dysfonctionnements en place, nous pouvons nous trouver en présence de manifestations d’ordre psychotique, avec par exemple des projections, des clivages, des confusions des rôles, une très grande agressivité, des passages à l’acte, des sentiments de toute-puissance… Cette défaillance génère également, par manque de limites, un sentiment d’insécurité, renvoyant chacun à des peurs archaïques inscrites au plus profond du psychisme.

Dans ces conditions, l’imaginaire domine pendant les réunions et les perturbe. Les aspects affectifs sont au premier plan, au détriment du rationnel et de l’objectivité. Les clivages internes aux équipes, avec ceux qui sont perçus comme bons comme les mauvais, entravent la bonne communication entre les professionnels et la direction. Qui plus est, en période de crise institutionnelle en particulier, d'aucuns se retranchent dans le mutisme, tandis que d’autres abordent des aspects futiles aux dépens des vrais problèmes à résoudre.

Le déficit de pensée ne permettant pas une prise de distance indispensable à l’élaboration psychique des problématiques abordées favorise le passage à l’acte qui devient même, dans certains cas, le mode résolutoire des conflits. Ainsi, nous pouvons assister à des propos très agressifs, et même parfois à une pétition auprès de l’employeur pour faire partir le directeur, considéré par quelques-uns comme la cause de tous les maux.

Le rôle d’arbitre de ce dernier est mis à mal, les « cordes du ring » ne délimitant plus les espaces et les rôles. Or, quand celui du directeur n’est pas ou plus respecté, ou que pour différentes raisons sa place n’est pas occupée, aucun rôle ne peut l’être. En effet, le directeur est garant de l’ordre symbolique de toutes les places. Dans un tel contexte et à un niveau paroxystique, les comportements des uns et des autres peuvent être comparés à des affrontements pugilistiques.

Pour que l’institution ne se transforme pas en un véritable ring, pour se sortir de cette situation, l’exercice de la fonction de direction est primordial. Cela nécessite non seulement une délégation de pouvoir suffisante, mais aussi bien entendu tous les savoirs liés à ce métier, sans oublier la prise en compte de la dimension psychoaffective, qui explique les comportements et les vécus. Ainsi, beaucoup d’échecs et de souffrances peuvent être évités, afin de contribuer à une meilleure prise en charge des usagers.

Faire vivre le symbolique

Mais tenir le rôle de dirigeant n’est jamais acquis : il est le point d’équilibre de l’ensemble et nécessite une adaptabilité permanente. L’une de ses tâches principales est de faire vivre le symbolique. Le niveau de dysfonctionnement est inversement proportionnel à la présence de cette dimension. Plus celle-ci est insuffisante et plus l’organisation dysfonctionne.

Pourtant, l’atteinte des objectifs dans un bon climat social en dépend. Donner du sens et du cadre est indissociable non seulement de la présence du symbolique, mais aussi du fait de le faire vivre. C’est la raison pour laquelle le directeur doit y veiller constamment avec son équipe. Le symbolique, qui tire chacun vers le haut, n’est jamais acquis définitivement non plus : la problématique spécifique de chaque situation n’est jamais identique et nécessite une souplesse qui, dans certains cas, peut amener à redéfinir certaines règles, voire à les amender ou en créer lorsqu’elles s’avèrent manquantes.

Sans une attention soutenue à cette dimension et une adaptabilité permanente nous assistons inévitablement à son déclin entraînant, ipso facto, des dysfonctionnements inévitables, avec l’émergence de conflits que subissent tant les usagers que le personnel et la direction.

Dominique Garnier

Carte d’identité

Nom. Dominique Garnier

Parcours. Directeur certifié de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), psychologue clinicien et docteur en psychopathologie clinique et psychanalyse. Il a dirigé pendant plus de 25 ans des établissements sociaux et médico-sociaux et a participé à la formation des directeurs préparant le certificat Cafdes.

Fonctions actuelles. Formateur et consultant.

Dernière publication. Le pouvoir à l’épreuve du quotidien. De ses aspects psychologiques à l'analyse des pratiques de direction, Presses de l’EHESP, collection Vade-mecum pro, 2014

Publié dans le magazine Direction[s] N° 132 - juin 2015






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