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Tribune de Chantal Mornet-Périer
« Développons ensemble la reconnaissance au travail »

02/12/2020

Toute démarche pour promouvoir la reconnaissance au travail nécessite de lever certains freins culturels, puis de s’appuyer sur divers leviers, expose la sociologue Chantal Mornet-Périer. Le premier ? Identifier avec les équipes leurs attentes. D’autres outils facilitent l’insertion des nouveaux embauchés, consolident le sens du travail « bien fait » et les valeurs collectives.

Dans le contexte actuel de crise sanitaire et de fortes tensions, mieux reconnaître le travail et l’investissement des professionnels prend tout son sens. Cela constitue un moyen de lutte contre la dévalorisation de certaines professions, facilite la stabilisation des équipes et aide à l’intégration des jeunes générations et des nouveaux embauchés.

En effet, se sentir reconnu est le premier facteur de satisfaction mis en avant par les salariés, tous secteurs professionnels confondus. La première source provient des collègues, puis de la hiérarchie. La rétribution financière arrive en huitième position. Le sentiment de reconnaissance augmente directement l’engagement des salariés et agit sur la performance des organisations : résultats, qualité, notoriété, qualité de vie au travail, etc. À l’inverse, son défaut est un des premiers risques psychosociaux et provoque des phénomènes de dégradation : absentéisme, turn-over, etc.

Pour faciliter la reconnaissance au travail dans son organisation, il s’agit de lutter contre nos freins culturels et nos stéréotypes en la matière, puis d’identifier les domaines sur lesquels elle se porte et, enfin, de construire des outils et des méthodes partagées.

Des réticences et stéréotypes à dissiper

Trois raisons expliquent sans doute le peu d’outils et de méthodes de reconnaissance dans les organisations françaises. Le premier frein est son assimilation fréquente à la rétribution monétaire. Il arrive qu’une direction propose des modalités d’évaluation plus ou moins explicitées et des ressources correspondantes : augmentations de salaire, avancement, promotion, etc. En second lieu, dans de nombreux esprits, la reconnaissance est forcément descendante : du supérieur hiérarchique vers les collaborateurs. Les cadres, peu outillés ou mal préparés, vont devoir improviser des gestes appropriés sans avoir une conception bien claire de ce qu’attendent leurs équipes et sans ressources ou méthodes spécifiques. Cette attitude est alors conditionnée aux capacités personnelles des managers à savoir l’exprimer. Elle est plus souvent subjective qu’objectivée par des dispositifs formalisés. Le troisième frein est d’ordre culturel. Le mot « reconnaissance » est composé des mots « connaître » et « naissance » avec un préfixe « re » qui indique la nécessité de répéter ou de dire à nouveau [1]. Ainsi, en nommant par des mots, on fait exister, on donne « naissance » à quelque chose au cours d’une interaction (préfixe « co »). Ce qui est généré se rapporte à l’estime de soi, à la fois chez celui qui exprime sa reconnaissance que chez celui qui la reçoit. Il s’agit de porter sur l’autre un regard chargé d’une dimension évaluative avec la particularité de comporter, également, une dimension affective. Ce dans un contexte professionnel.

Ces univers différenciés de la dimension professionnelle et affective peuvent expliquer nos réserves à banaliser les pratiques managériales en la matière. Notre culture favorise souvent des cloisonnements entre sphère personnelle et professionnelle qui induisent une certaine distance.

Quatre dimensions [2] 

La reconnaissance la plus souvent déployée porte sur les résultats. Elle est conditionnée par des échelles ou des barèmes relativement explicités. Elle éclaire sur ce qui est attendu et la contribution de chacun à l’atteinte des objectifs. Elle s’apparente à une évaluation, une appréciation du rendement, de la productivité ou de la performance accomplie.

La deuxième dimension porte sur la pratique du travail et concerne les compétences et l’expérience, investies par la personne ou l’équipe, pour agir en situation. Plus qu’au résultat, on s’intéresse à la façon dont on accomplit le travail et aux savoir-être et savoir-faire à l’œuvre. Cela nécessite alors de bien connaître un métier et le contexte de son exercice.

La reconnaissance de l’investissement, quant à lui, rend compte des efforts consentis pour remplir la mission et obtenir un résultat. Il concerne donc cette part qui se situerait au-dessus du niveau ordinaire et quotidien. Nous pensons là à la crise sanitaire du Covid-19. L’engagement professionnel est alors la dimension subjective, que chacun déploie dans sa pratique, pour dépasser ce niveau médian et atteindre ce qui est jugé comme un résultat de qualité [3].

Enfin, la reconnaissance existentielle. Celle-ci porte sur les qualités et les aptitudes d’un salarié, mais aussi sur sa singularité : ses goûts, ses aspirations, ses affinités. Elle relève de la dignité des personnes, au-delà du contexte professionnel stricto sensu, indépendamment du statut. Il s’agit là d’une reconnaissance de la personne en tant qu’être humain et sujet.

