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Infirmiers en pratique avancée
Des freins à lever

18/10/2023

Créée en 2018, la profession d’infirmier en pratique avancée peine à trouver sa place, y compris dans le secteur social et médico-social. Pourtant, avec leurs compétences élargies, ces professionnels pourraient contribuer à favoriser l’accès aux soins et offrir aux personnels des perspectives de carrière intéressantes en termes d’attractivité.

Les IPA sont des « experts » qui sont autorisés à conduire « toute activité d'd'orientation, d'éducation, de prévention ou de dépistage ».

Difficile de savoir combien d’infirmiers en pratique avancée (IPA) exercent dans le secteur social et médico-social. Une chose est sûre : ils sont très peu nombreux. Tout mode d’exercice confondu, la France comptait, en 2021, 581 diplômés. En février dernier, l'Unipa, leur union nationale, recensait, quant à elle, un total de 1 643 diplômés et 1 467 étudiants. Soit bien loin des 6 000 à 18 000 professionnels escomptés par le ministère des Solidarités et de la Santé au moment de leur création en 2018… « Nous sommes à un stade embryonnaire », confirme Jean-Pierre Riso. Le président de la fédération de directeurs du grand âge Fnadepa espère toutefois que les IPA vont se développer : « Promouvoir ce dispositif est intéressant dans l’intérêt des personnes âgées que nous accompagnons. Le manque de médecins traitants et coordonnateurs pose en effet de grandes difficultés aux établissements et services, ce qui se traduit parfois par l’absence pure et simple de soins. La création des IPA permet de formaliser un glissement de tâches qui a le mérite de s’exercer dans un cadre légal. »  

Avec leurs compétences élargies et leur niveau de responsabilité accru, ces « infirmiers experts » réalisent des actes habituellement dévolus aux médecins, comme le suivi des patients aux pathologies chroniques stabilisées. Ils sont autorisés à conduire « toute activité d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage » ou à effectuer des actes d’évaluation et de conclusion clinique.

Avec le vieillissement de la population et la pénurie de médecins, le Gouvernement plaçait beaucoup d’espoirs dans leur déploiement. Mais, sur le terrain, les freins restent encore nombreux, comme l’a souligné en juillet la Cour des comptes [1]. L’un des premiers, selon Alexandre Picard, responsable du pôle Vie fédérale et territoires à la Fédération Addiction ? La formation d’une durée de deux ans (niveau master), au « coût important pour l’employeur qui doit aussi libérer l’infirmier qui suit la formation et recruter un remplaçant dans un contexte RH déjà très tendu ».

Des salaires à réévaluer

Autre difficulté : un modèle économique peu rémunérateur pour les professionnels. « Il n’y a pas de grille pour les IPA dans la fonction publique territoriale ni dans le privé. C’est un peu au petit bonheur la chance et à l’IPA de négocier, regrette Jérémie Thezenas, administrateur à l’Association nationale française des IPA (Anfipa). En France, on estime qu’un IPA est payé en moyenne 7 % de plus qu’un infirmier diplômé d'État classique, alors que dans d’autres pays, c’est 35 % », poursuit cet IPA exerçant en neurologie à l’hôpital Simone-Veil (Val-d’Oise). « Au départ, mon projet était d’intégrer un Ehpad, mais cela ne s’est pas fait », témoigne le professionnel qui suit des patients atteints de neurodégénérescences, dont de nombreux résidents d’Ehpad. Où, selon lui, les IPA ont toute leur place : « Aujourd’hui, nous sommes arrivés à saturation du système de santé. Beaucoup d’Ehpad manquent de médecins. Or, les résidents ont besoin d’un accompagnement. Les IPA sont à même d’assurer une prise en charge qualitative au long cours, de gérer les problèmes du quotidien, comme les troubles du transit ou le repérage d’une insuffisance cardiaque, et d’orienter quand cela est nécessaire vers les urgences par exemple, comme un médecin en Ehpad peut le faire. »

Réticences de médecins

Méconnue, la profession suscite surtout des réticences chez certains médecins. Et c’est bien là, pour la Cour des comptes, le frein « le plus fondamental » : des praticiens qui, « par crainte de concurrence », n’orientent pas vers les IPA des patients qui relèveraient pourtant de leurs compétences. Laurent Salsac, secrétaire adjoint de l’Unipa, confirme : « Nous devons faire un travail autour des représentations. Non, les IPA ne se substitueront pas aux médecins ! Quand vous allez aux urgences, c’est bien une infirmière qui vous accueille et vous oriente. Pourquoi ce système-là ne fonctionnerait-il pas en Ehpad ? », s’interroge cet IPA libéral en Indre-et-Loire, qui intervient en Ehpad et en maison d’accueil spécialisée pour des consultations en alternance avec des généralistes, avec lesquels il partage un cabinet.

