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Entreprises adaptées de travail temporaire
Un équilibre précaire

17/05/2023

La pérennisation des entreprises adaptées de travail temporaire, lancées à titre expérimental en 2018, a été annoncée dans le cadre de la Conférence nationale du handicap? fin avril. Si les premiers retours montrent un impact social positif, leur modèle économique, lui, reste très fragile, de l’aveu même des acteurs. Au risque d’un échec ?

« Seul 1 % de l’activité d’intérim est réalisé par des personnes en situation de handicap. On doit pouvoir atteindre les 3 % », indique Éric Chanel.

Favoriser une insertion professionnelle durable des personnes handicapées via l’intérim. Au premier abord, l’idée paraît paradoxale. D’abord, parce qu’une mission de travail temporaire est par définition de courte durée. Ensuite, parce qu’intégrer une personne handicapée dans une entreprise requiert souvent des aménagements de poste ou, à tout le moins, une anticipation au sein des services qui l’accueillent... Pourtant, c’est le but poursuivi par la création des entreprises adaptées de travail temporaire (EATT), permise par la loi Avenir professionnel de septembre 2018.

Initialement prévue jusqu’en décembre 2022, l’expérimentation a finalement été prolongée d’un an pour tenir compte du retard pris en raison de la crise sanitaire, sur décision du Conseil interministériel du handicap de 2021. Une mesure approuvée par le Conseil national consultatif des personnes handicapées qui, le 21 avril, a donné un avis favorable au décret entérinant ce report. Sans attendre, l’État a annoncé, lors de la Conférence nationale du handicap du 26 avril, la pérennisation de cette innovation.

« Agence matrimoniale de l’emploi »

La mission de ces structures, entités à part entière dotées d’une personnalité juridique distincte de l’entreprise adaptée (EA) qui les crée : proposer aux personnes handicapées accueillies un accompagnement social et professionnel individualisé, après signature d’un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l’État. Par exemple? en les amenant à suivre des formations pré-qualifiantes et qualifiantes, pour les aider dans la construction de leur parcours. « Nous apportons des opportunités d’emploi, nous n’en créons pas nous-mêmes », résume Éric Chanel, directeur de Handicap intérim, EATT créée par APF France handicap en partenariat avec Adecco, qui compte aujourd’hui déjà trois agences à Paris, Bordeaux et Val-de-Reuil (Eure). Il revendique d’apporter aux entreprises une expertise en matière de handicap, et aux personnes handicapées une connaissance des besoins des acteurs économiques à même de leur permettre d’affiner leur projet professionnel et, par exemple, de reprendre une formation si besoin. Au bout du compte, les EATT représentent, à ses yeux, un « tiers de confiance », voire une « agence matrimoniale de l’emploi ».

Un nouveau public ?

Inspirées des entreprises de travail temporaire ETTI nées dans le champ de l’insertion par l’activité économique au bénéfice des plus éloignés de l’emploi, les EATT, elles, suivent exclusivement des personnes dotées d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Ces dernières peuvent les solliciter directement ou leur être adressées par le service public de l’emploi (Pôle emploi, missions locales, Cap emploi). Des publics souvent inconnus des EA, confirme François Gillet, directeur général de l’association Sinclair, à Mulhouse (Haut-Rhin), à la tête d’Up'intérim Alsace, qui a choisi le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). De nouveaux profils également plus jeunes et mieux formés : seuls 13 % d’entre eux ne disposent d’aucune qualification.

Pour autant, les liens avec les EA déjà installées dans les territoires existent. Ainsi, APF France handicap s’appuie-t-elle sur son réseau d’EA et sa connaissance des acteurs économiques locaux pour déterminer les lieux d’implantation des futures EATT. Up'intérim, de son côté, a d’emblée rassemblé dans sa SCIC bretonne la moitié des EA de la région tandis qu’en Alsace, l’agence de Mulhouse, davantage en lien avec des EA de son département, démarre plus rapidement que celle de Strasbourg, plus isolée.

La qualité, plus que la quantité

À six mois de la fin de l’expérimentation, l’heure est aux premiers bilans. « Nous devrions atteindre 25 à 30 % de sorties positives, soit une entrée en formation, un CDD de plus de six mois ou un CDI, se félicite François Gillet. Sur les trois premiers mois de l’année, nous sommes déjà à douze sorties positives. L’expérimentation atteint globalement ses objectifs. » Pourtant, pas toujours simple de trouver les bons candidats, reconnaissent les promoteurs. L’écart reste trop souvent important entre les personnes reçues et celles finalement accompagnées. Et, plus encore, entre celles-ci et les hommes et femmes qui finalement se verront attribuer une mission. Ainsi, par exemple, au 31 décembre 2022, en deux ans et demi, Up'intérim Bretagne avait-elle reçu dans ses quatre agences plus de 6 000 personnes. Moins de la moitié était inscrite et 550 avaient rempli au moins une mission en intérim. Même ordre de grandeur en Alsace où, en un an, sur les 1 603 personnes inscrites, on compte « seulement » 140 mises en poste. Des chiffres qui, selon Erwan Pitois, président de la SCIC Up'intérim Bretagne et du réseau national Up'intérim, s’expliquent par le fait qu’une fois reçues, toutes les personnes ne souhaitent pas s’engager en intérim.