Élaborer collectivement des méthodes

Pour « reconnaître », il faut d’abord « connaître » les conditions réelles de travail, repérer les compétences nécessaires, mais aussi les efforts particuliers pour obtenir un résultat qui corresponde à ce qui est désigné collectivement comme de qualité. Cette démarche ne peut être réalisée qu’avec et par les professionnels eux-mêmes, seuls légitimes à parler de leurs pratiques réelles. Cette première étape implique un inventaire méthodique des situations de travail sur lesquelles les salariés se sentent reconnus ou, au contraire, souhaitent l’être davantage. Il est préférable de constituer des groupes de travail en fonction des métiers plutôt que selon les services.

L’étape suivante consiste à identifier les vecteurs de reconnaissance, c’est-à-dire par qui et comment attend-on de la reconnaissance, dans l’exercice de sa profession. Pas à pas, un véritable dispositif va se construire sur la base de ces concertations et aboutir à une production de connaissances partagées et des outils formalisés.

Trois catégories principales d’outils

Identifier les freins

Un diagnostic des attentes et des pratiques effectives en la matière : c’est un premier outil qui permettra à l’encadrement d’identifier ses propres freins : sont-ils d’ordre organisationnel et méthodologique, plutôt liés à des problématiques de communication ou à des appréhensions de nature relationnelle ? Il s’agira de déceler les limites du fonctionnement en place, le manque d’outils concrets ou la nécessité de développer des aptitudes relationnelles plus grandes pour l’encadrement, par la formation notamment.

Ce diagnostic peut être complété par un questionnaire anonyme à destination des salariés pour évaluer le climat général : quelles sont les pratiques effectives plus ou moins formalisées entre collègues, entre équipes, avec l’encadrement ? Quelles sont les lacunes actuelles ? Quelles sont les attentes ? Cette étape renforce l’idée, auprès des personnels, que la reconnaissance au travail s’appuie sur des bases explicites, rationnelles et transparentes pour garantir un minimum d’équité et d’impartialité.

Encourager les nouveaux salariés

Deuxième outil ? Reconnaître les nouveaux salariés
dès leur entrée dans l’organisation. La nécessité d’encourager les nouveaux embauchés, les stagiaires, les jeunes générations, etc. dès leur arrivée, est apparue comme une évidence. Ces dernières le répètent : elles veulent être reconnues pour leur travail, rapidement et fréquemment, et cela constitue le socle de leur motivation. Si la reconnaissance n’est pas au rendez-vous, les jeunes peuvent se désengager pour aller la chercher ailleurs [4].

Le rapport de confiance, qui s’établit entre un jeune et son employeur, ne s’appuie pas seulement sur des formes de loyauté traditionnelle (c’est lui le chef), mais sur des règles claires et explicites qu’il s’agit d’instaurer le plus en amont possible. Les nouveaux venus seront donc ouverts aux conseils et apprécieront d’être accompagnés par des collaborateurs à qui ils reconnaissent une bonne expertise. Des supports doivent les aider à s’auto-évaluer et être évalués conjointement par un « mentor », dès leur arrivée, afin de mieux se sentir reconnus pour leurs capacités d’adaptation aux exigences du poste de travail. Ces outils de développement de la reconnaissance peuvent compléter des protocoles de tutorat au sein des organisations.

Coconstruire des outils

Enfin, troisième outil : construire de la reconnaissance collective et réduire les tensions. Pour développer la reconnaissance transversale, il faut élaborer des tableaux de bord de suivi, simples et rapides, et y associer des indicateurs de qualité qui désignent ce que les équipes veulent défendre comme valeurs de leur travail : par exemple, respecter l’autonomie d’un résident ou l’accompagner dignement en fin de vie. À ce stade, il faut aider les professionnels à nommer ce qui fait sens pour eux et pour chacun.

Ces valeurs, qui sous-tendent des conceptions « du travail bien fait », font souvent apparaître des tensions entre salariés ou avec l’encadrement, au stade opérationnel. Les tableaux de bord visent donc à établir un consensus qui s’appuie sur une construction collective en continu. Ceci nécessitera de réserver, une fois par mois ou par trimestre par exemple, un temps spécifique pour revenir sur les situations vécues et reconnaître en équipe et avec l’encadrement ce qui a été réussi et ce qui pourrait être amélioré. Le tableau de bord n’est qu’un support qui occasionne un nouvel espace de négociation pour renforcer la cohésion et instituer des pratiques de reconnaissance descendante et transversale.

[1] Brun J. P., Laval Ch. Le pouvoir de la reconnaissance au travail, éditions Eyrolles, 2019.

[2] Cf. les travaux de l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact).

[3] Voir les travaux d'Yves Clot sur le concept de « travail bien fait » et de « qualité empêchée » : Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Paris, La Découverte, 2010.

[4] Une étude des causes de départ des jeunes embauchés établit un lien de cause à effet direct entre le manque de retours et de reconnaissance et la décision de quitter son emploi.

Chantal Mornet-Périer

Carte d'identité

Nom. Chantal Mornet-Périer

Parcours. Docteur en sociologie-sciences de gestion. Masters 2 en sciences de gestion et en sociologie. Certifiée INRS pour la prévention des risques psycho-sociaux (RPS).

Fonction actuelle. Sociologue consultante, fondatrice et dirigeante du cabinet d’étude Aditzea (formation, audit, gestion de conflits, accompagnement au changement, prévention des RPS, développement de la santé et de la qualité de vie au travail).

Site Internet. www.aditzea.fr

Publié dans le magazine Direction[s] N° 192 - décembre 2020






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