Les raisons pour lesquelles les IPA se déploient si peu dans les structures médico-sociales sont aussi liées à la rigidité de l’organisation. « Jusqu’à présent, ils devaient signer un protocole avec un médecin, ce qui, en Ehpad, revenait à passer par les médecins traitants de tous les résidents. C’est une limite très importante », explique Laurent Salsac. La loi portant amélioration de l’accès aux soins, dite Rist, devrait apporter plus de souplesse [2] : les IPA pourront avoir un accès direct au patient à condition d’intervenir dans « des structures d'exercice coordonné ». La réforme prévoit aussi de les autoriser à primo-prescrire certains produits ou prestations soumis à ordonnance. Mais, six mois plus tard, le décret d’application se fait attendre…

Pour que les IPA se développent davantage dans le secteur, certains acteurs souhaiteraient que soient créées de nouvelles mentions à la formation pour débloquer certaines situations et mieux s’adapter au public : la Fnadepa défend ainsi une mention « gériatrie-gérontologie », la Fédération Addiction une spécialisation en addictologie. Car malgré ces freins, bon nombre d’acteurs du médico-social restent convaincus par le principe. « Là où c’est mis en œuvre, cela s’avère vertueux et efficace, même s'il faut bien travailler la coordination des uns et des autres pour sécuriser les pratiques », témoigne Jean-Pierre Riso.

Des enjeux RH

Même le secteur social peut avoir intérêt à recourir à un IPA. Exemple au centre départemental de l’enfance et de la famille de Gironde dont une infirmière suit une formation à la pratique avancée. « Face à la pénurie de temps médicaux, nous avons réfléchi à différentes pistes, dont l’IPA, qui correspondait aussi à l’aspiration de l’une de nos infirmières, expliquent David Brochard et Romane Garrigue, directeurs adjoints. Nous accueillons des enfants qui ont des prescriptions de psychotropes parfois caduques, mais pas de médecins psychiatres pour faire les renouvellements. Ce qui peut créer des ruptures thérapeutiques. Le but est de sécuriser juridiquement les prises en charge. » Une fois diplômée, l’IPA rencontrera les nouveaux arrivants dans l’établissement pour réaliser un premier bilan et mettre en place des suivis. Mais son champ d’intervention dépendra du recrutement d’un psychiatre et/ou de la publication du décret de la loi Rist. Malgré ces incertitudes, les managers restent convaincus de la plus-value d’un tel professionnel pour un établissement public de protection de l’enfance : « En tant que directeurs, nous souhaitons garantir aux mineurs un accompagnement adapté et de qualité. C’est aussi une manière d’accompagner nos professionnels qui ont envie d’évoluer dans leur carrière. » Avec, escomptent-ils, un impact positif en matière d’attractivité. Un espoir partagé par Laurence Emin, directrice d’Addiction Méditerranée : « Au départ, quand on a parlé des IPA, certains – et j’en faisais partie – ont râlé, y voyant une manière de remplacer des médecins par des super-infirmiers. Mais en tant que directrice, j’y vois maintenant un intérêt en termes de gestion des ressources humaines : certains infirmiers peuvent en avoir marre de faire de la bobologie à 45 ans et aspirent à évoluer. L’IPA peut être un moyen de les fidéliser. »

[1] Les infirmiers en pratique avancée : une évolution nécessaire, des freins puissants à lever, juillet 2023

[2] Loi n° 2023-379 du 19 mai 2023

Aurélie Vion

Repères

1 643 IPA diplômés et 1 467 étudiants en février 2023, chiffres Unipa.

5 000 IPA : tel était l’objectif visé pour 2023 par l’État.

48 000 € C'est le coût de la formation, hébergement et restauration compris, rapporte la Cour des comptes.

« Réussir à fluidifier les parcours »

Laurence Emin, directrice d’Addiction Méditerranée

« L’une de nos infirmières exerçant en centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie suit une formation pour devenir IPA. L’une des premières difficultés est le coût assez onéreux de la formation et son remplacement comme infirmière. Nous avons été soutenus financièrement par l’opérateur de compétences et l’agence régionale de santé (ARS). L’autre problème est que l’IPA doit s’appuyer sur un psychiatre, puisqu’elle a choisi la mention “psychiatrie et santé mentale”. Or, nous n’en avons pas en interne… Le système actuel est pour le moment très bloquant. J’ai fait une demande de dérogation à l’ARS pour qu'elle puisse au moins renouveler les ordonnances des traitements substitutifs aux opiacés, ce qui permettrait à nos médecins addictologues de se concentrer sur les cas les plus complexes ou les démarrages de traitement. L’objectif étant de fluidifier les parcours. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 224 - novembre 2023






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