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Convention collective unique étendue
Au pied du mur

12/10/2022

Les travaux de la convention collective unique étendue (CCUE) sont officiellement ouverts dans la branche associative Bass. Face à des employeurs décidés à aller vite, le camp syndical construit le rapport de force et fait du sort des derniers oubliés du Ségur un casus belli. Un chantier suivi de près par l’État qui y voit un moyen d’améliorer l’attractivité du champ.

Le 4 octobre 2021, les membres d’Axess ont officiellement lancé leurs travaux sur la CCUE. De gauche à droite 

« Certes, le chantier s’annonce compliqué vu le contexte. Mais cette fois, il est lancé : il n’y a plus de recul possible. » Le volontarisme de Patrick Enot, chef de file de la délégation employeur Axess, sera-t-il suffisant pour parvenir à doter, enfin, la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Bass) d’une convention collective unique étendue (CCUE) ? Voué à remplacer les conventions collectives nationales (CCN) existantes, le futur cadre se veut au service de l’attractivité du champ, plus que jamais confronté à la « grande démission ». À la table de la commission mixte paritaire (CMP), les représentants de la confédération Axess font face aux organisations syndicales représentatives (CFTD, CGT, FO et Sud) dans une ambiance parfois tendue. Car, à leur côté, s’est invité un autre acteur : la colère des oubliés du Ségur dont le sort est posé comme préalable à toute entrée en négociation par certains partenaires sociaux. Un message adressé aussi aux pouvoirs publics, grands absents des échanges. Du moins, en apparence…

Alignement de planètes ?

La CCUE a longtemps fait figure d’Arlésienne. Pourtant, le diagnostic est connu : « vieillottes », « archaïques », « peu adaptées aux enjeux actuels »…, les CCN du 31 octobre 1951 (CCN 51) et du 15 mars 1966 (CCN 66) ont l’âge de leurs artères et les défauts de la maturité, attaquent leurs détracteurs. Suffisant pour convaincre la fédération employeur Nexem d’ouvrir la voie en lançant son propre projet, passant par la fusion administrée en 2021 de la CCN 66-79 et des accords applicables aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) [1]. Une première étape vue d’un bon œil par le ministère du Travail, décidé à rationaliser le nombre de branches.

Mais c’est bien la crise sanitaire qui a accéléré le calendrier. Inquiet de la désaffection des
professionnels de première et seconde lignes, l’État a sifflé la fin de la partie. « Son intervention a été décisive car il a usé du seul levier inutilisé jusqu’ici : le chantage au financement », assène Benjamin Vitel, secrétaire national de la CFDT-Santé sociaux. Le deal, formalisé dans l’accord Laforcade [2] ? L’octroi de la prime de 183 euros à certains professionnels contre le rapprochement « effectif » des deux principales CCN. Au moins pour commencer… Car, si du côté de la CCN du 26 août 1965, l’adhésion au projet se confirme (lire ci-dessous), quelle place pourrait être faite demain à la branche de l’aide à domicile (BAD), elle aussi « invitée » il y a dix ans à élaborer un texte unique contre la promesse de revalorisations salariales ? « Vu la différence de tarifs entre services et établissements, les prix exploseraient si la BAD devait s’aligner sur la Bass, balaie Laurence Jacquon, directrice adjointe du réseau national associatif ADMR. De toute façon, nous avons déjà fait ce travail et nous sommes fortement structurés depuis. » À bon entendeur.

« Moderne et modulaire »

Le cap est donné par les organisations patronales Nexem et Fehap, désormais seules aux commandes d’Axess depuis la démission fin 2021 d’Unicancer, alors réticente à l’idée d’un chantier « si précipité ». Sur leur feuille de route validée en février par leurs adhérents : aboutir à un texte « moderne, réaliste et modulaire ». Et surtout u-ni-que, se félicitent notamment les gestionnaires tenus d’appliquer plusieurs CCN. « Tout cela induit de l’iniquité difficile à justifier aux salariés, témoigne Jean-Michel Abry, directeur général de l’association Valentin Haüy (AVH). Nos organisations sont à la merci de contentieux sur la base de ces différences de traitement. L’harmonisation est donc nécessaire. »

