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Protection de l’enfance
Le tiers bénévole, l’alternative solidaire

19/01/2022

Seuls quelques départements ont intégré l’accueil durable et bénévole au sein de leur politique de protection de l’enfance. Si son objectif de sécurisation des parcours fait consensus, sa mise en œuvre, parfois déléguée au secteur associatif, nécessite de solides prérequis.

Après le secteur du handicap et celui du grand âge, la protection de l’enfance serait-elle, à son tour, en train de négocier son virage inclusif ? Mi-décembre, Adrien Taquet a répété devant le Parlement l’une des ambitions politiques de son secrétariat d’État depuis trois ans : « Faire évoluer le système vers une institutionnalisation moins marquée et moins systématique, alors même que dans d’autres champs a lieu un vaste mouvement de retour à domicile, marqué par une plus grande écoute des personnes et de leurs besoins. » Levier envisagé par l’exécutif pour y parvenir ? La recherche automatique, avant tout placement en foyer, d’éventuelles personnes ressources susceptibles d’accueillir l’enfant. Une ambition affichée dès la loi de 2016 [1], avec la création de l’accueil dit durable et bénévole, permettant aux départements de confier certains enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à des familles bénévoles. Pourtant, cinq ans après, le dispositif peine encore à intégrer les pratiques.

Pour quels enfants ?

C’est en 2016 que le législateur met à disposition de l’ASE un nouvel outil au service des projets de vie d’enfants pris en charge sur un fondement autre que l’assistance éducative (lire l'encadré). Son ambition ? Concourir à la stabilité des parcours en ouvrant la possibilité de confier régulièrement un enfant à une famille de façon bénévole, et ce le temps de week-ends, de vacances scolaires, voire à temps plein. Enfants potentiellement visés ? Les quelque 3300 pupilles de l’État qui, faute de candidats à l’adoption, pourraient rester « coincés » dans ce statut jusqu’à leur majorité [2]. Sans compter les 10 500 enfants sous tutelle départementale, parfois placés pour des temps longs [3]… L’enjeu, résume Marie-Laure Bouet-Simon, psychologue au conseil départemental du Calvados ? « Pour certains, on sait très vite qu’il n’y aura pas de retour en famille possible. La question est alors de savoir si un horizon, autre que celui de rester en foyer ou en famille d’accueil jusqu’à leur majorité, est envisageable pour eux. L’accueil durable et bénévole vise à travailler un projet leur permettant de s’inscrire sur le long terme auprès de personnes référentes qui prendront une place importante et qui, surtout, seront là pour eux à leur sortie de l’ASE. »

 Leur évitant ainsi de venir grossir les rangs des sans-domicile… « On le sait, la principale problématique des enfants délaissés est celle de l’attachement, d’autant qu’ils peuvent être amenés à changer de foyer ou de référent, poursuit Michèle Camus, vice-présidente de l’association Enfance et familles d’adoption du Nord (EFA 59). C’est pourtant la clé pour qu'ils puissent grandir en sécurité. Ces bénévoles pourront devenir des tuteurs de résilience : des figures vers lesquelles se tourner demain quoi qu’il arrive. » Dernier profil possible, souvent le mieux repéré par les départements : les mineurs non accompagnés (MNA).

Un geste fort de solidarité

Depuis juin 2017, l’association Foyer Notre-Dame accompagne certains de ces enfants venus d’ailleurs au sein du Réseau d’accueil solidaire pour le compte de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) [4]. Tous volontaires, ils sont aujourd’hui une quinzaine, orientés sur proposition de l’ASE et accueillis à temps complet par des familles strasbourgeoises bénévoles « recrutées » à l’issue de campagnes de communication menées par le gestionnaire. « Pour elles, leur engagement, porté par l’ensemble de la cellule familiale, s’appuie sur un vrai choix de vie fondé sur l’échange et la solidarité », explique la cheffe de service Élodie Maillot. À ses côtés, une équipe de quatre éducateurs spécialisés, un art-thérapeute et une juriste assurent, avec l’appui d’un psychologue de la CEA, l’évaluation des foyers candidate. Ainsi que leur mise en lien avec le jeune et leur suivi, particulièrement renforcé les premiers temps (téléphone, mails, visites à domicile une à deux fois par mois minimum…). « Contrairement à des assistants familiaux, ces familles ne sont pas des professionnels, reprend Élodie Maillot. Notre accompagnement consiste essentiellement à les rassurer quant aux possibles difficultés liées au statut administratif des enfants, à leur scolarité, aux situations de racisme… » « Elles ont avant tout besoin de réponses : quels seront les relais en cas de difficultés ? Quels sont les étayages juridiques possibles, en matière d’actes usuels par exemple, ou les aides financières existantes ? », complète Laurent Norga, directeur général d’Ensemble pour l'enfant-Association Sprene. 

