Comment envisagez-vous votre mission ?
Sarah El Haïry. Trois verbes guident notre action : protéger, prévenir et accompagner. Le Haut-commissariat a la force du temps pour trouver des réponses aux racines des difficultés, notamment via la prévention et la formation des professionnels, avec comme fil rouge la pluridisciplinarité. L’enjeu est de matérialiser une politique publique globale, de la santé périnatale à la petite enfance, en passant par la scolarité. Tout cela, en accompagnant les familles par un soutien aux parentalités et avec la participation des enfants. J’en ferai un élément majeur de méthode. Sans oublier les moments où les jeunes font face à la justice : c’est notre travail, en lien avec la Protection judiciaire de la jeunesse et les juges des enfants, que d’apporter des solutions préventives et protectrices face à toutes les maltraitances.
Que répondez-vous aux critiques sur l’absence d’un ministère dédié ?
S. E. H. J’ai été ministre et je mesure la valeur d’un Haut-commissariat. Nous avons la capacité de mobiliser l’ensemble des administrations, de coordonner l’action en interministériel, pour remettre l’enfant au cœur des priorités. Ma mission c’est, pour tout projet les concernant, de porter leur intérêt supérieur et leur prise en compte pour une politique à leur hauteur. Actuellement, la continuité de l’action est primordiale. Nommée par le président de la République, lui seul peut mettre fin à mes fonctions. Je m’attacherai à répondre aux urgences comme celle de la protection de l’enfance, mais aussi à agir à moyen terme, sur les questions de santé par exemple, et sur le long terme pour bâtir une société plus bienveillante.
Quelles sont vos priorités ?
S. E. H. Elles sont nombreuses. Il faut sonner l’alarme sur la question des écrans en mettant l’ensemble des acteurs autour de la table. Les conséquences sont dramatiques : myopie, explosion de l’obésité, dégradation à une vitesse effrayante de la santé mentale des jeunes… L’autre urgence, c’est l’aide sociale à l’enfance (ASE), en crise. Il faut repenser l’ensemble du système en apportant des réponses plurielles. Ce n’est pas qu’un sujet de moyens financiers. On consacre une partie des « 50 000 solutions » aux enfants en situation de handicap de l’ASE, on rénove le bâti grâce aux 350 millions d’euros de prêts bonifiés de la Caisse des dépôts… Mais cela ne suffit pas à régler le problème du fonctionnement de cette politique.
Le rapport Santiago dénonce la faillite de la République…
S. E. H. Ce mot est fort car il signifie que nous n’avons pas réussi à protéger les enfants qui en ont le plus besoin. Les différences d’accueil ou d’accompagnement des jeunes majeurs d’un territoire à l’autre, par exemple, ne sont pas entendables. Il n’y a pas de révolution législative à faire : on a fait évoluer le parrainage, le mentorat, l’adoption prioritaire des assistants familiaux de l’enfant, etc. La responsabilité de l’État est d’accompagner les départements pour faire appliquer la loi, partout et pour tous.
Par quels moyens ?
S. E. H. À court terme, la réponse est la désinstitutionalisation, pensée et portée dans l’intérêt de l'enfant. Il faut renforcer les décisions administratives en redonnant toute leur place aux parents. La loi Taquet a posé comme réponse première l’accueil dans l’entourage familial (tiers digne de confiance, accueil durable bénévole). Aujourd’hui, encore 70 % du placement se fait en institutions, mais ces dernières n’ont plus la capacité d’accueillir correctement. Il faut rechercher plus systématiquement un tiers, quitte à revoir son statut : je pense aux indemnités liées aux frais de l’enfant, à la nécessité d’un administrateur ad hoc, ou encore à une action éducative en milieu ouvert pour soutenir les familles. La situation des pouponnières est dramatique. Elles doivent redevenir des lieux d’accueil temporaire, adaptés et accompagnés. Cela suppose aussi de fixer des normes d’encadrement adaptées, et de développer les profils d’assistants familiaux thérapeutiques.
Comment, justement, attirer de nouveaux profils ?
S. E. H. Je souhaite lancer une série d’actions concrètes pour valoriser ces professionnels : améliorer leurs conditions de travail, l’accès à la formation et l’évolution professionnelle, la promotion de leurs compétences, etc. Face à cette crise d’attractivité, il va nous falloir faire preuve d’imagination. Je formulerai des propositions qui seront expertisées : par exemple proposer à des familles adoptantes qui ont envie d’accueillir un enfant d’être des assistants familiaux, permettre aux professionnels qui partent à la retraite de devenir des personnes-ressources, lever la barrière du cumul d’emploi pour donner l’opportunité aux fonctionnaires d’y accéder également. Surtout, il faut soutenir celles et ceux qui, au quotidien, sont aux côtés des enfants. Les professionnels font un travail remarquable, souvent dans des conditions difficiles. C’est notre devoir de les aider autant qu’ils aident les enfants.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 241 - mai 2025