Sur la table depuis mi-juillet, le projet patronal de classifications propose un « changement de paradigme » : le nouveau système permettrait de positionner les postes après analyse des qualifications et compétences requises. « L’idée est de ne plus classer les individus, mais les emplois, décrypte Patrick Enot. Pour cela, on tient compte toujours des qualifications nécessaires, mais aussi de la réalité de l’emploi occupé qui doit être appréciée par l’employeur à partir d’un cadre posé par la CCUE qui objective la démarche. » Laquelle conduirait les gestionnaires à devoir coter chacun des postes pour situer les professionnels dans les futurs cadres d’emploi, ce à l’aide d’outils communs élaborés pour les guider, promet Axess. « Nous avons besoin d’une CCUE simple et agile, prévient Erwann Delepine, directeur général de l’association Apajh de Loire-Atlantique. Or, tout cela risque, au pire des moments, de créer une usine à gaz en termes de ressources humaines (RH) et de dégrader davantage le dialogue social. En outre, en matière de rémunérations, l’égalité républicaine entre les métiers du social doit être maintenue pour éviter une concurrence inutile entre nos organisations. Telle qu’elle s’annonce, je crains que cette CCUE ne passe à côté des vrais sujets : l’attractivité des métiers et la simplification de nos structures au service des plus vulnérables. » Pas mieux au sein du collège syndical où la logique confédérale ne convainc pas. « Cette approche fondée sur les compétences est incompréhensible pour les professionnels qui ne pourront faire valoir leurs droits s’ils ne comprennent pas la CCUE, objecte Benjamin Vitel. Sa vocation première n’est pas d’être un outil RH, même si elle peut aussi l’être. Elle est d’abord là pour organiser la relation de travail. »

183 euros, le préalable

Malgré les apparences, les partenaires sociaux sont loin d’être entrés dans le vif du sujet. Car autour de la table, la CGT, FO et Sud ont fait de l’extension immédiate des 183 euros un casus belli. « Pas question de construire un texte sur la base d’un déséquilibre, prévient Franck Montfort, négociateur à la CGT pourtant favorable au principe d’une CCUE. Nous réclamons la signature d’un avenant généralisant la prime afin d’aller ensuite devant les pouvoirs publics pour régulariser. » Avenue Duquesne, la réponse de l’ex-patron de la Croix-Rouge ne s’est pas fait attendre. « Le sujet des classifications et des rémunérations est justement l’occasion de mieux valoriser les métiers pour lesquels ces syndicats appellent à une extension, a rétorqué fin septembre le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, devant l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis). J’appelle aussi les employeurs à prendre leurs responsabilités : en lien avec les départements, ils peuvent travailler à des revalorisations sans attendre que l’État finance. »

« Franchement, c’est un feu qui n’avait pas besoin d’être attisé », maugrée un dirigeant du secteur. Qui lui aussi a fait ses calculs sur la base de la représentativité syndicale : CGT (36,16 %) + FO (15,17 %) + Sud (11,17 %) = un rapport de force suffisant pour bloquer toute avancée. Résultat : les règles du jeu n’étaient toujours pas définies officiellement début octobre, faute d’accord de méthode négocié, ou même d’avenant signé à l’accord de la commission paritaire permanente CPPNI. La CFDT, seule signataire des accords Laforcade, s’impatiente, son propre projet déjà ficelé. « Travailler à une CCUE est une opportunité pour résoudre les inégalités induites par les récentes revalorisations, explique Benjamin Vitel. Car elle suppose de repartir sur des critères justifiant le pourquoi des salaires sur un principe d’égalité. »

Crise de confiance

Déjà grande, la tension est encore montée d’un cran le 3 octobre. En cause, rapporte la CGT ? Les informations transmises en séance par un syndicat affirmant, après une réunion au ministère, que les chambres patronales auraient refusé l’extension des 183 euros afin de conserver l’enveloppe pour la négociation sur la CCUE. Faux, dénonce la présidente d’Axess Marie-Sophie Desaulle : « La Fehap et Nexem se battent depuis des mois pour l’obtenir […]. Publiquement comme à huis clos, ils n’ont eu de cesse de lutter pour une juste reconnaissance et une légitime revalorisation de tous les salariés […]. Les pouvoirs publics doivent mesurer l’urgence de la situation, signalée depuis des mois par les employeurs qui ne peuvent plus accepter d’être ainsi pris en otage. » Rien n’y a fait : dénonçant le « manque criant de loyauté » patronale, les syndicats ont claqué la porte.

