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Pouponnières
Poussées à bout

19/02/2025

En première ligne pour prendre en charge les enfants placés de moins de trois ans, les pouponnières peinent à répondre à la demande en hausse. Devenu chronique, le sureffectif menace la qualité de l’accueil et met à mal les professionnels. Suffisant pour les pousser à réclamer le lancement d’un plan national pour garantir le bon développement des plus petits.

« Un nourrisson qui dort bien sera bien plus disponible pour interagir avec l’autre », assure Stéphane Audrouing (Village Saint-Exupéry du Maine-et-Loire).

« Dans notre pays, on sait pourtant faire des plans blancs et répondre à de grandes crises, s’agace la députée PS Isabelle Santiago. Celle-ci en est une, tant la situation relève de l’urgence absolue pour certains bébés accueillis en protection de l’enfance. On doit être capable de se mettre autour de la table pour trouver des solutions. » Il y a près de dix mois, la parlementaire, alertée par les professionnels mobilisés, décidait de réserver à une pouponnière du Puy-de-Dôme la première sortie de la toute nouvelle commission d’enquête sur les manquements de la protection de l’enfance : « sureffectif chronique », « épuisement des professionnels », « souffrance psychique » des enfants, « retour de l’hospitalisme » même… À son paroxysme, la crise que traverse alors l’établissement témoigne de structures mises en difficulté par la tension sur l’accueil perçue partout sur le territoire et la pénurie de personnels suffisamment formés. Pour desserrer l’étau sur ces établissements essentiellement publics [1], l’urgence est-elle à un nouveau plan Pouponnières, cinquante ans après le premier qui a conduit à une petite révolution dans les modalités de prise en charge de ces enfants, sous l’impulsion de la ministre des Affaires sociales d’alors, Simone Veil ? La question se pose dans un pays ayant fait, dès 2021, des « 1000 premiers jours » une priorité politique. « Ce qui est sûr, c’est que ces pouponnières ne tiennent que grâce au dévouement des équipes qui font tout pour sécuriser les bébés », assure Jeanne Cornaille, déléguée générale du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso). Pour combien de temps encore ?

Une suractivité persistante

Ces dernières années, les placements des plus petits sont en hausse. Entre 2011 et 2022, l’accueil des moins de six ans s’est accru de 45% [2] – avec, parmi eux, une part non négligeable de nouveau-nés, confirmant l’augmentation des signalements de plus en plus précoces. Signe d’une plus grande sensibilisation de la société aux violences envers les enfants ? Meilleure spécialisation du dispositif de signalement ? Fragilisation croissante des familles ? Insuffisance des dispositifs de prévention (lire l’encadré) ?… En l’absence d’études consolidées, les hypothèses sont nombreuses pour expliquer la tendance, perceptible dans un grand nombre de pays, notamment depuis la crise sanitaire.

Spécialistes de l’accueil des 0-3 ans placés sur décision administrative ou judiciaire, les pouponnières sont aux avant-postes. Pourtant, leur nombre de places, lui, n’a globalement pas évolué ces dernières années, note la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) [3]. Résultat, s’est émue la Défenseure des droits fin janvier dans une décision-cadre [4] : des structures « bien souvent saturées », accueillant « des enfants en surcapacité à la demande des départements ». Le taux d’occupation de certaines atteignant même les 170 %, rapportait le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans un avis trois mois plus tôt. D’autant que pour elles, pensées pour répondre à l’urgence, difficile de passer le relais à des assistants familiaux, dont la population s’érode [5]. De quoi allonger sensiblement la durée moyenne des séjours dans le collectif : + 2,3 mois entre 2021 et 2023.

Un combo explosif 

Partout, la tension est la même : des petits accueillis en surnombre dans des groupes voulus restreints, d’autres amenés à partager des chambres pourtant « individuelles »... Dans un tel contexte, la gestion de toute nouvelle arrivée peut relever du casse-tête. « Nous accueillons aujourd’hui vingt-cinq bébés pour les vingt-et-une places de la pouponnière, sans compter cinq autres qui attendent à l’hôpital qu’une place se libère..., illustre Christelle Faucitano, directrice du foyer départemental de l’enfance (FDE) du Gard. On tente donc de pousser les murs, en prenant en charge jusqu’à neuf enfants dans des groupes de sept, en négociant avec le département pour obtenir des bras supplémentaires, voire en étant contraints d’en refuser certains… Pourtant, en quatre ans, le département a plus que doublé sa capacité d’accueil pour les 0-3 ans. » Les exécutifs locaux ne sont, en effet, pas restés les bras croisés, abonde Florence Dabin, présidente du groupe Enfance à Départements de France (DF) : « Ils n’ont jamais mis autant de moyens sur l’aide sociale à l’enfance – près de 10 milliards en 2023 ! En outre, ils ont toujours été dans l’anticipation pour prévoir les besoins, en travaillant notamment avec leurs partenaires pour connaître l’évolution de la typologie sociétale des familles qu’ils accompagnent. » Et Jeanne Cornaille de confirmer : « Pour absorber la demande, en particulier pendant la crise sanitaire, les départements ont bricolé des solutions à la hâte : prise en charge en sureffectif en familles d’accueil, intervention plus intensive à domicile, accueils sans hébergement, le temps qu’une place se libère, appui de techniciennes de l’intervention sociale et familiale à l’hôpital pour les bébés hospitalisés…  Toutes ces réponses par défaut sont néanmoins susceptibles d’engendrer des ruptures d’accueil. »