C’est l’un des deux gestionnaires retenus par le conseil départemental du Nord pour déployer le dispositif [5], ce sur la base de son expérience acquise dès 2016 au sein d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) proposant un accueil en familles bénévoles pour des MNA. « Nous avons partagé notre savoir-faire et créé un référentiel commun pour l’évaluation, aujourd’hui assurée par les équipes éducatives et le chef de service, sans compter un psychologue si nécessaire », reprend Laurent Norga. De son côté, le territoire, où une vingtaine d’enfants sont pris en charge dans le cadre de l’accueil durable et bénévole, s’est mis en ordre de marche dès 2020. « La piste du tiers bénévole est inscrite depuis au sein de notre propre feuille de route de protection de l’enfance, indique la vice-présidente en charge Marie Tonnerre. Une chargée de projets a même été désignée pour piloter ce programme, en particulier pour pallier les carences éducatives des tout-petits. »

Des départements trop frileux ?

Si, pour ces territoires engagés, l’intérêt d’un tel outil ne fait aucun doute, inutile de se mentir. Lorsqu’elle s’exerce à temps complet, cette alternative au placement permet de pousser les murs de structures collectives saturées, notamment dans les zones transfrontalières. « Nous connaissions à l’époque une augmentation exponentielle du nombre de MNA et étions confrontés à une saturation de notre dispositif d’accueil pourtant important, raconte Sabine Frédéric, cheffe de projets Pratiques professionnelles et innovations à la direction de l’ASE de la CEA, aujourd’hui impliquée dans une vaste structuration de son offre de tiers bénévoles. L’accueil durable et bénévole s’est également révélé une solution mieux adaptée aux plus jeunes d’entre eux. » Attention tout de même à ne pas en dévoyer le fondement, s’inquiète Bérangère Dejean, conseillère technique Protection de l’enfance à la convention d’associations Cnape : « Ce dispositif n’est pertinent que s’il est vraiment mis au service de l’intérêt de l’enfant. Il ne doit pas être un moyen de pallier le manque de places. »

Reste que pour les exécutifs locaux qui, en 2021 encore, ont vu leurs dépenses nettes d’ASE s’alourdir de 3 %, l’option peut s’avérer financièrement gagnante [6]. « C’est sûr qu’en termes de coût, l’accompagnement de 20 enfants équivaut à deux en foyer, évalue Intissar Koussa, responsable des actions France au sein de France Parrainages qui pilote depuis 2018 le projet Familles solidaires pour le Val-de-Marne. Mais quoi qu’il arrive, ce ne sera jamais un programme de masse, l’objectif reste de faire du qualitatif. »

Une technicité nécessaire

Pourtant, cinq ans plus tard, le dispositif n’a pas essaimé partout. Difficile même d’obtenir une vision nationale de son déploiement, le secrétariat d’État lui-même renvoyant aux départements pour se faire une idée du chemin encore à parcourir… « Il a beau exister dans les textes depuis 2016, dans les faits peu de nos associations membres y sont impliquées, confirme Lorette Privat, également conseillère technique Protection de l'enfance à la Cnape. Et quand elles le sont, ce qui est récent, elles manquent cruellement de recul… » « Beaucoup de travailleurs sociaux de l’ASE ne connaissent même pas ce statut, abonde Marie-Laure Bouet-Simon, par ailleurs formatrice et consultante sur le sujet auprès de nombreux conseils départementaux. La mise en œuvre nécessite une réelle technicité. À savoir une évaluation éclairée pour mesurer l'adéquation d'un tel projet avec le profil de l’enfant et la recherche du tiers lui correspondant. L’accompagnement éducatif devra ensuite s’inscrire dans la durée. » 

Autant d’évolutions qui requièrent pour l’ASE de disposer d’une denrée devenue rare : le temps, celui nécessaire à l’investigation préalable. « Tout cela ne peut reposer sur les épaules des seuls éducateurs, déjà surchargés, s’inquiète Michèle Camus. Il est urgent d’outiller les services avec des psychologues et des éducateurs susceptibles de suivre les familles et les enfants.» Autre prérequis indispensable ? « Une grande réactivité que les professionnels peuvent craindre de ne pas pouvoir garantir », analyse de son côté Sabine Frédéric. « L'ASE reste détentrice de l’autorité parentale, essentielle à l’accomplissement de certains actes au quotidien, illustre Élodie Maillot. Nous disposons d’un interlocuteur dédié au département, qui participe chaque semaine à des réunions de concertation. N’oublions pas que nous ne sommes pas là dans un schéma classique de la protection de l’enfance. Cest un système vivant, entre eux et nous : on a donc besoin d’une grande flexibilité et d’une fluidité dans nos échanges. » 

Surmonter les réticences ?