« Comment une CCUE serait-elle possible dans un tel climat ? justifie Isabelle Roudil, négociatrice FO. Les employeurs s’assoient sur le paritarisme et ne proposent que des directives ministérielles, sans la moindre marge sur ce qui reste le cœur du problème : les rémunérations ! » « Si à chaque fois qu’on veut discuter d’une mesure, on doit demander l’autorisation, ce n’est plus de la négociation. Mais la simple transposition des décisions prises dans les couloirs du ministère qu’on nous demande de parapher, renchérit Franck Montfort. En réalité, s’il ne parvient pas à avoir les mains libres, le secteur joue son avenir. »

Les grands absents

Les regards sont tournés vers l’État et les départements qui ont sanctuarisé 500 millions d’euros pour soutenir la démarche, ont-ils promis le 18 février dernier. Notoirement insuffisant, s’accordent les partenaires sociaux. « À ce stade, cette somme allouée est une amorce, indique Patrick Enot. Nous devrions y voir plus clair sur le financement réellement nécessaire une fois notre outil de chiffrage finalisé, lequel doit permettre de mesurer l’impact des options qui seront soumises à la négociation. » « Difficile de dire si ce sera suffisant pour le moment, a botté en touche Jean-Christophe Combe. La CCUE et son financement feront partie des sujets abordés lors du prochain comité des financeurs, pour voir comment on accompagne ces négociations. »

Du côté de la CFDT, on ne décolère pas. « C’est un couteau dans le dos planté par l’État qui décide de reprendre la négociation dans un cadre piloté, décrypte Benjamin Vitel. L’accord signé en 2021 stipulait pourtant que nous avions une vraie liberté en la matière, avant que les pouvoirs publics voient comment financer les besoins, éventuellement de façon pluriannuelle. Là, comme d’habitude, on devra se contenter d’une enveloppe fixée à Bercy dans le contexte de la réduction des dépenses publiques. » Et les négociateurs ont de quoi être méfiants : seuls sept départements appliqueraient les mesures de revalorisation déjà décidées, selon Axess. « Même quand les employeurs obtiennent des garanties en amont et que les accords sont agréés puis étendus, ils ne sont au final pas appliqués sur le terrain, résume Franck Montfort. Où est la loyauté dans ces conditions ? » En attendant, les collectivités, « conscientes de la situation financière globale » du pays, ont prévenu en ces temps d’arbitrages budgétaires : d’accord pour prendre leur part dans le redressement des finances publiques, « mais encore faut-il que les mesures soient proportionnées et justes ? »

Compte à rebours

Pourtant le temps presse, même si la suite ne s’annonce pas plus simple. Outre les rémunérations et l’égalité, la question du temps de travail est aussi à l’agenda. « S’ils décident, comme initialement annoncé, de s’attaquer aux congés trimestriels pour 200 euros de plus, il faut s’attendre à un vrai conflit social, redoute Erwann Delepine. Et ce au moment même où le rapport au travail évolue et où la nouvelle génération cherche à rééquilibrer vies pro et perso ? » Si l’adoption en octobre d’un calendrier de rencontres pour 2023 a certes redonné un cap, pas question pour le collège patronal que les travaux s’enlisent – l’expérience de la rénovation de la CCN 66 encore en mémoire… Quelles seront alors les options en cas de blocage persistant ? La désignation de la « 51 » ou de la « 66 » comme CCN de rattachement, avant extension ? La dénonciation ?… « Oseront-ils dans un tel contexte ? interroge Isabelle Roudil. Au bout d’un moment, les salariés n’auront plus grand-chose à perdre. »

[1] Lire Direction[s] n° 202, p. 32

[2] Lire Direction[s] n° 198, p. 20

Gladys Lepasteur

« Adosser la CCN 65 à une CCUE robuste »

Armelle Bonnechaux, présidente de la commission paritaire de la CCN de 1965

« Ce qui se joue dans la Bass est un chantier qui, à terme, s’imposera à nous tous. Lorsque nous avons été auditionnés par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour sa mission préparatoire, nous avons bien compris combien l’État voulait que nous en soyions également partie prenante. Il y a quelques semaines, nous avons donc formellement indiqué aux instances de Nexem notre volonté d’être intégrés à ces travaux, à la hauteur de la dimension que nous représentons. Car même si nous sommes une "petite" CCN couvrant moins de 5000 salariés, nous restons une branche à part entière. Pour cela, il nous faut trouver une solution juridique qui convienne à tout le monde. À ce stade, l’idée pourrait être d’être a minima associés aux réflexions en cours, voire d’intégrer Axess plus ou moins rapidement. Si l’union intersyndicale Unisss a été reconnue lors de la dernière mesure de la représentativité patronale, il n’est pas certain que ce sera le cas la prochaine fois. Il est temps d’adosser la CCN 65 à un ensemble plus robuste. »

Repères

  • 100 000. C’est le nombre d’équivalents temps plein (ETP) non couverts par une CCN dans le secteur, selon le ministère.
  • 500 millions d’euros. C’est le montant de l’enveloppe prévue en février par l’État et l'ADF pour accompagner les travaux.
  • « Outre les bas salaires, la CCUE doit aussi valoriser la responsabilité pour attirer de meilleurs profils de directeurs dans le secteur », préconise Jean-Michel Abry, directeur général d’AVH.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 213 - novembre 2022






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