Frustration des équipes

Difficile, dans ces conditions, de respecter les normes d’encadrement prévues par la réglementation. Comment réussir à assurer une présence infirmière nocturne, quand 54 % des établissements témoignent de difficultés pour en recruter [1] ? Comment, à l’inverse, se contenter d’une seule auxiliaire de puériculture pour trente bébés la nuit ? « Un tel ratio est insuffisant, vu les besoins des enfants ! balaie Christelle Faucitano. C’est oublier que nous avons affaire aujourd’hui à des tout-petits qui peuvent présenter des troubles et des problèmes médicaux, voire des handicaps. » La journée, le ratio impose la présence d’au moins une auxiliaire pour six enfants. « Vu le sureffectif, le ratio atteint en réalité, une pour huit ou dix ! Tout cela empêche les adultes de répondre à leurs besoins fondamentaux de développement, car ils travaillent dans des conditions émotionnelles très difficiles, eux-mêmes en situation de grande souffrance », s’inquiète Isabelle Santiago, également ex-vice-présidente chargée de l’Enfance du Val-de-Marne, qui plaide pour une révision urgente de la législation. À ces fins, sa proposition de loi visant à instaurer des normes d’encadrement dans les établissements du secteur, déposée à l’Assemblée nationale, en novembre 2024, pourrait s’avérer une opportunité pour répondre à l’urgence. Message reçu par la ministre Catherine Vautrin qui, le 19 février, a promis « d’ici juin » un texte réglementaire révisant les modalités de prise en charge dans les pouponnières, normes d’encadrement compris.

Avec l’aval des départements ? « C’est l’un des enjeux de réflexions menées actuellement avec la Direction générale de la cohésion sociale, en lien avec DF, explique, prudente, Florence Dabin. L’important est que le fruit de ces travaux soit tenable d’un point de vue opérationnel. Et, le cas échéant, que chacun prenne sa part. » Entendre, État compris.

En attendant, pour soulager les équipes et pallier les absences, le recours aux intérimaires progresse. Voire, aux contrats seniors permettant, comme dans le Gard, de faire appel à d’anciennes auxiliaires de l’hospitalière parties précocement à la retraite. Avec parcimonie toutefois. « Toutes les pouponnières sont attachées à limiter le nombre de maternants prenant en charge l’enfant dans la journée pour éviter une perte de repères dans l’attachement, confirme Stéphane Audrouing, directeur du Village Saint-Exupéry dans le Maine-et-Loire, comprenant une pouponnière de quatorze places (dont deux dites d’ajustement). Rajouter des bras supplémentaires désorganise la rythmicité quotidienne et crée des pertes de repères pour les professionnels comme pour les enfants. »

Opération Pouponnières, acte II ?

L’heure serait-elle venue d’une nouvelle mobilisation, plus d’un demi-siècle après l’opération Pouponnières, lancée à la fin des années soixante-dix ? « C’est bien un bond qualitatif de cette envergure qui est nécessaire aujourd’hui. La façon dont vivaient alors les bébés dans des orphelinats avait créé un scandale et permis le lancement de travaux, préludes à un grand plan », assure Isabelle Santiago, qui espère bien que l’histoire se répète.