D’autant que, comme pour les autres demandeurs d’emploi, il s’avère parfois compliqué de trouver le bon profil pour la bonne offre d’emploi. Et une fois repéré, reste encore à le faire accepter par les entreprises qu’il convient encore souvent de convaincre, observe Olivier Gény, directeur de Cap emploi Hérault et référent pour les EA du réseau national Cheops. « Nous avons jusqu’à présent beaucoup accompagné, à juste titre, les personnes. Nous devons désormais aussi accompagner davantage les entreprises. » Il parle de nécessaire « évangélisation ». À ses yeux, les missions courtes d’intérim ne peuvent fonctionner pour les personnes handicapées, sauf à les avoir anticipées avec les acteurs économiques. Un inconvénient pour les EATT, dans leur mise en concurrence avec l’intérim classique.

Une assise financière solide

De l’aveu de tous, l’équation économique du modèle est intrinsèquement complexe. Pour les gestionnaires, se lancer dans la création d’une EATT requiert une capacité d’investissement importante qui les contraint souvent à partir groupés, à l’image des créateurs d’Up'intérim, ou à s’appuyer sur une association nationale, à l’instar d’APF France handicap. D’autant que, pour mener à bien leur mission, les structures ont besoin de temps pour réaliser ces accompagnements fins et individualisés. Lesquels mobilisent un accompagnant pour cinq intérimaires, contre une quinzaine en ETTI et une soixantaine en intérim ordinaire, dénombre Erwan Pitois. Sans compter le travail préliminaire : il estime ainsi à huit heures le temps d’accompagnement individuel préalable à toute prise de poste. « Nous devons éviter à tout prix de faire du volume pour le volume. Cela fragiliserait les personnes », argumente-t-il. Dès lors, à ses yeux, le montant de l’aide au poste doit être revalorisé. Elle plafonne à 5 000 euros (contre 11 000 euros pour les EA socle). Elle devrait être accrue de 30 à 40 % milite Up’interim. Autre attente : ramener à 133,3 (contre 151,67) le nombre d’heures de mission effectuées pour déclencher l’aide au poste. Enfin obtenir un déplafonnement pour que les heures de mission réalisées au-delà des 35 heures hebdomadaires soient comptabilisées dans le calcul mensuel des aides, alors qu’actuellement, ces dépassements sont ignorés. « Aujourd’hui, seul 1 % de l’activité d’intérim est réalisé par des personnes en situation de handicap, relève Éric Chanel. Pour moi, on doit pouvoir atteindre au moins les 3 %. » À condition toutefois que les préconisations des acteurs du secteur soient prises en compte par les pouvoirs publics. « Si elles ne sont pas suivies, il y aura faillite de l’expérimentation », prévient Erwan Pitois.

Sophie Massieu

Deux expérimentations pour un même « changement d’échelle » 

Outre les EATT, la loi de 2018 a lancé une autre expérimentation : celle des CDD Tremplin. Le principe ? Le recrutement par les EA habilitées de personnes porteuses de handicap qu’elles doivent former, en vingt-quatre mois au maximum, avant qu’elles ne gagnent le milieu ordinaire, particulièrement dans des métiers dits d’avenir, comme le numérique. Dans une circulaire de janvier 2023 [1], le ministère du Travail rappelle que ces deux dispositifs poursuivent un but commun : permettre aux EA de produire un « changement d’échelle », autrement dit de faciliter les transitions professionnelles des personnes handicapées et leur insertion en milieu ordinaire. Ce même texte prolonge, en soutien, le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) - EA jusqu’au 31 décembre 2023.

[1] Circulaire n° DGEFP/MIP/METH/MPP/2023/14 du 7 avril 2023

Repères

- 5 022 euros : c’est, par an et par équivalent temps plein, le montant de l’aide à l’accompagnement en EATT

- Automne 2023 : publication prévue du rapport d’évaluation de l’expérimentation 

- 2024 : pérennisation envisagée des EATT dans le Code du travail.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 220 - juin 2023






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