C’est donc un véritable changement de pratiques professionnelles que demande le recours à de bonnes volontés… non professionnelles. « C’est vrai, sortir ainsi des sentiers battus nécessite de faire preuve d’humilité et de faire un pas de côté, reprend Élodie Maillot. Car on se retrouve face à une famille bénévoles qui vient là avec ses bagages et qui est force de propositions. » « Il est très difficile d’intégrer ce secteur quand on n’appartient pas au système institutionnel, témoigne de son côté Intissar Koussa. On sent parfois une certaine réticence des travailleurs sociaux, qui semblent craindre qu’on fasse à leur place. Mais c’est impossible ! » « De toute façon, cette modalité de placement ne peut être appropriée pour tous, certains enfants auront toujours besoin de professionnels pour les accompagner, recadre Bérangère Dejean. Ce qui pose d’ailleurs la question des besoins du tiers en termes de soutien par exemple : est-il suffisamment armé pour accueillir tout type d’enfant ? »

Véritable innovation pour les uns, l’accueil durable bénévole ne serait en réalité que la suite logique d’un tournant amorcé il y a quelques années. « Les dispositifs étant saturés et le profil des jeunes évoluant, il a fallu diversifier l’offre, analyse Sabine Frédéric. L’irruption de nouvelles modalités de placements, dits à domicile, ont contraint l’ASE à travailler différemment dans une co-éducation avec les parents, puis avec les tiers en général. » « Sortir du tout-placement a changé la place des parents, abonde Laurent Norga. Aujourd’hui, la nouveauté, c’est de considérer qu’à côté d’eux, il y a d’autres ressources auxquelles penser afin, là encore, d’éviter le placement. » Un tournant bien amorcé finalement.

[1] Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant

[2] « La situation des pupilles de l’État. Enquête au 31 décembre 2019 », ONPE, octobre 2021, sur https://onpe.gouv.fr

[3] Aide sociale départementale, chiffres de 2020, Drees, sur https://drees.solidarites-sante.gouv.fr

[4] Lire Direction[s] n° 170, p. 22

[5] Avec la Sauvegarde du Nord.

[6] « Dépenses sociales et médico-sociales des départements en 2020 », La Lettre de l’Odas, octobre 2021, sur https://odas.net

Gladys Lepasteur

Quel cadre légal ?

Le tiers est recherché dans l’environnement de l’enfant, parmi les personnes qu’il connaît déjà, ou d’autres susceptibles de l’accueillir durablement et de répondre à ses besoins de façon adaptée. L’évaluation de sa situation comporte au moins un entretien à domicile avec l’ASE. Tous les majeurs vivant chez lui ne devront pas avoir fait l’objet de certaines condamnations. Au préalable, l’avis de l’enfant et l’accord des titulaires de l’autorité parentale (ou des tuteurs et conseils de famille pour les pupilles de l’État) sont recueillis. Ensuite, le conseil départemental met en place un accompagnement et un suivi du tiers, éventuellement par un organisme habilité (entretiens, visites à domicile…) pour s’assurer de l’adéquation de l’accueil avec le projet pour l’enfant et de la prise en compte de ses besoins fondamentaux. Un référent rencontre régulièrement le tiers et l’enfant et les modalités selon lesquelles l’ASE peut être jointe en cas d’urgence sont fixées.

Décret n°2016-1352 du 10 octobre 2016

« Une guidance bienveillante »

Marie-Laure Bouet-Simon, psychologue au conseil départemental du Calvados, formatrice et consultante

« On ne peut attendre de ces bénévoles ce qui pourrait l'être d’une famille d’accueil ou même d’une famille adoptante. L’accueil durable bénévole nécessite donc un changement de posture professionnelle. L’accompagnement du tiers requiert une forme de guidance bienveillante qui diffère du rôle de contrôle de l’ASE. Tout cela peut être nouveau pour les travailleurs sociaux, par ailleurs très mobilisés par les tâches administratives. Pour réussir, il faut donc se donner le temps de dégager du temps, d’oser de nouvelles pratiques et finalement de prendre des risques mesurés. Au final, l’enjeu est que l’enfant puisse s’inscrire dans une continuité avec des personnes qui s’engagent à ses côtés de façon gratuite, lui permettant de percevoir qu’il a de la valeur aux yeux des autres. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 205 - février 2022






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