Une telle mobilisation devra concilier mesures d’urgence et enjeux de plus long terme, comme celui de la formation, s’accordent les acteurs. « Avoir un diplôme d’éducatrice de jeunes enfants ou d’auxiliaire n’est pas suffisant, confirme Christelle Faucitano. On le voit d’ailleurs quand on intègre des personnels venus des crèches : pour elles, le choc est rude. Une formation spécifique est nécessaire sur les besoins de l’enfant en protection de l’enfance, en particulier en pouponnières où on assure de l’accueil d’urgence ! »  

Autre priorité pour des réponses individualisées ? L’adaptation du bâti, promeut le directeur du Village Saint-Exupéry, dont la pouponnière a, en 2018, changé de locaux. « Les enfants ont gagné 30 à 45 minutes de sieste par jour, grâce au nouvel environnement phonique plus préservé. Or, on sait qu’un nourrisson qui dort bien sera bien plus disponible pour interagir avec l’autre. »« L’organisation de l’espace a été pensée il y a cinquante ans, avec une vision très sanitaire, résume Jeanne Cornaille. L’idée aujourd’hui est d’aboutir à une logique de micro-unité, comportant des groupes de cinq enfants maximum, permettant de retrouver un fonctionnement quasi “familial”. » Ces aménagements pourront-ils bénéficier des dispositifs de financement en faveur du parc immobilier de l’enfance protégée, récemment soufflés à l’État par le directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations [6] ?

Au-delà, outre un travail accru pour étayer les parents, la solution passe surtout par la diversité des réponses, s’accordent les acteurs. « Les pouponnières sont censées être des lieux où les enfants restent peu. Or, c’est de plus en plus compliqué, vu le nombre de bébés à accueillir, indique Christelle Faucitano. Il va donc nous falloir imaginer d’autres lieux répondant à leurs besoins tout en étant pensés pour leur permettre de vivre longtemps ensemble. » Charge au haut-commissaire à l’enfance, dont la nomination était imminente m-février, d’en décider.

[1] Les établissements de protection de l’enfance 0-3 ans en France, état des lieux, Gepso, décembre 2024

[2] La protection de l’enfance est en danger,avis Cese, octobre 2024

[3] L’aide sociale à l’enfance – Édition 2024, Les dossiers de la Drees n° 119, juillet 2024

[4] Décision-cadre du 29 janvier 2025

[5] Lire Direction[s] n° 196, p. 4

[6] Lire Direction[s] n° 238, p. 7

Gladys Lepasteur

« Une réanimation affective adaptée »

Daniel Rousseau, pédopsychiatre au foyer départemental de l’enfance du Maine-et-Loire

« L’hospitalisme fait référence au tableau clinique décrit, à la fin de la guerre, chez des nourrissons qui, séparés de leur mère pendant plusieurs mois, évoluaient vers un état de marasme physique et psychique pouvant aboutir à la mort pour un tiers d’entre eux. Si, selon les structures, certains enfants peuvent encore présenter des signes de souffrance psychique ou de dépression, on est loin de ce syndrome qui a aujourd’hui disparu, en particulier grâce à l’opération Pouponnières qui a profondément modifié les modalités de prise en charge institutionnelle des jeunes enfants placés en collectivité. En revanche, des enfants meurent encore à domicile du fait de négligences graves qui doivent être considérées comme de l’“hospitalisme intra-familial” ! Le bien-fondé de l’accueil collectif ne doit donc plus faire débat. Il faut arrêter de raisonner en termes de lieu d’accueil mais bien en termes de parcours. Pour certains bébés qui vont mal, la pouponnière constitue un passage obligé qui ne doit évidemment pas durer dans le temps : un lieu susceptible de leur prodiguer une réanimation affective et psychique adaptée, grâce à des professionnels formés pour cela. »

« Améliorer la prévention »

Christelle Faucitano, directrice du centre départemental d’accueil des familles et du FDE du Gard

« Le repérage des situations à risques s’est beaucoup amélioré (PMI, hôpital…) et des progrès ont été faits en termes d’outils d’évaluation. La question est maintenant d’envisager ce qui peut être mis en place concrètement après et ainsi améliorer la prévention, en travaillant avec les parents pour éviter les placements. De nombreux dispositifs existent – le centre départemental d’accueil des familles du Gard dispose notamment d’un centre parental d’urgence et d’un relais parental, où les enfants peuvent être pris en charge quelques heures ou quelques jours le temps que les parents soufflent. De quoi étayer les familles avant d’envisager une mesure de protection. Or, tous ces dispositifs sont trop souvent utilisés à des fins de protection, laquelle prend toute la place tant la pression sur l’accueil est forte. On a inversé le système ! Si l’on ne s’attache pas à développer des outils de prévention (primaire, secondaire et tertiaire), alors chaque fois qu’on créera dix places d’hébergement, il en faudra vingt le lendemain. »

Repères

- 30 à 40 % des départements ne disposent pas d’accueil collectif pour les 0-3 ans (enquête Gepso).

- 70 pouponnières publiques ou sections dans les centres départementaux de l’enfance (enquête Gepso). 

- 42 % des enfants retournent en famille à la sortie, 41 % chez un assistant familial (ONPE, 2019).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 239 - mars 2025






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